dimanche 12 juillet 2015

Un caléidoscope

2015-07-22
Dans ma tête il y a un caléidoscope rempli d'une mosaïque de formes et de couleurs qui bougent et se chevauchent donnant à chaque mouvement un nouveau vitrail par lequel passe la lumière éclatante ou tamisée de mes états d'âme.
En général mon humeur est assez stable, le baromètre pointe son aiguille entre beau fixe et variable.  La fatigue me joue parfois des tours et je me rends compte qu'alors je suis moins zen et plus vite dérangée par des éléments extérieurs perturbateurs: le bruit matinal ou nocturne des jeunes vacanciers qui prennent la digue pour leur terrasse personnelle, les conducteurs égoïstes et dangereux, les personnes Caliméro qui vous inondent les oreilles et pompent votre énergie en vous racontant pour la x ième fois comme elles sont victimes de tant d'injustices et de malheurs, qui ne se doutent pas que pour nous chaque jour est un défi pour regarder tout ce qui est positif autour de nous et qui en oublient toutes les petites joies qu'une journée peut apporter dans l'ici et maintenant.

Cette semaine j'ai entendu une phrase qui m'a bien plu: "La vie est comme une bicyclette, il faut avancer pour ne pas perdre l'équilibre."
A propos de bicyclette, j'ai été gâtée pour mon anniversaire: quelques bienfaiteurs, qui se reconnaîtront dans ces lignes, se sont cotisés pour m'offrir une superbe petite reine électrique.  Merci de tout cœur!  Nous voilà tous deux équipés pour partir en amoureux sur les routes à points nodaux et autres Ravels que nous fréquentions autrefois en tandem.  Il faudra encore trouver le rythme. En tandem c'était facile: pas de risque de se distancier.  Ici le handbike est plus lent qu'un vélo, donc je mets une petite vitesse où je dois bcp pédaler afin de garder l'équilibre.  Je m'entraîne au Trial (vous savez ce sport où il faut garder l'équilibre sur sa moto, sans avancer) mais on avance quand même à petits tours de roue. Le principal c'est de faire de l'exercice et d'être ensemble à prendre l'air.
Pour en revenir à cette phrase sur la vie et la bicyclette, pour nous, rien à voir avec le Tour dont on nous bassine les yeux et les oreilles, mais cette sensation de nécessité d'aller de l'avant, de ne pas trop regarder en arrière, de ne pas faire du surplace, d'oser mettre un pas devant l'autre, même si on ne sait pas toujours vers où ça nous mènera.

Je pense à ce jeune couple de malvoyants avec leur chien que nous avons rencontrés dimanche passé.  Ils étaient un peu perdus, cherchant leur chemin en tâtonnant au-delà de la digue.  Pierre les observait de loin, installé à la fenêtre de notre appartement, lorsque tout à coup il a poussé un cri.  Le jeune homme se trouvait sur le bord du mur à quelques centimètres du vide de la rampe menant aux garages souterrains. Heureusement il a senti qu'il n'avait pas de prise sous le pied et il a reculé.
Je suis descendue pour les rejoindre et leur tendre la main. Il s'était mis à pleuvoir et je les ai ramenés dans l'appartement. Ils cherchaient le bâtiment avec les toilettes qui se trouve quasi en face de notre immeuble.  Ils ne s'étaient pas rendu compte qu'ils avaient dépassé la digue. Ils venaient de Gand et faisaient une excursion à Coxyde, ils avaient pris le train et le tram et c'est ainsi qu'ils allaient retourner.  Le temps de faire un arrêt sanitaire chez nous et de donner à boire à Jonas, leur labrador, ils sont repartis un pied devant l'autre, deux pattes devant deux pattes derrière. 
Respect, respect pour ces jeunes qui osent aller de l'avant, qui osent la vie malgré les difficultés de leur handicap.
Cette carte postale nous a très touchés. Je n'ose imaginer la chute que Pierre aurait vue, trop loin pour réagir, incapable de la prévenir. Heureusement, ce jeune gars a des antennes plus fines et il était à l'écoute de son corps.  Son chien qui se trouvait de l'autre côté, ne pouvait se douter du danger qui rôdait.   Il nous a dit son étonnement concernant le manque de prévoyance de la commune à cet endroit de passage.    Mardi nous sommes allés à la maison communale pour signaler le problème.  Le lendemain nous avons vu un employé de la commune prendre des photos du lieu dit.  Coup de chapeau pour l'administration locale qui réagit si promptement.  ("Action, réaction" comme dirait l'instit. dans le film Les Choristes)

Comme vous l'aurez compris, nous étions à Coxyde.  Retour à la maison jeudi, traitement oncologique, vendredi, oblige. Nous y aurons passé environ 3 semaines. Pendant ce temps notre maison, chambre, salle de bains et dressing se transforment.  Emilie nous envoie fidèlement son rapport photographique chaque soir et le chat veille à s'occuper d'elle. Tous les matins notre félin vient sur son Vélux pour la réveiller en douceur, demander sa pitance et ensuite partager son lit.
Trois semaines  à la mer, ce n'est pas dans nos habitudes.  Il a fallu évidemment préparer notre séjour de longue durée.  Livraison d'un lit d'hôpital, recherche d'une infirmière et kiné pour les soins.
Ce sont trois infirmières différentes qui se sont relayées pour soigner Pierre. Toutes les trois aussi professionnelles et attentives. Mais trois tempéraments différents.  Rina, la patronne, énergique, surbookée, dévouée, très gentille elle prend le temps qu'il faut pour la rencontre. Karina, personne plus écorchée par la vie, traînant derrière elle un chapelet d'épreuves,  trop pour une seule personne.  Elle continue à aller de l'avant et à puiser son courage dans l'accomplissement du travail bien fait. Et puis, il y a Hilde, une vraie tornade blanche, petit ouistiti toujours de bonne humeur, spontanée, adorable de gentillesse, débordante d'énergie. Quand elle arrive chez nous à huit heures elle a déjà trois heures de boulot et 7 patients derrière le dos, toujours le sourire aux lèvres, sa bonne humeur est contagieuse.   Levée depuis 03:45 elle est une vraie abeille bourdonnante qui ne s'arrête pas.  Rien que de la voir bourdonner ainsi, j'en ai le tournis...  Je lui demanderais bien de partager un peu de son énergie, question d'avoir mes batteries un peu mieux chargées.
Mais notre Sofie, l'infirmière qui vient chez nous à la maison n'est pas détrônée, elle garde la première place sur le podium des infirmières à domicile de notre cœur.

Retour à la maison jeudi soir, découverte du chantier, waw....  Chapeau à ces hommes de métier au pouvoir magique.  La citrouille devient carrosse, les souris des chevaux pure sang au galop. Heureusement que chez nous, contrairement à l'histoire de Cendrillon, les transformations ne s'évanouissent pas une fois les 12 coups de minuit retentis.   On se croirait dans une autre maison. Le lifting est impressionnant, la couche de poussière au garage aussi ;-).  Le reste de la maison est un Capharnaüm où un chat n'y retrouverait plus ses petits.  Heureusement que notre chat est stérile, mais la situation est comparable à une chanson pour enfants que nous écoutions quand les  nôtres étaient petits:  "Je perds tout tout tout, Je cherche partout tout tout ... quand je trouve qq chose je perds autre chose..."
Je dois apprendre à être plus systémadicte, euh systématique, je me disperse (j'ai toujours été comme ça), je veux faire 36 choses à la fois, je passe du coq à l'âne et oublie après avoir soigné l'âne de quel coq je m'occupais... Pierre a une patience d'ange, il rit plutôt qu'il ne pleure de mes défauts. C'est un saint, ce n'est pas pour rien qu'on l'appelle St-Pierre.  Et moi j'ai bien fait de bâtir ma vie sur ce Pierre. Pierre d'angle et non d'achoppement.
Nous sommes impatients de pouvoir réintégrer notre chambre, de nous endormir ensemble dans le même lit, de nous réveiller et de commencer la journée par un regard tendre, un bisou tout doux. 
Pierre pourra enfin d'ici quelques jours inaugurer la nouvelle salle de bains!  Vous ne pouvez vous imaginer le luxe que cela représente de pouvoir se laver ainsi sous un jet d'eau à bonne température.  Il pourra se raser droit devant le miroir, les jambes sous le lavabo, il pourra se laver les mains sans devoir se contorsionner pour arriver au robinet, il pourra faire usage des toilettes tout seul comme un grand.  Après 3 mois et demi de camping -  ou dois-je dire de scoutisme spartiate? - il revient dans le monde du confort élémentaire (pour nous, occidentaux).  Je voudrais quand même souligner l'humanité de l'avocate de la partie adverse qui n'a pas attendu que l'expert architecte donne son avis pour enfin avancer une provision substantielle qui nous permette d'aménager cette partie de la maison.  Nous ne savons toujours pas dans quelle mesure cet expert sera conciliant ou non par rapport à nos demandes, mais nous n'avons pas l'intention de nous laisser faire.  Les conséquences de la "distraction" de l'automobiliste qui a percuté Pierre sont déjà suffisamment traumatisantes pour qu'en plus on se fasse entuber.
Il paraît que l'usure est une arme utilisée par les assureurs pour revoir à la baisse les exigences des victimes.  Comme Pierre et moi, nous sommes en train de faire un doctorat en patience, l'assurance risque de tomber sur un os.  De toute façon, mes os, on peut les compter de visu et avec moi l'assurance tombera sur tout un squelette, très coriace. Quand il s'agit de justice, et encore plus pour ceux que j'aime, vous n'imaginez pas à quel point je peux tenir bon et montrer les dents...  Heureusement, nous sommes soutenus et entourés par nos excellents experts à nous: avocats, médecin, architecte qui connaissent les ficelles du métier et sont là pour nous guider à travers les méandres (ou dois-je dire le labyrinthe?) juridiques et administratifs du dossier de l'accident.

Oui, vraiment, on a de la chance dans la malchance: la situation aurait pu être pire, pas que je trouve qu'elle soit à ambitionner, mais il y a encore moyen d'être heureux, de croire en la bonté du prochain qui croise notre route, d'avoir l'espoir que la vie nous réserve et nous donne des cadeaux inattendus.  Il ne se passe pas un jour sans que nous partagions un fou-rire, qu'on se dise merci d'être là et qu'on projette  de vivre encore une petite éternité ensemble.  (une petite, car une grande, à la fin ça devient monotone)