Me revoici, avec quelques cartes postales.
Nous allons régulièrement à l’appartement à la mer. Là je peux faire la
vaisselle, cuisiner un peu (Madicte est douée pour accommoder les restants de
repas, elle reprend donc la main pour ainsi dire un jour sur deux !). Je
me rends en handbike chez la kiné, je fais souvent un crochet par la chapelle
de Notre Dame des Dunes (et parfois par chez le marchand de glace, c’est
presque sur ma route).
A force de ne plus pratiquer certains mouvements, certains gestes,
certaines tâches, je fini par oublier, comme par exemple les emplacements où je
rangeais du matériel de bricolage dans l’atelier. Et parfois j’imagine que je
sais encore : j’imaginais pouvoir déplacer des meubles de jardin…
Broquette ! Impossible ! En orthographe aussi c’est bizarre :
certains mots que je n’employais jamais, tel « pharmacien »,
« prescription », « kinésithérapeute » me sont maintenant
familiers. Et d’autres mots me sont devenus étrangers, comme « hérèksion »
par exemple.
Mais à côté de cela, il y a tout ce qui me fait du bien : nous avons
reçu plusieurs invitations (mariages, anniversaires, …) : quand nous
sommes libres nous acceptons ; c’est aussi important de garder le contact
en nous déplaçant nous-mêmes vers les
autres. Cela me fait dire que beaucoup d’entre vous pensent à nous intégrer, à
nous faire participer à la fête. Non pas comme si rien ne s’était passé, au
contraire ! On nous prévient par exemple que les lieux sont accessibles
pour les chaises roulantes, ce qui signifie que vous avez testé, que vous vous
êtes renseignés. Tant d’attention, tant de prévenance… Merci ! Même si
pour Madicte, les trajets en voiture ne sont jamais des parties de plaisir,
nous roulons ! Heureusement elle ne doit plus conduire ! Moi qui suis
resté deux ans sans conduire… chaque fois que je peux reprendre le volant je le
fais avec plaisir.
Je dois veiller à respecter un équilibre entre ce que je mange et les
exercices physiques. Mais cet équilibre est très instable : souvent trop
de nourriture pour pas assez d’exercices ! C’est difficile de garder une
discipline. Madicte est souvent là pour m’encourager heureusement. De ce point
de vue, le temps passé à Pellenberg était plus bénéfique mais, et bien qu’ayant
pour but de me mener à l’autonomie, moins dur puisque tout organisé : un
horaire tout fait dans lequel il suffisait d’entrer. C’est aussi cela
l’autonomie : me discipliner, m’imposer des choix qui sont importants pour
ma santé, me forcer à l’occasion . L’autonomie, ce n’est pas la liberté et le
laisser-aller. « Calvin, fais quelque chose que tu n’aimes
pas, c’est bon pour le caractère ! », comme le disait le
philosophe Jacques Careuil. « C’est
là qu’est l’os ! » aurait répondu le penseur Idi Amin Dada.
Depuis que maman est à Bonlez, au Home des Lilas, elle a fait du
chemin : elle accepte sa nouvelle situation, elle fait doucement son deuil
de la maison, se contente de quelques objets familier et symboliques pas trop
volumineux auprès d’elle. Elle retrouve de vieilles photos, en épingle
certaines sur un tableau d’affichage que Bernard lui a apporté. Chapeau
maman ! Un nouvel univers se présente à toi, avec ses mystères, ses
surprises agréables ou moins agréables. Je vois que tu récupères un tout petit
peu : tu arrives à te lever de ton fauteuil et à faire quelques pas.
Nous avons régulièrement des félicitations ou des remerciements pour notre manière d’être, pour supporter
notre nouvelle vie. Je n’ai pas de recette-miracle, je peux juste vous redire
ma philosophie du moment… (Nous sommes tous en chemin dans la Vie, ce qui
signifie que ce qui est vrai pour moi aujourd’hui sera sans doute différent
plus tard…) Déjà bien avant l’accident, je m’endormais en disant merci pour la
journée écoulée. Depuis plus de 40 ans, je me sens être un des disciples
d’Emmaüs. C’est-à-dire que c’est par après que je prends conscience de ce qui
s’est passé. Mais contrairement à Cléophas et son compagnon de route, je ne me
dis pas « Potferdeke *, il était
là ! Et nous ne l’avons pas reconnu ! ». Je me dis plutôt
« J’ai eu cette chance aujourd’hui :
Merci ! ». Je ne sais plus, contrairement aux deux disciples, prendre
mes jambes à mon cou et courir retrouver les copains pour annoncer la bonne
nouvelle, mais j’ai cette possibilité de partager via FB, via le blog, via les
rencontres. C’est ma recette, mais elle n’est pas universelle ; ça marche
pour moi, voilà. Le Pierre d’aujourd’hui est le fruit du chemin des 58 dernières
années, en ce compris les heures lumineuses autant que les heures sombres. Je
pars du principe que les heures lumineuses autant que les heures sombres
d’aujourd’hui façonnent le Pierre de demain, ce qui me facilite la possibilité
de dire Merci chaque soir.
C’est la rentrée des classes… je me rends compte que c’est le passé pour
moi. En trois ans, il y a des pages qui se sont tournées. Les contacts restent
avec les collègues, certains parents d’élèves, certains anciens élèves. Mais
tant de choses ont changé : nouveaux programmes, autres méthodes,
réaffectations (je crois que je donne cours dans 5 ou 6 écoles…), … Je ne garde
dans la gibecière de ma mémoire que les bons souvenirs, les temps forts, les
moments de bonheur. Je suis de tout cœur avec vous, collègues, avec toi Oh
Lumière des Lumières, mon Inspectrice Principale Préférée, avec vous parents et
enfants encore tributaires du rythme scolaire. Je vous souhaite une heureuse
année, un chemin agréable à parcourir. Je n’oublie pas non plus les
« travailleurs de l’ombre », les discrets et efficaces qui gèrent la
paperasserie et les dossiers.
·
Traduction libre de l’Araméen