vendredi 24 novembre 2017

J’oubliais qu’tes tatouages et ta lame de couteau c’est surtout un blindage pour ton cœur d’artichaut.


Madicte, en publiant son dernier texte, m’a indirectement rappelé qu’il est temps de reprendre le clavier. Je ne sais pas en commençant ce texte s’il y aura de véritables cartes postales… Il y a davantage de partage de sensations, de sentiments, de ressenti et moins de tableaux …

Ces derniers mois, je prends tout doucement conscience que ce que je vis depuis plus de 3 ans, c’est pour le restant de ma vie. Je vois ce qui sera un jour une difficulté,  alors qu’aujourd’hui je sais le faire. Je vis au jour le jour, mais avec à l’occasion des flashes annonçant le futur. C’est une manière d’anticiper, de préparer l’avenir. Je pense à Bon Papa qui faisait partie de cette association « Les Invalides Prévoyants »… Ce que mon corps m’autorise à faire aujourd’hui, ne serait-ce que musculairement parlant, en aurai-je encore le capacité dans 15 ou 20 ans ? Une alimentation pas trop malsaine (avec Madicte je ne risque rien !), une activité physique correcte permettent d’anticiper, même de sauvegarder pour l’avenir. En pensant à tout ça, je n’ai pas d’appréhension, je prendrai ce qui viendra, je profite de l’instant présent.

Madicte est très attentive à ce que nous mangeons, elle vire progressivement vers le végétarien, ce qui est pour moi un pas plus difficile à franchir (déjà que les pas, en général, sont difficiles… mais vivre sans sanglier, sans steak, sans brochette, sans  blanquette de veau… j’vous dis pas). Je la taquine en parlant des graines, des légumes, du kéfir que nous allons manger jusqu’à la fin de nos jours.

Vivre dans notre maison est notre souhait à tous les deux et j’ai cru que nous arriverions à nous défaire de tas d’objets devenus inutiles, encombrants pour pouvoir vivre uniquement au rez-de-chaussée. C’est un challenge impossible. Je me sens entouré de brols, de choses, de trucs, d’objets qui n’ont plus leur place dans mon espace vital. Et je ne parle pas de tout ce qui a été bourré au grenier. Et je ne parle pas de nos livres toujours inaccessibles à l’étage, du matériel de camping qui encombre. Je ne parle pas de tout ce que nous avons gardé « au cas où », etc… Je n’ose penser à la maison de papa et maman qu’il faudra un jour vider. J’ai parfois envie de ranger, mais il n’y a pas la place. Alors j’ai envie d’évacuer, de bazarder, de donner. Mais mon gouvernement me demande d’attendre, d’essayer de vendre sur internet.  Que ce soit Madicte ou Pierre, nous manquons d’espace personnel. Madicte a son bureau, mais c’est un espace invivable à cause du bruit du garage juste en face. Lorsque le kiné vient mobiliser mes jambes, cela se fait dans notre chambre, sur le temps de midi, ou en début d’après midi, alors Madicte ne sait pas faire de sieste. Faire une sieste au living, avec les nuisances du garage d’en face c’est exclu. Faire une sieste au jardin, à l’ombre d’un arbre, c’est impossible : elle ne dort que dans l’obscurité… A l’étage, dans le canapé d’Emilie et Jan, c’est entrer dans leur partie privée, donc à exclure. Mon bureau est dans notre chambre, c’est là que j’écoute la radio, que je suis à l’ordinateur. Mais si Madicte vient se reposer, il faut fermer les rideaux, je dois mettre des écouteurs, ou quitter la pièce. Nous vivons cela assez bien , mais cela fait partie des désagréments journaliers. Une dernière adaptation de notre chambre nous a fait déménager un meuble vers le living, ce qui limite encore plus mon espace en ce lieu. Ce ne sont là que des petits exemples de notre quotidien. Un agrandissement de la maison est envisagé, mais les experts de la partie adverse freinent et ergotent tant sur des détails que sur des grosses sommes. Nous espérons que la désignation d’un expert neutre va faire avancer le dossier… dans combien d’années ?

Heureusement il nous reste l’appartement à Koksijde : là tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté.  Dépouillement, simplicité, facilité. Point. Là Madicte se repose, se ressource. Comme elle vous l’a dit il y a quelques semaines, elle a arrêté son traitement et après 15 jours elle se sentait déjà mieux. Elle veut récupérer mentalement, elle veut penser à elle, s’accorder du temps, de l’espace, elle s’est remise à la guitare, et attend le jour où le piano trouvera place au rez-de- chaussée (si on trouve de la place !). A l’occasion, elle rejoint les copines pour une balade dans les bois. Elle a retrouvé la chorale.  Cela fait trop longtemps qu’elle s’efface au profit de l’urgent,  du quotidien, du «nous». Je sens qu’il est grand temps de relâcher la pression, j’admire comme ma Belle reste calme, sereine, souriante à mon égard ( je pense en premier lieu aux « accidents » dans le lange malgré beaucoup de précautions) en voyant les conséquences pour le surcroît de lessive. Je pense à tout ce qu’elle fait à ma place, dont voici une infime partie :

-charger et décharger la voiture quand nous nous déplaçons (une fois la voiture chargée, je ne sais plus y entrer…)

-prendre en charge la vaisselle et ranger dans les armoires à la cuisine (à la maison, je peux faire une vaisselle en 3 ou 4 fois, à cause de la position anti-ergonomique)

-repasser le linge propre (qu’elle a lavé)

-régler les problèmes administratifs, financiers, etc…

-préparer la majorité des repas

Madicte en ce moment a besoin de se retrouver, de ne pas devoir trop donner de son temps pour des visites, des déplacements, elle a besoin tant de vaquer à ses occupations que de prendre du temps pour son organisation. Elle évite les déplacements, elle est contente quand je fais les courses sans elle. Mais il reste tant de contraintes et elle n’arrive pas à récupérer physiquement. Ce que je prends en charge est insignifiant, mais je tiens à le faire !Tri des poubelles, un Colruyt ou un Delhaize à l’occasion, un passage au  parc à conteneurs, les achats de langes et autre matériel. L’un ou l’autre homebanking. Gérer mes rendez-vous médicaux, les kinés, … Je vois d’où je viens, ce que j’ai récupéré depuis ma revalidation, j’en suis fier mais je reste limité dans beaucoup de domaines, où Madicte doit suppléer.

 Assez d’états d’âme… du fond de la gibecière de ma mémoire, je peux encore imprimer quelques cartes postales :

Je peux rajouter un nouveau geste à la liste de ce que beaucoup ont fait pour me permettre l’accès à leur maison : nos dernières visites à droite et à gauche ont été l’occasion de découvrir que nos hôtes démontent certaines portes pour faciliter l’accès et la circulation dans leur maison. C’est sincèrement touchant de voir à quel point vous pensez à moi !

J’ai repris le sport, avec le groupe des gens « cassés ». L’ambiance y est vraiment bonne, chacun faisant ce qu’il peut, en fonction de ce que la nature lui donne encore. C’est bon de voir l’une ou l’autre personne se dépasser, améliorer ses records, dépasser ses limites. On s’encourage, on se félicite, on se taquine. Snif… la prof nous a annoncé il y a 3 semaines qu’elle changeait de boulot ! Elle était un peu comme dans le film « Intouchables » : LA motivation (elle est juste à côté de moi, pull rayé). Mais ses collègues sont tout aussi super et savent nous motiver.

Nous avons organisé un WE – jardin : une quinzaine de personnes ont fourni plus de 120 heures de travail ! Vive l’Amitié ! Vive la solidarité. Certain(e)s ont travaillé en groupes, d’autres en binômes, d’autres encore ont travaillé seuls. C’était du travail lourd et ardu ! Par après, nous avons entendu que d’autres personnes auraient bien voulu participer, mais elles n’avaient pas été invitées. Je pense que la prochaine fois, nous élargirons la liste ! Afin de donner du plaisir à davantage de gens !

Quand nous sommes à Koksijde, j’ai des kinés locales : deux adorables dames. A Zepperen, je n’ai que des hommes. C’est très différent. Il n’y a pas de hiérarchie, pas de préférence. Seulement les conversations avec des hommes sont différentes de celles avec les dames. Tous ont des points communs, mais il y a aussi des différences, des exercices différents, une approche personnelle, des connivences. Je ne voudrais me passer de personne !

Cette année scolaire, c’est la quatrième fois que je ne suis pas rentré à l’école, et c’est la première fois que je ne pleure pas. Les bons souvenirs refont surface. Je pense à certaines anecdotes qui se sont passées au cours de ma carrière. Des moments de pur bonheur :

-Avec une classe de 6ièmes, en 1984, nous apprenions la chanson de Marie Laforêt « Le premier bonheur du jour ». En très court, elle dit que le premier bonheur du jour, c’est un ruban de soleil qui caresse  l’épaule de son homme, puis s’enroule sur sa main. Le premier chagrin du jour, c’est la porte qui se ferme, la voiture qui s’en va. Et elle termine en disant que bien vite il revient et le dernier bonheur du jour, c’est la lampe qui s’éteint. Avant de chanter, nous avions parcouru le texte pour être certains d’avoir tout compris. A un moment je demande pourquoi il revient bien vite. Et dans le fond de la classe, enfoncé sur la chaise, le menton au niveau de sa table l’empêchant de tomber plus bas, les mains en poche, mon Dominique dit bien haut « Ben, s’y r’vient vite, c’est qu’y travaille à mi temps hein s’ieur ! ».

-Arrivant dans une classe de P5 P6, je vois que certains enfants sont fort occupés avec un objet que je ne distingue pas… mais il circule et fait beaucoup rire. Je demande alors si je peux aussi rire. Une fille m’apporte alors un préservatif ! Je lui demande d’où elle tient ça. Elle m’explique que sa marraine, qui est psychologue, a donné la veille une conférence sur le sida et qu’en fin de séance, il y a eu une distribution de préservatifs. Elle m’explique que c’est très solide, qu’on peut mettre beaucoup d’eau là dedans. Je lui demande si elle sait me montrer, ce qu’elle devait attendre avec impatience : elle fonce vers l’évier de la classe, « branche » l’objet et ouvre le robinet. Et ça se remplit… Je lui demande combien de litres on peut mettre. « Ah ben j’sais pas moi chuis pas psychologue ! »

-Dans une classe de P5, Olivier allait faire une élocution sur le lama. Olivier est très nerveux, il maîtrise mal sa respiration et a tendance à s’embrouiller, à inventer des mots, voire à inverser les syllabes. Il commence en disant que le lama est un mammifère. « Ouille, Olivier, tu emploies des mots très compliqués ! C’est quoi un mammifère ? » Quelque peu surpris par mon vide scientifique il me dit qu’un mammifère est un animal dont la femelle a des lamelles. Maintenant que je sais, je le laisse continuer. « Le lama vit dans la Corbeille des Andes ». « Olivier, c’est quoi la Corbeille des Andes ? ». Sans se laisser démonter par mon ignorance il dit que c’est une chaîne de montage. Le lendemain, sa maman est venue me trouver en me disant la fierté de son fils, qui a vu que je prenais des notes !

-Il m’arrivait, avec une classe dans laquelle il y avait une complicité extraordinaire, de taper ma tête contre le tableau en disant « Que je suis bon ! Que je suis bon ! » après avoir dit un bon mot ou après avoir fait un peu d’humour… Jusqu’au jour où les enfants, tous ensemble, après un bon mot, se sont tous tapé le crâne sur les tables en disant « Qu’il est bon ! Qu’il est bon ! ».

-Celle ci s’est passée bien avant l’affaire Dutroux. Pour respecter l’anonymat de la personne, qui doit avoir pas loin des 40 ans maintenant, nous l’appellerons Araignée et volontairement nous transformerons sa voix. Lors d’un moment de détente (en fait dans le rang en rentrant en classe…) Araignée dit à qui veut l’entendre qu’elle est deux fois vierge. « Ah, tiens… comment ça ? » demande l’adulte dont nous tairons le nom. « Ben c’est facile : je suis née en septembre, sous le signe de la vierge. Et puis ben, j’ai jamais fait humm heuu, enfin vous voyez s’ke j’veux dire ! ». De nombreuses années plus tard je croise Araignée en rue, devenue étudiante. Nous évoquons le passé, les cours où l’on riait beaucoup, on se remémore quelques souvenirs et je lui demande si elle est encore deux fois vierge. Sans hésiter elle me dit que non : elle a changé de signe zodiacal.

-Il y a les moments où l’on rit. Mais il y a les moments d’émotion : à la fin d’un cours, je vois quatre élèves traîner pour sortir et s’arranger pour rester en classe quand tout le groupe est parti. Ici je ne tairai pas les prénoms ! Voici Caterina, Giulia, Larissa et Emilie venir vers moi avec un carton à chaussures. C’était quelques jours avant le congé de Noël 2007, il y a 10 ans ! Elles m’offrent une crèche réalisée par elles, pour moi. Moment d’émotion, de bonheur. Cette crèche sert chaque année, elle m’a suivi à Pellenberg.
 

-Un jour, lors d’une journée de formation organisée par notre Inspectrice (Bonjour à toi, oh Lumière des Lumières !), l’Inspecteur Principal était présent. Pendant une pause, il nous partage avec humour combien sa femme est extraordinaire, combien elle entreprend alors que lui se sent tout petit à côté d’elle. Pour lui montrer que j’avais bien compris ce qu’il nous partageait, je lui rappelle cette phrase de Julos Beaucarne « Quand il y a une belle betterave, c’est toujours pour un laid cochon ». Visage décomposé et horrifié de notre Inspectrice… et éclat de rire de l’Inspecteur Principal !

Tant de souvenirs me mettent le cœur en joie, je sens que le positif me porte au quotidien. Et quand ça va moins bien, il y a Madicte, il y a vous qui êtes là pour me remonter le moral, pour m’écouter. Le rire et l’autodérision aident aussi, sans que ce soit une fuite : c’est un peu la pression de la casserole qui s’échappe.

Je suis aussi conscient de tous les petits riens qui font que mon quotidien se déroule le mieux possible, je peux me réjouir de beaucoup de choses :

recevoir une lettre , un mail, un sms, un p’tit (ou long) WhatsApp, apprécier la soupe préparée par Madicte, ou l’odeur du pain frais, un sourire échangé avec une autre personne en chaise roulante, le chat qui vient se blottir quelques minutes près de moi, le p’tit déj’ du dimanche partagé avec Jan et Emilie, rester deux jours sans ennuis de fuites dans le lange,  lire un peu le dos au soleil derrière la fenêtre, la complicité que j’ai avec beaucoup d’entre vous, un petit film sur Youtube, un regard de Madicte, sa danse du matin autour du lit, un coucher de soleil, …

Je vais m’arrêter ici, tout en vous redisant toute ma gratitude pour votre soutien, quelle qu’en soit la forme ! Nous avons cette chance immense de vous avoir près ou loin de nous !!!