mardi 23 janvier 2018

Nous ne faisons rien, mais nous le faisons ensemble.




2018-01-22

Qu’est-ce qu’il est long cet hiver!  Les jours gris, sombres et pluvieux se sont succédé pendant des semaines. Tout le monde a l’air pâlot et fatigué.
Mais enfin le soleil se décide de temps en temps à réapparaître.
Ce midi Pierre et moi étions installés à l’abri du vent, profitant comme des suricates des rayons bénéfiques du soleil et écoutant au loin le murmure de la mer.
Maintenant c’est la respiration profonde de mon dormeur du canapé qui fait écho à celle des vagues. Ici tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté. Je mets tous les « il faut, je dois, je ne peux pas oublier, … » au placard.  Nous appliquons scrupuleusement la légende de deux cartes postales que nous gardons depuis des années dans notre appartement : « Je m’arrête pour écouter ma vie ! » et « Nous ne faisons rien, mais nous le faisons ensemble… »

J’ai terminé de laver les vitres, après avoir constaté que ce n’était pas mes lunettes embuées qui m’empêchaient de voir correctement le paysage.  Il faut dire que ces dernières semaines, la météo s’est déchaînée ici à la côte et nos vitres se sont vues copieusement arrosées et flagellées par les vents ensablés de tempête. 
Nous avons passé le Nouvel an ici avec des amis, profitant des multiples feux d’artifice que les gens allumaient sur la plage devant notre appartement.  Nous étions aux premières loges et les places étaient gratuites.
 
 

Nous n’avons pas pu sortir beaucoup lors de notre dernier séjour, début de l’année. Trop froid, trop humide, trop venteux, … mais avec la vue que nous avons ici du haut du cinquième étage nous pouvons assister au spectacle permanent joué par la mer, le ciel, le sable, le vent sous un éclairage orchestré par le soleil et la lune. Je trouve cela magique et je ne m’en lasse pas.  







 A chaque fois que je viens ici, mon cœur gros devient automatiquement plus léger, plus aérien.  La nature a des effets curatifs sur moi. Déjà enfant, j’allais me réfugier près de l’étang de la demeure familiale quand mon désespoir était trop lourd à porter.
Tout au long de ma vie j’ai souvent pensé à « plus tard » : quand j’aurai ma propre chambre, quand je serai grande ; quand j’aurai fini mes études, quand on sera mariés, quand on aura des enfants, quand je serai nommée, quand on aura notre maison, quand les enfants auront fini leurs études, quand je pourrai travailler moins, quand la maison sera payée, quand on sera pensionnés, quand … Pierre rentrera de l’hôpital à la maison, quand mes cheveux auront repoussé, quand mes traitements oncologiques seront finies, quand la maison sera adaptée, quand on aura fini de se battre avec l’assurance de la contrepartie, quand on sera dédommagés, quand ….
Je m’imaginais que les épreuves du moment s’estomperaient et que l’avenir serait plus facile, moins ardu, plus léger….  Penser ainsi à plus tard, c’est sans doute une méthode pour se motiver à aller de l’avant, mais aujourd’hui je suis plus dans « l’ici et maintenant » bien que cela ne m’empêche pas d’avoir des projets « lucioles » pour éclairer un peu les perspectives parfois trop sombres. Honnêtement, je ne sais plus très bien ce que j’attends encore de la vie, je la vois souvent trop amputée par nos limites physiques.  Mon psy me dit de renverser la question et de me demander ce que la vie attend encore de moi. Sous cette perspective-là, je me sens mieux.  On a tous les deux encore tant d’amour à donner, de chemins à parcourir même si c’est en chaise roulante… Mais ce dont je suis de plus en plus consciente, c’est que le temps qu’il me reste, je dois aussi le consacrer à choyer et guérir l’enfant désespérée que j’étais et qui se rappelle à moi à travers la tristesse abyssale que je ressens quand je pense à tout ce qui est perdu irrémédiablement.  Mais l’essentiel est toujours là, et nous avons la chance de l’avoir encore.  Cet amour inconditionnel est une rose qui s’est trouvée sur notre chemin, Pierre et moi l’avons cueillie, puis cultivée pour qu’elle s’épanouisse et perdure.  Nous étions en vitesse de croisière, sur le bon cap, heureux de notre vie, de nos boulots, de nos engagements, du temps pris ensemble, de notre complicité, de nos voyages torrides au septième ciel. Brutalement toutes nos réservations dominicales ont été annulées car le tour operateur s’est fait définitivement la malle.   Il nous reste nos petites escapades guidées par la Carte de Tendre dans les paysages où la complicité des âmes s’exprime dans les regards, les sourires, la douceur d’une caresse, les larmes simultanées.  A défaut de l’amour, on fait l’humour ensemble, ça ne le remplace pas, mais ça nous aide, toujours amoureux fous, à garder le cap de Bon Espérance.

Qu’est-ce qu’il est long cet hiver !  On vient de passer le blue Monday (le jour le plus déprimant de l’année).  Je crois que je suis une affiliée, à l’insu de mon plein gré.  Chez nous, dans ma famille, c’est dans les gènes de père en filles, mais notre hypersensibilité y est aussi pour quelque chose…
Début janvier j’avais commencé un autre traitement antihormonal que mon oncologue était parvenue à me convaincre de prendre, ne fût ce que à l’essai.  En moins de dix jours mon état physique et mental a fait une chute vertigineuse.  Donc maintenant ça suffit, j’arrête pour de vrai. Y en a marre d’être le jojo du monde pharmaceutique. Fini la camisole chimique, je veux être libre et récupérer ce qu’il y a encore de récupérable à ma santé d’antan.

Et à propos, vu avez vu ?  Les jours rallongent depuis plus d’un mois, donc l’hiver finira bien un jour par céder le pas au printemps…