jeudi 30 janvier 2020

Onkruid vergaat niet



Nous revoilà, ayant tourné le dos à une année qui n’a pas été que bonne. Mais il y a pire : quand je pense à Hiroshima, le 1ier janvier 1944, où les gens se sont souhaité une bonne année, je ne m’en tire pas trop mal. Chaque jour je mesure la chance que j’ai d’être toujours là, un peu diminué mais toujours vivant !
J’ai quelques cartes postales à vous envoyer…

Une carte postale intitulée « le tout est une question de discrétion » : L’action se passe à St Truiden, au magasin de la Mutuelle, où je me rendais pour acheter des culottes anti-fuites. Imaginez un grand espace où les gens font la file de manière désordonnée devant un guichet qui est en fait un bureau ouvert sans aucune intimité. Quand vient mon tour je m’approche de la table et discrètement je demande à la dame si elle a en stock des « Pands ID », ou des « optrek broeken ».
-La dame, supposant que je suis sourd et peut-être un peu limité, me demande bien fort « Vous ne préférez pas des langes, ce n’est pas plutôt ça que vous voulez dire ? ».
-Moi « Je ne veux pas de langes, puisque je demande des culottes anti-fuites ».
-La dame « Oui, mais quel degré d’absorption vous faut-il ? »
-Moi « Ben, des qui absorbent bien, je n’ai pas la vessie d’un hamster… »
-La dame « D’accord, et quelle taille ? »
-Moi « Certainement la taille L, je suis assez grand, ça ne se voit pas quand je suis assis ».
-La dame « D’accord, mais quelle quantité ?  Nous en avons par paquets de 10, ou par cartons de 8 paquets de 10 ».
-Moi « Je prends toujours un carton, pour ne pas devoir revenir trop souvent parce que c’est un peu gênant d’acheter ça devant tout le monde ».
-La dame « Ah mais oui, je vois tout ça dans l’ordinateur : vous prenez toujours la même chose ! Vous avez raison monsieur, c’est plus simple. Et ces culottes sont aussi plus discrètes à porter que des langes ».
Grand avantage : tout le monde autour de nous sait maintenant ce qui est le plus discret.

Une carte postale « chance » : papa m’avait parlé de la deuxième voiture de Wasmes : une Peugoet 402 de 1938. Il se souvenait qu’il en existait une photo sur laquelle on voyait bon-papa de Wasmes lorsqu’il a été mobilisé en 1938. On y voyait bon-papa en tenue militaire et dans le fond il y avait la Peugeot. Dans les 3 m³ de paperasses ramenés de St Géry, j’ai trouvé LA photo ! On y voit la voiture, ou plus exactement la moitié de l’arrière de la voiture... Cette photo complète ainsi la série de photos des voitures familiales. Pour la petite histoire, papa m’a expliqué que lorsque bon-papa a été mobilisé, il s’est vu confier la conduite d’un camion. Il a simplement refusé, disant qu’il ne conduirait jamais de camion. Il a obtenu gain de cause et a été affecté à un service administratif durant quelques semaines avant d’être renvoyé dans ses foyers.

Une carte postale « philosophie » : ces derniers mois, suite au départ volontaire  de Marieke, j’ai eu l’occasion de rencontrer des gens de tous bords pour écouter des avis, des remarques et des questionnements à propos de l’euthanasie. Des gens du monde de la Loi, de la médecine, de la psychologie, de la philosophie, des parents, des enfants, des croyants et des laïcs, des personnes en bonne santé et d’autres mal en point. C’est un sujet qui brasse des idées, des opinions très différentes, souvent opposées, parfois nuancées. J’ai entendu que la Belgique est un des rares pays qui a une loi claire et nette à ce sujet : les procédures sont définies, cadrées. Le monde de la médecine est partagé entre se tenir à l’éthique professionnelle et accepter que la science et la médecine sont impuissantes dans certaines situations, mais avouer son impuissance ne veut pas dire accepter d’ouvrir toutes les portes. Le respect de la Vie passe par le respect de la personne. Le respect de la Vie passe par l’acceptation que Dieu seul décide. Qui du conjoint ou des parents ou des enfants peut valider ou s’opposer à une décision prise par une personne ? Qui peut décider pour quelqu’un d’autre si la souffrance est supportable ? Ceci ne représente que les grandes lignes de ce que j’ai entendu. Je n’ai que peu d’expérience en ce domaine, mais pour avoir vu Marieke se tordre de douleur, tomber inanimée, crier voire hurler, alors que les anti-douleurs n’agissaient plus, n’avoir aucun répit ou période sereine, l’avoir vue ainsi, je partage son choix de dire « j’ai donné, j’ai même donné le meilleur de moi-même, sur le plan sportif, sur le plan humain (elle a soutenu nombre d’œuvres), je choisi de m’arrêter parce que je n’en peux plus ». Je repense souvent à ce petit bout de phrase d’une chanson de Jacques Brel « Mais voir un ami pleurer… » et n’avoir rien à lui offrir. C’est terrible ! J’ai connu Gunther, qui en août 2014, était un pilier pour les revalidants à Pellenberg et qui en décembre de la même année a choisi de se suicider car il n’en pouvait plus de vivre avec son corps pour ainsi dire emprisonné dans le handicap. L’actualité côté néerlandophone relance le sujet de l’euthanasie ; comme de bien entendu, la presse francophone n’en parle pas tellement…

Une carte postale « Fais attention à mes pieds, espèce d’égoïste ». Je voulais entrer dans un magasin à Koksijde ; devant moi un couple de pensionnés entre également. Monsieur franchit la porte et part à droite, madame franchit la porte et s’arrête. Elle hésite, regarde à droite, fait un pas à droite, s’arrête. Puis fait un pas à gauche et s’arrête à nouveau. Je laisse passer quelques secondes puis voyant qu’elle ne bouge plus, j’avance vers la gauche, où il y a largement assez de place pour passer. Evidemment, c’est au moment où je suis à sa hauteur qu’elle se remet en route vers la gauche. Nous nous touchons. Aussitôt elle me frappe d’un coup de poing et commence à crier que je dois faire attention, que je lui ai roulé sur le pied, que c’est toujours la même chose avec les handicapés, qu’ils se croient tout permis. Si ma roue lui était réellement passée sur le pied, elle n’aurait pas eu l’occasion de me frapper (c’est assez lourd et douloureux, demandez à Madicte ! A ce moment-là, on ne frappe pas, on se centre sur sa propre douleur). Je me suis contenté d’avancer dans le magasin en continuant son argumentation, en lui disant qu’en effet, on ferait mieux de les enfermer ces handicapés, de les attacher pour qu’ils arrêtent de nuire à l’extérieur et de causer du tort aux braves gens…

Une carte postale « Madicte au quotidien » : il y a des jours où le soleil est intérieur, où il brille dans les yeux de ma femme. Je la vois alors danser soit à la cuisine, soit dans la chambre, sur une musique qui passe à la radio. Elle chante du Simon and Garfunkel aussi bien que du Joe Dassin, du Françoise Hardy. Sa bonne humeur me porte, me relève à l’occasion. Cette chance que nous avons de faire ensemble la même croisière, avec son lot de tempêtes et de vents favorables me fait croire en la Vie ! Tu es terrible ma douce ! Tu dédramatises mes soucis, tu ris là où je voudrais râler, tu souris là où je voudrais m’excuser.

Parmi les cartes postales de notre enfance, en voici d’autres retrouvées au fond d’un vieux carton :
Au début du mois de septembre, il y a avait le rituel des cahiers à recouvrir. Papa était le champion dans ce domaine. Je le regardais faire, comment il pliait, coupait, demandait que l’on mette un doigt sur un pli. Jamais il n’utilisait de papier collant : ses pliages suffisaient à tout maintenir. Quand nous allions en vacances à la mer, on faisait des trous dans le sable sur la plage pour trouver de l’eau, c’était une découverte extraordinaire à chaque fois. Quand on allumait la radio ou la TV, les lampes devaient chauffer, il fallait attendre quelques secondes avant de pouvoir entendre ou voir l’émission. A propos de chauffer, quand nous avions de la fièvre, maman secouait le thermomètre, pour baisser le niveau de mercure. Sur les bouteilles de lait Stabilac, il était écrit « Rincez-moi svp / Spoel mij aub ». Au collège à Bruxelles, il y a avait de la bière de table en bouteille pour le repas de midi (et aussi des cruches d’eau !), si je me rappelle bien, c’était de la Piedboeuf. Il y avait à la toilette chez bon-papa et bonne-maman de Bruxelles une petite bouteille qui contenait un liquide qui « sentait bon », ou qui du moins masquait les odeurs, c’était de l’Air Wick. Il y a 50 ans, quand on regardait les toits des maisons, elles avaient presque toutes une antenne TV. En 1968, le permis de conduire est devenu obligatoire : il suffisait de le demander à l’administration communale ; jusqu’alors, les gens roulaient sans permis de conduire. Dans le journal « La Libre Belgique », il y avait un supplément pour les enfants le mercredi « La Libre Junior ». A l’école, nous étions abonnés à un petit journal « Bonjour », « Dauphin » ou « Tremplin », en fonction de l’année où l’on était. Mon premier livre érotique : le catalogue UNIGRO (fin des années ’60), vite remplacé par le catalogue des 3 Suisses ! Les chaussures Kiekers sont arrivées dans le commerce quand j’avais plus ou moins 15 ans ; j’avais de trop grands pieds et il n’existait pas de Kiekers à ma pointure (gros traumatisme de l’adolescence : n’avoir jamais porté de Kiekers). Quand nous allions faire des achats à l’Innovation à Bruxelles, il y avait un grand vide au milieu du magasin, les rayons occupaient les côtés, un peu comme un grand balcon. Tout en haut il y avait un restaurant self-service. Les entretiens des voitures se faisaient tous les 4000 km ou une fois par an (mon véhicule actuel demande un entretien tous les 40 000 km). Quand j’avais 6 ans, nous sommes partis en vacances dans le Sud de la France ; il n’y avait pas d’autoroutes, le trajet a duré 3 jours. On disait, quand j’étais petit, qu’il ne fallait pas laisser un vélo exposé au soleil parce que les pneus risquaient d’éclater. Nous étions obligés d’aller au Salut le dimanche après- midi. Chaque enfant à son tour devait lancer une dizaine d’Ave, ayant entre les mains le chapelet du curé. Le jeu consistait à en faire plus que dix sans avoir de remarques de notre maître à penser. 1968 et 1969 ont été pour moi deux années importantes sur le plan voitures de courses : apparition de la Ford Escort puis de la Ford Capri, toutes deux mises sur les marches des podiums grâce à Yvette Fontaine. A la TV, quand il y avait des films interdits aux mineurs, ils étaient  signalés par un carré blanc dans le coin inférieur droit de l’écran (et la speakerine insistait sur le caractère « réservé aux adultes »). La série de films « Angélique » était cataloguée ainsi. On mettait de véritables bougies dans les sapins de Noël, mais il semble qu’il fallait être prudent quand-même.

Voilà, c’est fini pour cette fois-ci. J’ai redécouvert Donovan, un chanteur un peu « fleur bleue » du début des années ‘70. A l’époque j’aimais bien, mais à part deux ou trois titres, ça n’a pas bien vieilli…