jeudi 26 octobre 2017

Nouvelles différées du front féminin


9 septembre 2017

Me revoilà, face à la mer coiffée d’un ciel digne de Magritte.
Les vacanciers arpentant la digue, les enfants distraits fonçant en cuisse-tax, la gente canine arrosant tous les coins à sa portée, c’est pas tout à fait fini mais ce n’est plus l’invasion… En semaine, les cheveux gris et les cannes ont pris le relais.  Mon Dieu, nous voilà faisant partie du monde des pensionnés !!!

C’est la quatrième rentrée des classes que nous loupons.  Nous savons que nous n’en aurons plus. 

Je suis officiellement, irrémédiablement  pensionnée. En Flandre, au Ministère de l’Enseignement, on ne traine pas: convocation le 4 avril devant la Commission des pensions, décision sur place, confirmation écrite quelques jours après, entrée en vigueur de la décision le premier mai et paiement en règle fin du mois.  Au Sud du pays, on n’a pas le même sens de l’efficacité au Ministère : je vous passe le détail des convocations inutiles pour bien constater que Pierre n’est pas en mesure de reprendre son travail. En janvier on lui a dit qu’il serait  à nouveau convoqué en juin par la  Commission et qu’on le mettrait au plus tôt à la pension en décembre.  Il n’a toujours pas été convoqué par la Commission, il vient de repasser un x-ième contrôle en septembre de nouveau auprès d’un nouveau médecin qui découvre devant nous le dossier et nous refixe rendez-vous en octobre parce qu’il n’a pas vraiment le temps d’étudier la question à fond.  Enfin, on va vers une consolidation et la détermination des séquelles définitives liées à l’accident justifiant une mise à la pension anticipée.

Le premier week-end de septembre nous avons accueilli mes compagnes ex-cancéreuses avec qui j’ai partagé le voyage au Portugal au  mois de mai. Que de joyeuses retrouvailles ! 
Toutes nous avons vécu cette traversée du désert, cette épreuve décapante de la maladie qui nous laisse meurtries, mais plus riches de compassion et d’amitié. Sœurs du même combat, nous nous comprenons d’un regard. Pas besoin de se dire l’enfer qu’il faut traverser pour sortir de la maladie.

Récemment on parlait dans les médias flamands de la difficulté des « rescapés » du cancer de se retrouver une santé et un rythme « normal » de vie. La société ne tient pas suffisamment compte des difficultés physiques et psychiques qui perdurent une fois qu’on est sorti de la grosse artillerie médicale.

Il est difficile d’exprimer aux personnes qui vous disent que vous avez l’air en forme, qu’au fond vous ne vous sentez pas vraiment en forme.  Ce n’est pas parce qu’on n’a plus de chimios à supporter que le traitement est fini.  Les cheveux ont repoussé, on essaye de se remplumer, de faire bonne figure.  Les contrôles s’espacent un peu, on a plein de « bobos » récurrents, mais on n’a même plus envie de les énumérer à l’oncologue qui se veut rassurant en disant que les analyses sanguines ne révèlent rien d’alarmant.  Quand on signale qu’on se sent parfois déprimé, on apprend que cela fait partie des nombreux effets secondaires du traitement antihormonal que vous devez vous tapez pendant cinq ans minimum. Comme seule remède on vous propose un antidépressif.

C’est merveilleux, les chiffres de rémission du cancer montrent une belle courbe, mais à quel prix ?
« On n’a plus le cancer, de quoi se plaindrait-on ? »
J’ai l’impression d’être passée par une moulinette, je ne sais pas dans quelle mesure mon corps retrouvera sa résistance, je constate que dès qu’il y a un microbe dans le coin, il est pour moi.  Moi qui ne prenais jamais d’antibiotiques, j’ai dû en faire quatre fois une cure en moins d’un an pour diverses infections.
Ma fatigue est chronique, tout déplacement important est un effort à fournir. Il faut chercher l’équilibre entre une vie sociale nourrissante et le respect des limites physiques  qui ne sont pas comparables à celles d’une personne de mon âge en bonne santé.

Quand je demande à l’oncologue le temps que durera certains effets secondaires des traitements, elle ne peut me donner de réponse.  Elle dit que les gens avec le temps semblent moins se plaindre. Si je suis comme eux je sais que c’est parce que ça ne sert de toute façon à rien.  Je n’ai pas le sentiment d’avoir vraiment le choix.  Arrêter ce traitement antihormonal  est faire un geste de résistance qui, si  on en croit les statistiques, pourrait se solder par une rechute.  Personne n’a envie d’avoir le cancer, et je vous assure que ceux qui sont passés par là ont encore moins envie de repasser à la casserole.
Tous les traitements que j’ai subis après mon opération étaient « préventifs », le cancer avait été éradiqué par l’ablation de mon sein. Mais on ne pouvait prendre de risques, donc on a sorti la grosse artillerie « met alles erop en eraan » comme on dit chez nous.  Le traitement antihormonal est une bagatelle par rapport aux chimios et à la radiothérpie.  Ce n’est qu’une petite pilule à prendre tous les matins. Mais quand on vous la prescrit, on ne vous dit pas à  quel point elle est toxique pour le foie, à quel point vous allez « profiter » pleinement de tous les symptômes de la ménopause et d’autres bobos « négligeables » en regard du monstre qu’est le cancer (fatigue, douleurs articulaires, infections urinaires récurrentes, etc.)

Nombreuses sont les femmes qui en cours de route finissent par abandonner ce traitement, tellement il est pénible à supporter pour elles, mais aussi parfois pour leurs proches qui en sont les victimes collatérales lorsque les changements d’humeurs deviennent récurrents.
J’avais désappris à lire les notices accompagnant tous les médicaments qu’il me fallait prendre, tellement elles étaient dignes d’un film d’horreur.  Je me souviens d’une injection qu’il fallait me faire après certaines chimios pour permettre aux globules de se régénérer plus rapidement. Il y était mentionné parmi les effets possibles le développement d’une leucémie…  Evidemment, c’est comme gagner au Lotto, il y a peu de chances que cela vous arrive… et là, on espère ne pas faire partie des « heureux » élus.

Me préparant à un gros contrôle le 12 octobre et voulant négocier avec l’oncologue le remplacement de mon traitement antihormonal « poids lourd » par un traitement moins toxique, j’ai quand même parcouru pour la première fois la notice du médicament que je prends depuis mars 2015.
Je vous épargne de la liste joyeuse des effets secondaires, très fréquents, fréquents, peu fréquents, exceptionnels, mais je peux vous dire que je fais partie des 10 sur 100 «  gagnantes » de la plupart des effets fréquents. 

26-10-2017

Nous voilà un mois et demi plus loin.  Le gros contrôle oncologique est derrière le dos.  R.A.S.  Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes…
J’ai pris mon courage (ma témérité ?) à deux mains et j’ai annoncé à l’oncologue que ce matin-là j’avais arrêté mon traitement antihormonal préventif qui m’empoisonne la vie et la santé.  Devant ma détermination elle a proposé un deal: j’arrête pendant 6 semaines, puis je reviens et on rediscute le coup en fonction de mon état.  Elle savait bien que si elle me prescrivait l’autre traitement tout de suite, je n’irais de toute façon pas le chercher à la pharmacie.  Elle est sympa cette toubib, pleine de gentillesse et de compassion.  Elle est obligée de suivre les protocoles et les statistiques qui dictent un traitement antihormonal de 5  ans pour augmenter les chances de non-rechute, elle ne peut donc souscrire à mon désir de stopper définitivement ce que moi j’appelle ce poison.  Je lui ai exprimé ma compréhension de la situation, mais aussi que finalement c’est moi qui dois assumer et prendre les décisions concernant ma vie et ma santé.  Tout est une question de point de vue: elle, elle doit suivre les diktats du monde « scientifique » soutenu par les lobbys pharmaceutiques , moi mon corps me dit qu’il supporte de moins en moins ce traitement que je lui fais subir, ma qualité de vie physique et mentale régresse et je n’ai plus envie de vivre ainsi. De toute façon la médecine classique ne garantit pas la non-rechute si je suis scrupuleusement ses conseils et je sais bien que ma santé est aussi fortement liée à un ensemble de facteurs, dont la sérénité et le bien-être mental. Le stress est à éviter au maximum.
Je suis aussi suivie par deux autres médecins compétents spécialisés l’un en médecine traditionnelle chinoise et l’autre en médecine corporelle énergétique. Tous deux comprennent à quel point les effets secondaires de ce traitement antihormonal me minent car il est très toxique pour le foie.  Les douleurs articulaires, la fatigue, la déprime, les troubles digestifs en sont des conséquences reconnues. Mon médecin de famille, elle aussi, elle me comprend et me signale qu’elle a d’autres patientes qui ont arrêté ce traitement en cours de route, tellement les effets secondaires devenaient handicapant.

Bref, après trois ans de traitements préventifs, je dis BASTA, trop is teveel, ça suffit, j’en ai ras la patate !!!  A force de vouloir éloigner le loup de la bergerie en fermant toutes les portes et les fenêtres, les moutons se meurent d’asphyxie. (c’est de mon crû)

Maintenant j’applique un autre traitement anti-cancer : j’ai démarré un traitement en phytothérapie désintoxiquant le foie, je veille à une alimentation et une hygiène de vie saine. J’essaye de me réapproprier ma vie, de trouver un équilibre entre mon dévouement pour les autres et mon « me-Time », de refaire des choses que j’aime, de prendre le temps de prendre le temps comme dirait Alexandre le Bienheureux.  Je suis retournée à la chorale du village où j’ai retrouvé le plaisir de chanter ensemble dans la bonne humeur.  J’apprends aussi à dire non, à décliner les propositions contraignantes par lesquelles je me sentirais piégée.
C’est incroyable, mais déjà quelques jours après ma décision, je me sentais mieux.  Plus de fortes douleurs de mise en route le matin au réveil, plus de vapeurs aussi envahissantes jour et nuit, plus de déprime qui me tire vers le bas… Quel soulagement ! J’avais oublié qu’on pouvait se sentir si bien dans sa peau et dans sa tête.

OUF- TI !  La vie est belle !

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