Me revoici… le temps passe, il y a des périodes où le corps lasse le
mental, surtout lors d’infections à répétition . Cela provoque des
distorsions permanentes en moi : envie d’aller bien, d’aller mieux,
d’aller de l’avant. Et en même temps lassitude des langes à changer, de la
lessive sale. Envie d’en voir le bout… Puis reprend l’envie de continuer comme
si de rien n’était, participer aux 20 km de Bruxelles, accepter les invitations
aux mariages, aux anniversaires. Et puis à nouveau envie de jurer, de gueuler,
d’envoyer promener tout ce qui passe à portée de main (malheureusement, donner
des coups de pieds dans n’importe quoi, c’est très peu efficace en cette
période de ma vie…).
Bien des choses ont une toute autre valeur pour moi : le temps par
exemple. Je me programmais une matinée rangements et me suis rendu compte après
2 heures de déplacements que je n’avais pas fait la moitié de ce que j’avais en
tête. Mon envie de préparer un repas pour faire plaisir à Madicte, pour la
décharger et lui donner un peu de temps libre, est juste resté une envie !
Il était 13.00 h bien sonnées et rien n’était prêt à manger…
Autre chose qui a
pris une autre valeur : les objets. Je me trouve encombré d’objets qui
prennent de la place, j’ai envie d’éliminer, de donner, de jeter. Et en totale
contradiction avec cette idée, alors que nous avons commencé à vider la maison
parentale, je récupère des objets ! Je ne sais pas où les stocker… Je me
rends compte que la génération qui nous suit est peu intéressée par ces objets
qui ont une histoire à mes yeux. Peut-être parce que j’en fais mon histoire et que ce
n’est pas la leur ? Je pourrais m’en passer puisque mon idée de
transmettre n’a pas beaucoup de sens… Mais alors ces objets partiraient vers
des étrangers, dans une brocante, ce qui m’attriste. Ceci dit, lorsque je
replierai mon parapluie, c’est aussi ce qui arrivera ! Ce que j’aurai
accumulé avec plaisir sera sans aucun doute sans intérêt pour ceux qui me survivront. Mais je n’en aurai plus le souci. Que c’est
compliqué !
J’ai bien sûr quelques cartes postales à vous envoyer !
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La première est envoyée depuis mes activités sportives à
Leuven. Nous avons un groupe de « cassés » qui participent à …. (Conditietraining ?).
Entre autres, chaque semaine nous devons parcourir le tour d’un terrain de
sport durant 5 minutes en nous donnant à fond. En février 2017, quand j’ai
commencé, je faisais 4 tours en 5 minutes. Actuellement je suis à 7 tours et un
quart. Cela se passe toujours à l’intérieur dans un grand hall de sport. Ces
dernières semaines, le soleil aidant, nous avons eu nos activités à
l’extérieur. Le circuit à parcourir était très différent : nous avions la
piste d’athlétisme à notre disposition. Une piste synthétique de 400 m, pas
facile pour les chaises roulantes. Bref. Départ ! En avant ! Je vise
la corde et arrive à suivre 3 « piétons » du groupe. Après 200 m, ils
prennent de la distance, je ne pourrai pas m’accrocher… Je n’entends pas
grand-chose derrière moi ; la chaise la plus capable de me tenir tête est
conduite par Liva, une dame amputée des deux jambes (la gauche et la droite).
Dans les autres exercices, nous nous valons. Parfois elle est plus rapide,
parfois c’est moi. J’ai la force des bras pour moi, elle a l’avantage du poids…
(on peut rire). Les 400 premiers mètres sont avalés en 3 minutes et quelques
secondes. Je suis toujours 4ième du peloton, qui est de plus en plus
étiré. Il faut se dire que certains piétons n’ont parcouru que 150 m, ce qui
est pour eux un record impressionnant. Respect ! J’entame le deuxième
tour, sachant qu’après 5 minutes, je serai à l’autre bout de la piste et
pourrai terminer à mon aise. Pour le moment je donne dix coups de roues et me
laisse aller quelques secondes, mais la piste me freine très vite. Et voilà que
j’entends une voix enjouée, très féminine qui me dit « Coucou Pierre ! ».
Voilà Liva qui me dépasse à une vitesse incroyable . Je pense que je suis
sur la mauvaise piste : celle qui monte, alors qu’elle est sur celle qui
descend ! En fait, non ! la piste est toute plate… Elle me prend 5 m,
puis 10 m. Potferdek, on ne joue plus là ! Je me dis qu’il n’est plus
question de me laisser aller tous les 10 coups de rame. Et puis… voilà que Liva
craque, elle n’en peut plus. Je la rattrape en quelques coups de roues. Nous
rigolons (surtout moi). Pas la peine de poursuivre la compétition : les 5
minutes sont écoulées : nous allons nous traîner jusqu’à la ligne de
départ et d’arrivée. Pour info : Marieke Vervoort fait 100 m en 19
secondes !
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Carte postale sportive : mes 20 km de
Bruxelles ! il y a une semaine, je suis passé chez Viviane, notre médecin
de famille. Prise de sang (même pas peur, même pas mal !) ; les
résultats étaient bons, tous les chiffres montrent que je suis en bonne santé. Samedi,
préparation technique : pneus bien gonflés, lunettes casque, velcro pour
empêcher les pieds de glisser, etc… Je charge déjà le handbike dans la voiture.
Ce dimanche matin, réveil très tôt : à 04.45 h. J’essaye de ne pas faire
trop de bruit pour épargner ma belle. Comme je perçois des signes de vie sous
sa couette, je me risque à un gentil « Bonjour ma tendre ». Ca
s’agite un peu, je vois un petit doigt réagir… A moins que ce ne soit le
majeur ? Dehors les oiseaux sont déjà en plein concert, je ne suis donc
pas le premier éveillé dans la rue. Allons-y pour le cérémonial matinal : je
prends ma tension : 17.5 sur 10.8, c’est beaucoup trop ! Surtout ne
rien dire à Madicte…. Je mets ces chiffres sur le compte de mes appréhensions
refoulées, sans doute un peu de stress sous des apparences décontractées. Ca
passera. Puis je me sonde, je passe sur la toilette, je me rase, je passe sous
la douche, je retourne sur le lit pour m’habiller tout ça en un peu moins de 2
heures (« Bonjour ma Tendre, désolé de t’éveiller de si grand matin »
- « Tu seras prudent, hein ? On annonce de fortes
chaleurs » - « T’en fais pas, il y a des stands de la
Croix Rouge un peu partout, et tous ne pratiquent pas l’euthanasie »). Frédéric
arrive vers 06.30 h, nous sommes dans la voiture un peu avant 07.00 h. Route
pèpère jusque Bruxelles, parking facile. Nous allons chercher nos dossards
(ceux qu’on met sur le ventre), François nous rejoint. L’équipe est complète,
on peut se diriger vers le box de départ des moins valides. Je salue des
connaissances (c’est un monde très fermé, les handicapés, on connait toujours
quelqu’un…). Mes acolytes s’échauffent sur la pelouse, nous sommes prêts !
Départ, en avant ! Cette année nous empruntons la Rue Bélliard
(explication personnelle : nous ne passons donc pas devant l’ambassade des
Etats- Unis… Ne les mettons pas sous pression !). L’énergie est là, la
force aussi. Mais les lois de la physique me rappellent que dans une côte, mon poids part vers l’arrière et ma roue
motrice, à l’avant de l’attelage, a tendance à patiner. J’ai donc besoin de mon
« push team ». On limite leur aide au strict minimum, je dois le faire
le plus possible seul. Devant le Palais, les pavés ne me posent pas de
problème : j’ai fixé mes pieds avec une bande velcro. En route pour le
Palais de Justice. Les derniers 100 m demandent encore de l’assistance. Nous
franchissons par le tunnel le carrefour entre l’avenue Louise et le petit ring.
Tiens, je pensais que ce tunnel était fermé à la circulation à cause d’un
risque d’effondrement. Mais non : il est ouvert ! Peut-être à la
demande de Maggy De Block ? En cas d’effondrement, cela pourrait faire
faire des économies à la sécurité sociale, quelques dizaines de handicapés
rayés des listes… (sans parler de leurs accompagnateurs). Bon, reprenons :
sortir des tunnels reste un souci, je fais appel au « push team ».
Tiens je passe là où le premier piéton m’avait dépassé il y a 3 ans, au km 4,5.
Aujourd’hui j’irai jusqu’au km 6,5 avant d’être rattrapé par le premier coureur
à pied. C’est un beau progrès pour moi. Les autres suivent rapidement. Tiens,
la première femme ! Ah… non, c’est un homme avec de longs cheveux… Les
piétons arrivent maintenant par grappes. Les premiers ont vraiment des muscles saillants, ils ne sont
pas très grands. Cela me rappelle une expression des cousins Renard :
« Pas une once de graisse ! », c’est vraiment le cas. Les
premières tapes sur l’épaule, les encouragements complices : ça fait du
bien, tout comme les spectateurs qui nous motivent tout au long du parcours. Il
y a les groupes musicaux, les percussionnistes qui donnent l’envie d’avancer au
rythme de leurs tambours. Good vibrations ! J’ai un sentiment particulier : nous ne
formons qu’un ! Tous rattachés à une grande âme, à une Unité. Jusqu’ici,
dans les descentes ou sur le plat je dépasse pas mal de monde, mais dès la
première côte, pas mal de monde me rattrape. C’est un jeu, on se salue en se
disant qu’on se reverra soit au pied de la prochaine côte, soit dans la
prochaine descente. Fin de la chaussée de la Hulpe et début du boulevard du
Souverain, vers le km 12, je prends le large : ça descend, ou alors c’est
plat. Jusqu’au pied le l’Avenue de Tervueren, je fonce (deux fois une pointe à
38 km/h - Là on ne rigole pas je dois être prudent avec tous ces piétons qui courent
au milieu de la route). Voilà la côte… Je perds de ma superbe : à peine 2
km/h… Les ravitaillements en eau le long du parcours rendent le sol très
humide : ma roue avant patine ! par deux fois je demande de l’aide
pour une courte distance, histoire de m’extraire de la zone humide et de
retrouver un peu de vitesse. Pour les 300 derniers mètres de côte, avant le
palais Stoclet, François m’a rejoint,
juste au bon moment. Dernier plat, les derniers 1000 mètres, je repars seul. Quelques
dizaines de mètres avant la fin, j’entends qu’on m’appelle. Cette fois il ne
peut y avoir qu’un seul Pierre, c’est moi ! Oui, je Vois Marie et d’autres
personnes me saluer ; ça fait chaud au cœur ! Je franchis la ligne
d’arrivée, ému of course, mais surtout heureux ! Merci Frédéric, merci
François ! Tiens, voilà Bernard, un collègue de Mousty. Où est
Patricia ? Loin derrière… je ne la verrai pas aujourd’hui! Cette fois
j’étais inscrit dans l’organisation de Handicap International. Super team, avec
des gens motivants, accueillants ! Belle organisation, tout le monde était
pris en compte (juste un truc : les tables hautes pour le sandwich de midi :
un peu hautes pour les chaises roulantes…. Ah ah ah). J’ai aussi été étonné du
peu de chaises roulantes inscrites pour soutenir Handicap International :
nous étions deux… Certes, des dizaines de « marchants » étaient
inscrits (près de 400 !). je me dis qu’ici en Belgique nous avons la
chance, nous les moins valides, d’avoir du matériel de qualité à notre
disposition. Comment ne pas en faire profiter d’autres ailleurs, là où les
victimes de conflits sont laissées pour compte ?
-
Chacun son sport : ce dimanche Madicte participait à
la procession dans le village avec la chorale de la paroisse. Elle a aimé. Sauf
quand, sur le parking, un des chevaux du cortège a décidé d’emboutir sa
voiture. Un petit bloutch dans la carrosserie… Comme quoi, tous les sports sont
dangereux ! Je m’inquiétais fort pour elle : partir seule ainsi,
presque sans préparation. Prendrait-elle son parapluie ? Aurait-elle de
bonne bottines de marche ? (elle dit toujours godasses, que ce soit pour
un mariage ou pour la montagne…) A-t-elle bu assez avant de partir ? On
annonce de fortes chaleurs (il y a bien des cafés le long du parcours, mais…)
Aurait-elle assez de crème solaire ? C’est dur de lâcher prise…
Voilà… Je choisis de m’arrêter afin de poster ce récit rapidement après les
20 km. Merci 1000 fois pour les encouragements, les petits mots sur FB, les
pensées positives ; vous êtes terribles ! Merci encore une fois à
Frédéric et François !
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