mardi 20 août 2019

Post tenebras lux




Voilà… mes journées passent lentement ici à Gasthuisberg. Actuellement ma blessure ne demande pas de soins quotidiens, juste une intervention sur le billard plus ou moins tous les 5 jours.
Donc je vois les infirmiers, infirmières pour la toilette, les repas, les prises de sang, les doses d’antibiotiques toutes les 6 heures, le contrôle de la température et de la tension. Pas d’activités physiques, pas de chaise roulante, pas de kiné, de natation, pas de basket, je me mets moi-même en mouvement avec les bras pour ne plus perdre trop au niveau des muscles. Donc pas mal de moments de solitude, que je vis plutôt bien.
Voici quelques extraits de messages envoyés à l’un ou l’autre, cela vous donnera une idée de mon quotidien :

-En faisant très court  c'est une infection d'une blessure à la fesse qui m'a amené aux urgences. Le côté sournois de cette infection est que ça s'est surtout développé en profondeur, quand on l'a vue en surface l'os était atteint. Il a fallu plusieurs opérations pour nettoyer et assainir la plaie. Ce 15 août  ce sera la 5ième fois que je passe sur le billard. Chaque opération en prépare une autre, l'objectif étant de prendre un morceau de muscle ailleurs pour "boucher le trou ". Mais pour cela il faut que l'intérieur de la plaie soit impeccable, disons même à l'image de Marie,  qu'elle soit immaculée (ah ah, référence au 15 août), mais en ce qui me concerne on ne met pas de majuscule.   
Madicte est formidable,  d'une patience d'ange,  avec la force de l'amour,  elle est à la fois active,  présente,  efficace,  souriante, courageuse,  disponible, et j'en passe. 

C'est amusant, je préfère parler de ma femme plutôt que de mes fesses et pourtant il me faut moins de mots pour y arriver... 

-Ici la vie monacale donne le rythme (en gros, frénésie style escargot). Plus de fièvre, les opérations se succèdent, le moral est bon.
-Mes journées sont plutôt plates… sans grand intérêt. Ce qui est encore le plus passionnant, ce sont les jours d’opérations, hormis le fait de rester sans manger et sans boire, car je vois du monde : d’abord la personne du service logistique qui vient me chercher. Pendant le trajet de la chambre à la « salle d’attente », on papote. Ces personnes-là, qui ne font que véhiculer les gens toute la journée, parcourent sans problème 18 à 20 km par jour ! Puis il y a l’infirmier / ière de la « salle d’attente » qui me demande mon nom, ma date de naissance, pourquoi je suis là, si on m’a bien dessiné une flèche au marqueur indiquant où je dois être opéré (contrôle visuel), si je n’ai pas de fausses dents, si j’ai des allergies (c’est tout un protocole, qui devient un rituel pour moi – j’ai une fois demandé pourquoi on posait toujours ces questions-là, et pas par exemple quel est le nom de votre chat, ou de votre chien. Résultat, une infirmière que j’ai vue plusieurs fois m’a demandé la dernière fois comment s’appelle mon chat !). Puis j’arrive dans la salle d’opération… où l’on me repose exactement les mêmes questions avec en plus un contrôle buccal : il faut ouvrir la bouche bien grande! Il y a certaines personnes que je reconnais, entre autres des anesthésistes. La première fois que je suis arrivé là, je me sentais stressé et j’ai demandé si personne n’avait une blague à raconter. Dans chaque équipe, il y a le comique de service, j’ai donc eu droit à ma blague. Et lors de mes deux derniers passages sur le billard, ils connaissent leurs dossiers, j’ai été accueilli par un « Mijnheer de Tender ! Wij hebben een goeie voor U ! » (Nous en avons une bonne pour vous). C’est là qu’on se sent vivre! Good vibrations!

J’avais écrit des cartes postales au début de mon séjour, les voici seulement.
Carte postale « ombres chinoises » : ce dimanche, le soleil termine sa course entre les immeubles de Gasthuisberg et arrive jusqu’à notre chambre. Comme l’infirmière soigne ma blessure et change les pansements, elle a tiré le rideau entre mon voisin et moi. Je suis allongé sur le côté droit et après quelques minutes je découvre l’ombre chinoise de mon voisin, couché sur son lit… Contrairement à moi, il n’est pas inactif: il va chercher de la matière première dans son nez puis commence un minutieux travail de façonnage : il roule ladite matière entre le pouce et l’index pour former une petite boulette (ça dure au moins 30 à 45 secondes par boulette). Puis, avec la désinvolture de l’artiste parvenu au sommet le la gloire, il laisse son chef d’œuvre tomber sur le sol. Comme ça ne fait pas de bruit, je ne sais rien vous décrire de la chute. Bloqué au lit, je ne risque pas d’être somnambule et de détruire cet art éphémère en le piétinant durant la nuit…

Une carte postale « solidarité » : en juin, nous sommes partis avec trois couples d’amis dans une maison dans le Gard. Nous y sommes déjà allés l’an passé, invités par les amis et cousins proprios des lieux. Parmi les activités auxquelles j’ai participé, il y a eu deux mémorables tournois de pétanque. Le premier sur la place du village, le second dans le jardin de la maison (un vrai boulodrome !). Très heureux de notre position de derniers au classement à l’issue du premier tournoi, Martine et moi avons refait équipe pour la suite. J’ai signalé que mes mauvais résultats étaient dus à ma position assise ; le groupe a alors suggéré que tout le monde soit mis sur un même pied d’égalité et l’on a amené une chaise à côté de moi. Nous avons tous joué assis ! Cela a juste confirmé notre position de derniers au classement…



Carte postale « on ne va tout de même pas demander à un handicapé ! » : Madicte et moi revenions du village (toujours en France) ; elle photographiant fleurs et autres beautés de la nature sur les bas-côtés, moi prenant quelques mètres d’avance à chacune de ses haltes. Soudain une voiture venant vers nous s’arrête à ma hauteur, la fenêtre passager s’ouvre et une jeune dame commence à me demander quelque chose dans un langage très simple (toi comprendre moi ? Moi pas parler trop vite ? – j’exagère à peine!). Juste au milieu de la question, Madicte surgit derrière moi. Aussitôt le chauffeur interrompt sa passagère et dit qu’on va demander à la dame. Il ouvre sa fenêtre et se penche en faisant signe qu’il faut venir écouter de son côté. Ce n’est pas la première fois que ça arrive : les gens s’adressent plus facilement à l’accompagnateur qu’à la personne en chaise roulante…

Actuellement, il n’est pas question que je quitte le lit, je ne sais donc rien de ce qui se passe dans le couloir. Il y a des bruits, des rencontres, des conversations mais auxquelles je ne participe pas. Ce n’est pas ma rue, c’est juste un couloir. Un peu isolé de l’animation, je prends cela avec philosophie.

On pense que l’infection est arrivée suite au travail préparatoire à une coloscopie (du grec Kolos, qui veut dire géant ; et du wallon Co pis, qui signifie encore plus grave – une coloscopie est donc un contrôle afin de s’assurer que rien n’est disproportionné - dans la tuyauterie).


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