Souquez les artimuses !
Il y a si longtemps que je n’ai plus pris mon clavier.
C’est normal, quand on n’a rien à dire, on ne le dit pas.
Les onze derniers mois ont été particuliers pour tout le monde et ma petite
vie n’a rien d’extraordinaire… Si je cherche, j’ai peut-être l’une ou l’autre carte
postale à vous partager. Mais habituellement ces cartes postales ont un côté
humoristique… parfois un peu philosophique, or il se fait que je n’avais pas
grand-chose de comique qui me soit arrivé à vous partager. Cependant…
La première carte postale s’intitule « ne rien faire est aussi parfois
dangereux ». En juillet je me suis rendu à Gasthuisberg pour un contrôle.
Pendant que Madicte faisait la file pour m’inscrire (elle prend souvent les
choses en mains), j’attendais dans le grand hall d’entrée. Soudain j’ai entendu
un bruit terrible tout près de moi. Premier réflexe : un attentat, mais
dans la seconde je me suis rendu compte que ce n’était pas possible. Pas de
cris, pas de fumée ou de poussière. Donc ce n’était pas non plus un morceau du
plafond qui nous tombait sur la tête. Cinq ou six secondes ont été nécessaires
pour me décrisper et tourner la tête pour essayer de comprendre et découvrir ce
qu’il s’était passé… Il y a un espace réservé à des terminaux informatiques
pour les gens qui s’inscrivent seuls pour les consultations et autres rendez-vous.
Ces écrans sont fixés dans des boîtiers métalliques eux-mêmes fixés sur des
socles bien lourds, pour éviter des les faire choir.
Or… il y a moyen de les faire choir ! Un vieux monsieur a perdu
l’équilibre et a voulu se rattraper à l’un de ces appareils, bien trop léger
pour résister au poids d’un Belge moyen.
Donc tout a volé par terre et a atterri à 10 cm de ma roue gauche. On dira
qu’un ange gardien a veillé à ce que je me parque à cet endroit, car 20 ou 30
cm plus près des appareils, c’eût été pour ma pomme, ou pour ma poire. Les
angles du boîtier métallique auraient de loin été plus fort que mon petit
crâne, qui en a pourtant déjà vu d’autres. Un gardien a redressé l’appareil,
des gens bienveillants ont d’abord assis le vieux monsieur à même le sol et se
sont occupés de lui.
Et une douzaine de badauds ont sorti leur smartphone pour filmer et prendre
des photos. Ainsi ils ont eu quelque chose à raconter, photos à l’appui (contrairement
à moi, qui ai pris la photo deux mois après pour vous permettre de visualiser
ma prose).
Toujours Gasthuisberg, quelques mois plus tard: début décembre, je me
présente à un contrôle et passe une heure dans une salle en compagnie de deux
charmantes dames en blanc, où l’on mesure la capacité de ma vessie (c’est un
exercice sérieux, qui n’a rien à voir avec les exercices estudiantins qui se
pratiquent souvent avec de la bière et via la bouche; moi c’était du sérum physiologique
et directement par la sortie). Trois jours plus tard nous recevons un coup de fil
de Gasthuisberg nous expliquant que l’une des infirmières qui s’est occupée de
moi a été testée positive au Covid. Je dois donc également me faire tester,
mais après un temps nécessaire pour l’incubation. Me voici donc en quarantaine
durant 6 jours. Plus aucun contact, plus de kiné, plus de sortie, plus de câlins
avec ma femme préférée. Je savais que l’isolement n’est pas marrant; ici je
l’ai vécu complètement. J’ai évidemment pensé à maman, qui a vécu la
quarantaine dans son home après avoir été testée positive, enfermée dans sa
chambre, recevant les repas de personnes complètement emmitouflées, masquées,
sans aucun contact physique… C’est terrible.
Carte postale « quand votre famille s’agrandit » . Nous avons eu
la grande et bonne surprise d’apprendre que Jan et Emilie attendent un enfant !
Il y avait un petit emballage cadeau caché au living et nous devions d’abord le
trouver. L’emballage contenait le test de grossesse positif. Yéééé ! Nous
voilà en route pour une nouvelle aventure de la Vie ! Il a fallu garder la
nouvelle secrète jusqu’à ce que les futurs parents l’annoncent eux-mêmes, ce
qui est fait. Nous avions déjà depuis longtemps choisi comment nous nous
appellerions en tant que grands-parents: mon attachement au coquelicot (pour la
symbolique de cette fleur et son rappel du souvenir des anciens combattants) m’a
fait choisir Poppy. Mais pour Madicte ce ne sera pas Mommie 😉 ! Elle a
choisi Mamie…
Je ne sais pas comment vous réagissez face à vos rêves… Moi je ne m’en
souviens pour ainsi dire jamais, juste parfois une bribe, une image sans plus.
J’ai une fois entendu cette phrase à la radio « Un rêve qui n’est pas
interprété, c’est une lettre qu’on n’a pas lue ». J’ai juste constaté dans
le tout petit peu de ce qui reste lors de mon réveil, c’est que je ne suis
jamais en chaise roulante, je marche comme tout le monde.
La suite n’est plus vraiment des cartes postales, ce sont davantage des
états d’âme. Tout ce que je fais se fait bien plus lentement qu’autrefois, j’ai
vraiment l’impression que tout tourne au ralenti. N’ayant plus d’activité fixe,
je me sens régulièrement inutile. Je me sens limité au niveau de l’espace de
vie, limité dans ma capacité à réaliser certaines choses, j’ai envie d’essayer
et dois parfois insister pour pouvoir essayer. Bien des gens veulent m’aider,
dans les magasins par exemple. J’explique alors que c’est très gentil et amical
de me proposer un coup de main, mais je préfère essayer seul, pour me donner un
sentiment d’autonomie, pour ne pas devenir paresseux, pour entretenir ce que je
sais faire, pour essayer d’encore progresser. Les gens comprennent bien et
parfois sur le parking du Colruyt une conversation s’engage. J’ose aussi
demander si un produit est trop haut dans les rayons. Il y a des domaines que
Madicte a pris en mains il y a 6 ans et demi, des domaines où elle a posé sa
marque, placé son organisation et où je ne me retrouve pas. Je gérais certains
dossiers à ma manière autrefois et n’arrive pas à entrer dans son organisation
(qui n’est pas mauvaise, loin de là ! mais qui n’est pas la mienne). J’aimerais
peu à peu reprendre la main pour certaines choses, mais en alliant nos deux
systèmes. Elle a pris en mains le décompte des frais à transmettre à l’avocat
et est arrivée à saturation ; je devrais logiquement prendre le relais
mais nous devrions organiser si pas une passation de pouvoir, à tout le moins
un glissement de compétences. J’ai une boule dans le ventre quand je vois qu’il
n’y a tout simplement pas de place pour déposer les dossiers qui s’amoncellent
au living. Mon « bureau » dans notre chambre est une sorte de refuge mais
qui est largement insuffisant pour ce que je voudrais organiser.
J’ai une reconnaissance infinie envers les amis qui viennent donner un coup
de mains pour le jardin, j’ose demander, dire si c’est ok ou non. Ils se sont attaqués
à l’intérieur (garage, atelier, lavanderie + la cabane de jardin : quatre
lieux où s’accumulent des objets que nos enfants jetteraient sans même se poser
de questions si nous devions disparaître maintenant). Dans ma précipitation à
vouloir éliminer, je vais peut-être un peu vite parfois. Je voulais donner deux
vieux ordis à une école, mais ils ne convenaient pas. Donc je me suis dit
qu’ils étaient bons pour le parc à conteneurs ; Madicte m’a demandé
d’attendre (yéééé !). Et voici qu’il y a quelques jours elle a trouvé en
la personne d’un réfugié une destination au moins vieux des deux ordinateurs.
Via Frédéric et la Défense, il a été nettoyé et remis en état avant d’être
donné. Mais je n’envisage pas le même parcours pour du vieux (très vieux)
matériel de camping et d’autres objets que je ne citerai pas ici
(sérieusement :j’ai honte de ce que nous gardons parfois !). Bref
pour le moment il y a aussi des pensées moins lumineuses… Lors de cette journée
« on fait le vide », nous avons mis des objets devant la maison, avec
un panneau « gratuit ». Un monsieur kosovar est passé, a tout pris et
a demandé si nous n’avions rien d’autre. Nous lui avons trouvé du matériel de
camping, il était très content. Et moi aussi. L’atelier m’est de nouveau
accessible, je pourrai aller chercher moi-même un tournevis, de la colle, etc…
Les plans définitifs des adaptations de la maison sont prêts, le permis de
bâtir est dans la poche. Peut-être verrons-nous la fin des travaux cette année ?
Au risque de me répéter, j’ai le grand bonheur de voir chaque matin Madicte
danser, virevolter, chanter autour du lit. Les leçons de piano lui demandent
beaucoup d’exercices ; elle s’entraîne donc de nombreuses heures chaque
semaine. Je n’ai que du plaisir d’entendre les morceaux qu’elle joue ainsi que
les gammes (« Et vos gammes Monsieur Wagner ? »). Nous nous
disons régulièrement la chance que nous avons de nous être rencontrés il y a bientôt
41 ans. Notre chemin a été original, mais je ne regrette rien. Je re-signe
chaque jour pour un nouveau bail.
Voilà… désolé pour le peu de cartes postales… ma vie est quelque peu monotone.
Si vous avez l’occasion, redécouvrez la musique du groupe « Rondo
Veneziano », c’est entraînant et ça met de bonne humeur !