Voici 8
semaines que je suis rentré à la maison… Un temps un peu trop long durant
lequel je suis resté silencieux (ouf, dirons certains). Et vos messages, sous
diverses formes continuent à nous parvenir de manière constante: vous demandez
de nos nouvelles, vous nous encouragez, vous venez nous rendre visite. Nous
sommes en permanence dans vos pensées, dans vos prières, cela se sent !
De
retour chez nous j’ai, jour après jour, découvert de nouvelles limites qui
m’étaient inconnues lorsque je revenais pour un WE. Ne pouvant faire usage ni
de la toilette ni de la salle de bains, j’ai la chance d’avoir une gentille
infirmière chaque matin. Autant le courant passe bien, comme avec les
infirmières de Pellenberg (grâce leur soit rendue), autant mes journées s’en
trouvent modifiées. Notre jeune dame arrive entre 9.30 h et 10.30 h ; son
horaire étant tributaire des patients qu’elle visite. En gros ma matinée passe
ainsi. Après le petit déj’, je me remets au lit en attendant la venue de madame
propre ; c’est l’occasion de lire un peu. Une fois lavé, habillé et assis
sur ma chaise, c’est l’heure d’un peu de rangement, puis du repas de midi.
Madicte est très contente de notre Vie commune nouvelle: elle se nourrit mieux
que lorsqu’elle était seule. Les repas sont des sujets de conversation, des
choix faits à deux, c’est très amusant. Il y a un an encore, nous mangions ce
que l’autre avait préparé (et c’était aussi très amusant). Après le repas,
Madicte fait une sieste et moi de mon côté je fais des exercices de fitness, ou
je traîne sur l’ordinateur. Puis il nous arrive de faire quelques courses
ensemble. C’est très différent de quand je les faisais seul; ici, on va au but,
on ne traîne pas, on a ce qui était sur la liste, c’est bon ainsi. Avec quand-même
parfois une petite ouverture du genre « Est-ce que tu n’as besoin de rien
d’autre ? Tu as envie de quelque chose de particulier ? ». Je ne
suis pas dans un régime carcéral ! Voyez les largesses que me laisse le
régime matrimonial !
C’est
terrible de voir notre Frédéric grimper à l’échelle pour faire ce que je
faisais « avant ». Dans ma tête, c’était clair que je ne sais plus le
faire… mais le voir fait par Frédéric, c’était un choc émotionnel !
En
parlant d’émotions… certains d’entre vous ont appris que j’avais participé aux
20 km de Bruxelles. En voici un petit résumé :
Nous
étions + ou – 35 anciens de Pellenberg inscrits pour cette activité.
Accompagnés par une sérieuse équipe de Pellenberg (médecin, profs de gym,
volontaires, …), nous sommes montés dans les bus (avec de grosses remorques
derrière chaque bus, pour nos chaises et nos handbikes). Parking bien pensé
pour notre convoi, juste devant l’ancienne entrée de l’ERM. Puis à notre aise,
nous nous sommes rendus au point de départ, à l’entrée du parc du
Cinquantenaire. Dès ce moment, on voyait ceux qui allaient concourir pour les
places d’honneur : équipement professionnel, cycles surbaissés, etc… Derrière
notre groupe, pas mal d’associations qui participaient en groupes portant un
brancard sur roue unique, avec quatre « manches » pour les
porteurs/tireurs. Impressionnant !
Le
départ est donné à 9.45 h: directement les F1 prennent de l’avance. De mon
côté, je fonce (ça descend) vers le rond-point Schumann. Première difficulté:
concilier vitesse et courbes, pour ne pas faire de tonneau ! Ça passe,
ensuite on descend encore un peu et commence la côte de la rue de la Loi. Je
passe de la 7ième vitesse en 1ière ! Arrivé en haut,
on continue jusqu’au Parc, on passe devant le Palais Royal: autre difficulté,
les pavés ! Tous les 20 mètres mes pieds quittent le repose-pieds. D’où
arrêt pour tout remettre à sa place. Que de temps perdu… Les « chaises à
porteurs me rattrapent et prennent le large. On monte ensuite vers le Palais de
Justice. Notre prof de sport me pousse, ouf ! On enfile l’avenue Louise et
ses tunnels: dans les descentes et sur le plat, je refais mon retard. Mais pour
sortir du tunnel, je fais appel à l’équipe ! C’est incroyable comme une
côte est difficile avec un handbike ! Un homme en chaise roulante sans
handbike me dépasse: WAOW ! Tout avec les poignets ! Quelle
puissance, quelle vitesse ! Avant la fin de l’avenue Louise, là où nous
tournons pour aller vers le Bois de la Cambre, le premier coureur à pied me
dépasse. Je repense à ce que me
racontait mon oncle Bernard quand, jeune homme il assistait à des courses
cyclistes: voyant arriver le dernier, le public avait toujours un mot
d’encouragement du genre « Prènez vo’s temps m’fi: z’êtes bien en avance
pour l’année prochaine ! ». Suivent alors les plus proches
concurrents, qui pourront se battre pour les places à partir de la deuxième.
Ensuite, en quelques minutes, ce sont des centaines, des milliers de coureurs
qui me dépassent. Dans certaines pentes du Bois de la Cambre, je remonte ces
mêmes collègues piétons qui m’avaient dépassé quelques minutes auparavant. On
se resalue et se fixe rendez-vous dans la prochaine côte. En me dépassant, des
dizaines de coureurs m’encouragent: une tape sur l’épaule, un Bravo, un
applaudissement, un p’tit mot, … Incroyable ! Quel esprit de
solidarité ! Je suis le premier qu’ils rattrapent (donc le dernier en
chaise roulante…). Puis viennent les rencontres. J’entends mon prénom crié par
quelqu’un. C’est Mick, une collègue, qui va me pousser sur quelques centaines
de mètres. Puis un cri, suivi de mon prénom : c’est Claude ! Elle
tente de me pousser mais doit vite arrêter par manque de souffle. Bisou, je
repars. Puis Brigitte qui me hèle de loin: j’ai juste aperçu son geste de la
main. Boulevard du Souverain, nouveau cri suivi de mon prénom: Chantal en
promenade sur son vélo. On papote sur quelques dizaines de mètres, on se dit au
revoir. De loin, je vois une chaise roulante: je vais essayer de la rattraper
(je n’y arriverai pas !). Sur le plat du boulevard du Souverain, je
dépasse facilement les piétons. Mais c’est très dense, donc prudence !
Petite peur: je suis un coureur qui tout d’un coup fait un écart pour passer à
côté d’un poteau de bois. Je fonce droit
dessus mais en 2 mètres, à grande vitesse, il faut choisir une direction tout
en étant entouré de coureurs. Evité de justesse ! Il y a aussi un saint
Christophe pour les chaises roulantes ! On approche du musée du tram: la
dernière côte ! En voyant les étangs à ma gauche, je me dis que j’avais
oublié les petites falaises de rochers qui bordent une des berges. La côte
commence, je me retrouve très vite en 1ière vitesse. C’est très
dur ! Une voix dans mon dos me propose son aide, que j’accepte volontiers.
« Je m’appelle Pierre, et toi ? » « Vincent » C’est
plus facile de savoir à qui on s’adresse. Vincent a du mal de ma pousser, mais
il tient bon. Il me dit qu’il ira jusqu’à l’obélisque, puis nous continuerons
chacun à notre vitesse. L’obélisque est en vue, une tape sur l’épaule, on se
remercie mutuellement. Il estime que c’est moi qui le motive. Je n’aurai pas vu
son visage… Merci Vincent ! Aux alentours du rond-point Montgomery, je
vois de loin un groupe de personnes avec des panneaux « Allez
Pierre ! ». Je ne reconnais personne, mais je suis encore loin d’eux.
Soudain on me reconnait, tout le monde crie, je me sens gonflé, je mets mon
plus beau sourire, j’accélère ! Et en arrivant à leur hauteur je me fais
dépasser par Pierre, un piéton, celui que le groupe était venu supporter !
Pas mal comme leçon d’humilité !
Le Cinquantenaire
est maintenant tout proche: les pavés me freinent à nouveau. Dernière courbe,
plein de gens m’encouragent (je repense à oncle Bernard «Allez’y m’fi…z’êtes en
avance … »). C’est trop d’émotion: en passant la ligne, je craque, les
larmes jaillissent. Mon prof de sport, Frederik, m’a rattrapé et aidé à la fin.
Il aura été présent chaque fois qu’il le fallait ! Quelle belle âme !
Je reste sans voix devant la disponibilité et l’engagement des gens de
Pellenberg.
Je dois
aussi vous remercier, vous tous qui nous lisez. Cette performance (j’avais
comme objectif de terminer sur le podium des trois derniers: objectif atteint,
j’étais le dernier !), je l’ai réalisée pour chacune et chacun d’entre
vous. Depuis près d’un an vous nous soutenez, encouragez, portez. C’était donc
à mon tour de faire quelque chose pour vous: pour vous remercier, j’ai fait les
20 km de Bruxelles. Quand il y a avait une difficulté, une côte, je faisais
défiler vos visages dans ma tête. Ces images de bonheur m’ont permis de tenir
le coup ! Je ne me faisais aucune illusion en commençant les 20 km, je ne savais pas ce que j’allais y vivre,
j’espérais terminer.
Parmi
les participants, il y avait Viviane, notre médecin de famille, Bernard,
Véronique mes collègues, une représentation Carbonnelle, et sans doute d’autres
dont j’ignore la présence. Il y a eu tous les messages par sms et mail avant le
départ. Il y a eu tous les messages après la course ! Il y a eu Frédéric
et Emilie qui m’ont servi de chauffeurs pour épargner Madicte. Le long du
parcours, il y avait des passants qui nous encourageaient, des groupes de
percussionnistes, des musiciens… c’était la fête du début à la fin ! Je
compte bien participer l’an prochain !
Voilà…
C’est tout ce que j’avais à dire concernant les 20 km de Bruxelles.
Je me
dis chaque soir que j’ai eu la chance de survivre, de ne rien perdre de mes
capacités mentales. Il faut que cela serve à quelque chose ! Le pourquoi
de cet accident ne m’intéresse pas, mais le « pour quoi ? » est
en permanence dans ma tête, dans mon cœur. Où va mon chemin ? Je ne le
sais, mais en compagnie de Madicte, la route à parcourir s’annonce
fleurie ! Vous êtes les étapes de ce chemin. Merci pour ce que vous
êtes ! N’oubliez pas ce « je t’aime, merci pour ce que tu
es ! » quotidien ! Faites-le pour ne pas regretter de ne pas
l’avoir fait. Faites-le pour profiter de l’instant. Faites-le pour effacer le
passé douloureux et garder vivant tout ce qui est beau, tout ce qui est porteur
de Vie !
Une
idée musicale ? En allumant la radio un matin, je suis tombé sur cette
chanson de Frank et Nancy Sinatra « something stupid ». En effet,
pourquoi ne pas bien commencer sa journée par quelque chose de stupide dans le
genre « I love You » ?
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