mardi 2 juin 2015

Non nova, sed nove




Voici 8 semaines que je suis rentré à la maison… Un temps un peu trop long durant lequel je suis resté silencieux (ouf, dirons certains). Et vos messages, sous diverses formes continuent à nous parvenir de manière constante: vous demandez de nos nouvelles, vous nous encouragez, vous venez nous rendre visite. Nous sommes en permanence dans vos pensées, dans vos prières, cela se sent !
De retour chez nous j’ai, jour après jour, découvert de nouvelles limites qui m’étaient inconnues lorsque je revenais pour un WE. Ne pouvant faire usage ni de la toilette ni de la salle de bains, j’ai la chance d’avoir une gentille infirmière chaque matin. Autant le courant passe bien, comme avec les infirmières de Pellenberg (grâce leur soit rendue), autant mes journées s’en trouvent modifiées. Notre jeune dame arrive entre 9.30 h et 10.30 h ; son horaire étant tributaire des patients qu’elle visite. En gros ma matinée passe ainsi. Après le petit déj’, je me remets au lit en attendant la venue de madame propre ; c’est l’occasion de lire un peu. Une fois lavé, habillé et assis sur ma chaise, c’est l’heure d’un peu de rangement, puis du repas de midi. Madicte est très contente de notre Vie commune nouvelle: elle se nourrit mieux que lorsqu’elle était seule. Les repas sont des sujets de conversation, des choix faits à deux, c’est très amusant. Il y a un an encore, nous mangions ce que l’autre avait préparé (et c’était aussi très amusant). Après le repas, Madicte fait une sieste et moi de mon côté je fais des exercices de fitness, ou je traîne sur l’ordinateur. Puis il nous arrive de faire quelques courses ensemble. C’est très différent de quand je les faisais seul; ici, on va au but, on ne traîne pas, on a ce qui était sur la liste, c’est bon ainsi. Avec quand-même parfois une petite ouverture du genre « Est-ce que tu n’as besoin de rien d’autre ? Tu as envie de quelque chose de particulier ? ». Je ne suis pas dans un régime carcéral ! Voyez les largesses que me laisse le régime matrimonial !

C’est terrible de voir notre Frédéric grimper à l’échelle pour faire ce que je faisais « avant ». Dans ma tête, c’était clair que je ne sais plus le faire… mais le voir fait par Frédéric, c’était un choc émotionnel !
En parlant d’émotions… certains d’entre vous ont appris que j’avais participé aux 20 km de Bruxelles. En voici un petit résumé :
Nous étions + ou – 35 anciens de Pellenberg inscrits pour cette activité. Accompagnés par une sérieuse équipe de Pellenberg (médecin, profs de gym, volontaires, …), nous sommes montés dans les bus (avec de grosses remorques derrière chaque bus, pour nos chaises et nos handbikes). Parking bien pensé pour notre convoi, juste devant l’ancienne entrée de l’ERM. Puis à notre aise, nous nous sommes rendus au point de départ, à l’entrée du parc du Cinquantenaire. Dès ce moment, on voyait ceux qui allaient concourir pour les places d’honneur : équipement professionnel, cycles surbaissés, etc… Derrière notre groupe, pas mal d’associations qui participaient en groupes portant un brancard sur roue unique, avec quatre « manches » pour les porteurs/tireurs. Impressionnant !
Le départ est donné à 9.45 h: directement les F1 prennent de l’avance. De mon côté, je fonce (ça descend) vers le rond-point Schumann. Première difficulté: concilier vitesse et courbes, pour ne pas faire de tonneau ! Ça passe, ensuite on descend encore un peu et commence la côte de la rue de la Loi. Je passe de la 7ième vitesse en 1ière ! Arrivé en haut, on continue jusqu’au Parc, on passe devant le Palais Royal: autre difficulté, les pavés ! Tous les 20 mètres mes pieds quittent le repose-pieds. D’où arrêt pour tout remettre à sa place. Que de temps perdu… Les « chaises à porteurs me rattrapent et prennent le large. On monte ensuite vers le Palais de Justice. Notre prof de sport me pousse, ouf ! On enfile l’avenue Louise et ses tunnels: dans les descentes et sur le plat, je refais mon retard. Mais pour sortir du tunnel, je fais appel à l’équipe ! C’est incroyable comme une côte est difficile avec un handbike ! Un homme en chaise roulante sans handbike me dépasse: WAOW ! Tout avec les poignets ! Quelle puissance, quelle vitesse ! Avant la fin de l’avenue Louise, là où nous tournons pour aller vers le Bois de la Cambre, le premier coureur à pied me dépasse.  Je repense à ce que me racontait mon oncle Bernard quand, jeune homme il assistait à des courses cyclistes: voyant arriver le dernier, le public avait toujours un mot d’encouragement du genre « Prènez vo’s temps m’fi: z’êtes bien en avance pour l’année prochaine ! ». Suivent alors les plus proches concurrents, qui pourront se battre pour les places à partir de la deuxième. Ensuite, en quelques minutes, ce sont des centaines, des milliers de coureurs qui me dépassent. Dans certaines pentes du Bois de la Cambre, je remonte ces mêmes collègues piétons qui m’avaient dépassé quelques minutes auparavant. On se resalue et se fixe rendez-vous dans la prochaine côte. En me dépassant, des dizaines de coureurs m’encouragent: une tape sur l’épaule, un Bravo, un applaudissement, un p’tit mot, … Incroyable ! Quel esprit de solidarité ! Je suis le premier qu’ils rattrapent (donc le dernier en chaise roulante…). Puis viennent les rencontres. J’entends mon prénom crié par quelqu’un. C’est Mick, une collègue, qui va me pousser sur quelques centaines de mètres. Puis un cri, suivi de mon prénom : c’est Claude ! Elle tente de me pousser mais doit vite arrêter par manque de souffle. Bisou, je repars. Puis Brigitte qui me hèle de loin: j’ai juste aperçu son geste de la main. Boulevard du Souverain, nouveau cri suivi de mon prénom: Chantal en promenade sur son vélo. On papote sur quelques dizaines de mètres, on se dit au revoir. De loin, je vois une chaise roulante: je vais essayer de la rattraper (je n’y arriverai pas !). Sur le plat du boulevard du Souverain, je dépasse facilement les piétons. Mais c’est très dense, donc prudence ! Petite peur: je suis un coureur qui tout d’un coup fait un écart pour passer à côté d’un poteau de bois.  Je fonce droit dessus mais en 2 mètres, à grande vitesse, il faut choisir une direction tout en étant entouré de coureurs. Evité de justesse ! Il y a aussi un saint Christophe pour les chaises roulantes ! On approche du musée du tram: la dernière côte ! En voyant les étangs à ma gauche, je me dis que j’avais oublié les petites falaises de rochers qui bordent une des berges. La côte commence, je me retrouve très vite en 1ière vitesse. C’est très dur ! Une voix dans mon dos me propose son aide, que j’accepte volontiers. « Je m’appelle Pierre, et toi ? » « Vincent » C’est plus facile de savoir à qui on s’adresse. Vincent a du mal de ma pousser, mais il tient bon. Il me dit qu’il ira jusqu’à l’obélisque, puis nous continuerons chacun à notre vitesse. L’obélisque est en vue, une tape sur l’épaule, on se remercie mutuellement. Il estime que c’est moi qui le motive. Je n’aurai pas vu son visage… Merci Vincent ! Aux alentours du rond-point Montgomery, je vois de loin un groupe de personnes avec des panneaux « Allez Pierre ! ». Je ne reconnais personne, mais je suis encore loin d’eux. Soudain on me reconnait, tout le monde crie, je me sens gonflé, je mets mon plus beau sourire, j’accélère ! Et en arrivant à leur hauteur je me fais dépasser par Pierre, un piéton, celui que le groupe était venu supporter ! Pas mal comme leçon d’humilité !
Le Cinquantenaire est maintenant tout proche: les pavés me freinent à nouveau. Dernière courbe, plein de gens m’encouragent (je repense à oncle Bernard «Allez’y m’fi…z’êtes en avance … »). C’est trop d’émotion: en passant la ligne, je craque, les larmes jaillissent. Mon prof de sport, Frederik, m’a rattrapé et aidé à la fin. Il aura été présent chaque fois qu’il le fallait ! Quelle belle âme ! Je reste sans voix devant la disponibilité et l’engagement des gens de Pellenberg. 
Je dois aussi vous remercier, vous tous qui nous lisez. Cette performance (j’avais comme objectif de terminer sur le podium des trois derniers: objectif atteint, j’étais le dernier !), je l’ai réalisée pour chacune et chacun d’entre vous. Depuis près d’un an vous nous soutenez, encouragez, portez. C’était donc à mon tour de faire quelque chose pour vous: pour vous remercier, j’ai fait les 20 km de Bruxelles. Quand il y a avait une difficulté, une côte, je faisais défiler vos visages dans ma tête. Ces images de bonheur m’ont permis de tenir le coup ! Je ne me faisais aucune illusion en commençant les 20 km,  je ne savais pas ce que j’allais y vivre, j’espérais terminer.
Parmi les participants, il y avait Viviane, notre médecin de famille, Bernard, Véronique mes collègues, une représentation Carbonnelle, et sans doute d’autres dont j’ignore la présence. Il y a eu tous les messages par sms et mail avant le départ. Il y a eu tous les messages après la course ! Il y a eu Frédéric et Emilie qui m’ont servi de chauffeurs pour épargner Madicte. Le long du parcours, il y avait des passants qui nous encourageaient, des groupes de percussionnistes, des musiciens… c’était la fête du début à la fin ! Je compte bien participer l’an prochain !
Voilà… C’est tout ce que j’avais à dire concernant les 20 km de Bruxelles. 

Je me dis chaque soir que j’ai eu la chance de survivre, de ne rien perdre de mes capacités mentales. Il faut que cela serve à quelque chose ! Le pourquoi de cet accident ne m’intéresse pas, mais le « pour quoi ? » est en permanence dans ma tête, dans mon cœur. Où va mon chemin ? Je ne le sais, mais en compagnie de Madicte, la route à parcourir s’annonce fleurie ! Vous êtes les étapes de ce chemin. Merci pour ce que vous êtes ! N’oubliez pas ce « je t’aime, merci pour ce que tu es ! » quotidien ! Faites-le pour ne pas regretter de ne pas l’avoir fait. Faites-le pour profiter de l’instant. Faites-le pour effacer le passé douloureux et garder vivant tout ce qui est beau, tout ce qui est porteur de Vie !

Une idée musicale ? En allumant la radio un matin, je suis tombé sur cette chanson de Frank et Nancy Sinatra « something stupid ». En effet, pourquoi ne pas bien commencer sa journée par quelque chose de stupide dans le genre « I love You » ?

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