mercredi 18 mars 2015

Soit, n’y pensons plus dit-elle. Depuis j’y pense toujours !





Cette fois, j’ai envie de consacrer un peu de temps pour vous parler de mon amoureuse; je sais que vous la connaissez, mais voilà… c’est comme ça. Elle m’inspire !
Depuis plus de 33 ans, nous construisons ensemble « une relation », un couple. Dans beaucoup de domaines, nous sommes facilement d’accord pour certains choix, notamment matériels. Mais je ne peux passer sous silence tout ce que ma petite femme fait comme démarches personnelles pour s’adapter à moi depuis tant d’années. Et depuis l’accident, je suis vraiment encore plus en admiration devant elle. Des pages se tournent, et elle ne manifeste aucun regret. Nous allons de l’avant, c’est tout. Il y a des exemples simples, comme le fait que Madicte s’est mise à conduire souvent pour venir me visiter. Démarrer avec ma voiture, s’y adapter dans le trafic du Ring de Bruxelles, devoir la parquer ! C’est un petit exemple, mais très concret. Moi qui ai servi de chauffeur pour ma douce pendant tant d’années pour lui permettre de se reposer, de ne pas avoir à stresser au volant, je me vois dans l’impossibilité de l’aider, de la protéger, de la décharger. Elle se lance, « On n’a pas le choix » dit-elle. Il y a aussi des exemples plus marquants : Pour nos 50 ans, nous avions refait la cuisine (grâce à vos cadeaux ! je ne l’oublie pas) ; il faudra démolir et reconstruire autre chose pour me permettre de participer au tâches de la cuisine comme avant. Nous n’en avons pas beaucoup parlé, mais tous deux sommes conscients qu’il faut adapter les lieux. De même à l’appartement de Koksijde, la salle de bains devra subir de grosses transformations. Notre baignoire, choisie pour sa capacité à nous accueillir tous les deux, va passer à la trappe pour agrandir la douche. Pas un mot de regret de ma douce; on va de l’avant, cela nous permettra de revenir à Koksijde comme avant l’accident.
Je t’admire ma femme ! Tu me souris, tu souris à la Vie. Tu vois ce que nous allons faire, ce que nous allons reconstruire. Dans le domaine de la tendresse, nous repartons de zéro. On  ne peut même pas dire que nous reprenions le même jeu de cartes et que nous le remélangions, non: c’est un nouveau jeu que nous entamons. Avec de nouvelles règles. Heureusement, les joueurs restent les mêmes; en fait ils sont partenaires, car c’est un jeu de collaboration, de solidarité, pas un de compétition ! A nous de découvrir les nouvelles règles, nouvelles cartes avec de nouveaux symboles. Mais le but du jeu reste le même: gagner ensemble ! Avec nos corps cassés, nos apparences de Martiens (vous lecteurs, vous nous voyez habillés !!! Nous avons droit à une autre vue de la chose), nous entamons un chemin qui, sous certains aspects, peut nous rappeler le chemin parcouru jusqu’au carrefour de l’accident et de la maladie, mais qui clairement est fait d’un tout autre revêtement !
Ma douce, tu vis tout cela avec tant de sérénité, en sus de tous les traitements divers que tu encaisses. Je redis tout mon respect pour celle que tu es. Tu le rappelles régulièrement : « Nous avons bien fait de nous rencontrer ! ». Tu me rappelles parfois les tantes de Wasmes, qui à chaque étape difficile de leur Vie, trouvaient de nouvelles raisons de se réjouir ! Tu es seule à la maison, pour te préparer pour les séances de rayons, pour gérer au quotidien les factures, les offres de prix, les contacts avec les hommes de métiers. Respect !

J’ai pour vous quelques cartes postales de Pellenberg :
Je vois mes compagnons évoluer, chacune et chacun à son rythme. Chaque pas effectué, chaque étape dans l’autonomie est une victoire. Comment ne pas me réjouir avec celui qui m’annonce qu’il peut à nouveau aller seul à la toilette, et ce après plus de 11 mois ! Comment ne pas sentir mon cœur se serrer quand tel autre va devoir repasser sur le billard ? Comment rester serein quand celui-là, qui réapprend à marcher avec deux jambes artificielles, ne va pas bien parce que sa chimio le rend malade et qu’il ne peut continuer la kiné ? Comment ne pas crier ma révolte quand un organisme refuse à celle-là sa jambe artificielle (40.000 euros), en lui conseillant la chaise roulante ? Comment ne pas retenir une larme quand une fournée de stagiaires s’en va, après 5 semaines de proximité, d’efforts et de victoires ? Comment ne pas rire et pleurer quand une infirmière vient me confier qu’elle est enceinte ?
Dans deux semaines, je rentre définitivement à la maison ! La responsable de mon dossier me disait qu’on a longtemps cru, en équipe, que mes progrès seraient limités, que je ne pourrais pas atteindre certains objectifs. Mais on a tenu compte du retard provoqué par mes deux poignets cassés ! On a vu les progrès, on m’a donné cette chance qui s’appelle « temps ». De mon côté, je montre comme je le peux que chaque pas vers l’autonomie est un merci dirigé vers toute l’équipe. Je vois le sable du sablier se déverser… dans moins de trois semaines, je vais dire au revoir à mes infirmières et aides soignantes. Huit mois et demi, le temps d’un enfantement ! Pour démarrer une nouvelle Vie, mais contrairement à l’enfant qui reste près de sa mère, je vais quitter toutes ces dames. Déjà maintenant le nœud se noue quand j’y pense. Chacune d’elles, sans exception, aura marqué mon séjour à Pellenberg, qui par ses mots, qui par tel geste, qui par telle attention, qui par son écoute, qui par sa confiance, qui par sa manière de colorer mes heures, qui par un petit cadeau symbolique, qui par sa manière de m’accompagner à la chapelle quand j’étais incapable de me déplacer, qui par ses explications rassurantes, qui par sa patience pour m’apprendre à me sonder seul, qui par ses soins donnés en prenant le temps, qui par son humour, qui par ses initiatives pour devancer tel désir ou besoin, qui par tel achat pour me rendre service… Quand on vit plus de huit mois ensemble, des liens se tissent. Je ne peux m’imaginer dire « Voilà, on a fait un bout de chemin ensemble, maintenant je m’en vais, c’est fini. ». Les liens seront toujours là, mais mon quotidien sera autre. Ma Vie n’est pas à Pellenberg, mais elle est passée par Pellenberg. Partir sera difficile, mais en même temps, rentrer sera si beau !!!

Ce jeudi 19 mars, je passe sur le billard ! On m’a trouvé des calculs dans la vessie, il faut les faire exploser au laser. Cela se fera sous anesthésie totale. Je vous le disais il y a deux semaines. Je pense tout le temps à cette opération, aux piqûres. J’ai une fameuse boule dans le ventre en y pensant. J’ai découvert des photos de moi que je ne connaissais pas: aux soins intensifs, deux jours après l’accident. Quand je vois le nombre d’aiguilles qui me rentraient dans le corps, je réalise encore mieux l’origine de ma phobie (dans le cou, dans les bras, dans le poignet, dans le torse, dans le pied, …)

Dialogue :
-Pardonnez-moi mon Père car j’ai péché.
-Dans quel(s) domaine(s), mon fils, enfin je veux dire « monsieur » ?
-Dans bien des domaines, mon Père, enfin je veux dire « monsieur le curé » : je me rends compte que je ne vis pas le Carême comme on me l’a appris dans mon enfance. Je ne pense pas satisfaire à toutes les exigences.
-Pouvez-vous détailler, je vous prie ?
-… (silence de gêne perceptible)
-Voulez-vous que je vous aide ? Il est important de mettre des mots justes sur ce qui nous, enfin je veux dire  ce qui VOUS met mal à l’aise. S’agit-il du domaine financier ?
-Non, pas du tout.
-S’agit-il du domaine de la prière ?
-Non, pas du tout.
-Devons-nous nous diriger vers un domaine plus… intime ?
-Vous parlez de la sexualité ?
-Oui, appelons la chose ainsi…
-Je vous rassure, c’est une période d’abstinence totale !
-Voyons, êtes-vous au courant que le dimanche, on peut faire relâche ?
-Non, en fait il s’agit d’un sentiment de culpabilité parce que je n’arrive pas à obtenir « une face de Carême ». Je souris tous les jours. Je n’arrive pas à rester rigide, ferme dans une attitude digne et respectueuse.
-Je crains de ne pas vous suivre… Que voulez-vous dire ?
-Hé bien, disons que je suis joyeux, souriant. Il est vrai que je partage volontiers ce que mes visiteurs m’apportent: pralines, sucreries, fruits, … avec mes compagnons d’infortune, et cela dans la plus grande joie !
-Mais voilà un beau geste ! Où est le problème ?
-Je vous l’ai dit, je ne respecte pas ce que l’on m’a enseigné il y a bien longtemps. Je me suis fait miennes les maximes de cette grande philosophe qu’est Annaïk Laborné : « à la mi-Carême, ressers-toi de crème ! », ou encore « chocolat du matin réjouit le pèlerin », et « fou-rires et humour rendent le revalidant incontrôlable et lourd». Tout cela me met en porte-à-faux par rapport à ce que doit être le Carême…
-Mais voyons, vous retardez quelque peu ; il y a belle lurette que le Carême n’est plus un temps de souffrance. Il est normal de partager sa joie, sa bonne humeur, son morceau de chocolat avec ses compagnons. Je vous sens désireux de bien faire, et c’est ce que vous faites sans le savoir ! Permettez-moi de vous encourager à aller de l’avant ! Courez ! Sautez ! Dansez ! Ne traînez pas la patte !
-Mais êtes-vous certain que je n’hypothèque pas mon avenir, mon Paradis en agissant de la sorte ?
-Ecoutez-moi bien : vous veniez avec le besoin d’obtenir le Pardon ? He bien vous l’avez ! Mais à une condition : poursuivez votre Carême toute l’année ! N’oubliez pas : courez, sautez, dansez ! Alléluia !


Une idée musique ? Je réécoute en boucle le CD d’Amy MacDonald « This is the life ». Du rythme, des mélodies qui donnent envie de battre du pied, ou de claquer des doigts en se promenant. Mais en avançant dans une chaise roulante, je ne sais pas claquer des doigts. Ah, oui, je ne sais pas battre du pied non plus. Heureusement les oreilles, ça va encore un peu…

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