Me
revoici face à l’écran, avec l’envie de vous reparler de ma douce… (ainsi que
d’autres sujets aussi, ne vous inquiétez pas).
Je vois
chaque jour, où que nous soyons, à quel point Madicte s’adapte à notre nouvelle
Vie. Adaptation pas facile pourtant, tant à chaque instant, chaque lieu de
notre maison rappelle mon nouvel état: il faut trouver une place pour tout mon
matériel: la chaise de douche, la chaise élévatrice (la troisième chaise, je
l’occupe presque en permanence, c’est moins problématique); au garage, il y a
le Swisstrac, le handbike, le nouveau plan incliné qui m’évite une marche, la
freewheel ; il y a tout ce qui était en hauteur et que j’ai ramené à ma
hauteur (un an d’organisation personnelle réduit à néant par le retour de
monsieur et de ses méthodes de rangements, d’organisation, ses petites manies,
c’est pour le moins déconcertant !); il y a le rythme des lessives qui a
changé (c’est fou ce que je produis comme linge sale: draps de lit, essuies de
bains, vêtements…) ; il y a l’assistance chaise roulante à monter et
démonter chaque fois que nous partons en voiture ; il y a le soucis qu’a Madicte
de vouloir m’aider chaque fois que je me mets au lit le soir (alors que dans le
même temps elle se fait violence pour me laisser me débrouiller seul); il y a
tout ce que je ne sais pas ranger dans la cuisine, les éventuels déchets de
nourriture qu’elle doit apporter au poulailler; il y a le livre qui se trouve à
l’étage et que je lui demande de m’apporter; il y a les petites réparations ménagères
que je ne fais plus; il y a notre nouvelle chambre avec son lift accroché au
plafond; il y a notre nouvelle salle de bains, qui n’est plus du tout celle que
nous avions conçue et aménagée selon nos goûts, où elle ne se retrouve pas
complètement (manque de place pour ses affaires, ambiance
« clinique », ce n’est plus une salle de bains pour un couple
…) ; il y a mon bureau qui est descendu du deuxième étage jusque dans
notre chambre au rez-de-chaussée (donc notre chambre a une coloration
« bureau de Pierre » assez prononcée); il y a les coups laissés par
ma chaise lorsque je circule maladroitement entre les portes et les meubles; il
y a tout le langage des corps et de la tendresse qui équivaut à une amputation,
ma difficulté de me tourner sur le côté, penché vers elle, quand nous sommes au
lit (douleurs dans le dos… même pas besoin de prétexter un mal de tête); il y a
les traces laissées par mes roues dans la maison (autrefois j’enlevais mes
bottes –presque tout le temps- quand je revenais du jardin)… Tout ceci la laisse non pas de marbre, ou
énervée, mais bien motivée pour aller de l’avant ! Je vous le dis, elle
est extraordinaire. Sans oublier qu’elle mène cela de front avec sa convalescence…
Son traitement continue jusque fin décembre, toutes les 3 semaines. Courage mon
Amour !
Depuis
peu, Madicte a droit a des séances de kiné (drainage lymphatique), son bras
gauche lui faisant régulièrement mal lors de mouvements, parfois anodins. Les
effets secondaires de ses traitements sont entre désagréables et douloureux. Je
suis peu efficace pour l’aider dans la douleur; heureusement il nous
reste la tendresse, l’humour, et tant de complicité ! Les coups de fatigue
sont beaucoup plus fréquents et profonds. Et il y a le problème du goût et des
blessures dans la bouche: tout est mauvais, a un goût exécrable, ou alors
certains condiments et épices ont un goût disproportionné. Résultat, Madicte
mange moins, ne grossit pas, ne récupère pas… De plus, se rendre à la clinique
pour recevoir son traitement devient vraiment très très dur moralement. Il faut
tenir jusque décembre, mais le cœur n’y est plus.
Petite
carte postale de notre séjour à Koksijde: je commence, depuis début juillet, à
me sentir à l’aise avec ma chaise roulante, donc je franchis régulièrement des
bordures de trottoirs comme appris à Pellenberg. Bien sûr, en présence de mon
petit frère et de ma petite sœur, je me suis offert ma première chute: j’ai mal
évalué la distance, les roues avant sont retombées avant de franchir l’obstacle
et, emporté par l’élan, je me suis retrouvé sur le trottoir, hors de ma
chaise ! C’est utile d’avoir un petit frère plus grand et plus fort que soi:
en avant, comme un sac de patates, il m’a soulevé et remis sur ma chaise. Je ne
voulais pas rester sur cet échec, donc je me suis relancé. Et ai raté le
trottoir une seconde fois. Madicte m’encourageait à monter sur le trottoir un
peu plus loin, là où il n’y a pas de dénivellation. Mais je voulais le franchir,
ce trottoir ! Troisième essai: avec le sourire, sans renoncer, je me
lance, entouré de Madicte, Bernard, Geneviève et de quelques badauds (les uns
pour me voir me viander*, les autres pour aider, au cas où…)! Cette fois, c’est
la bonne ! Je pense que j’étais le seul détendu dans l’histoire…
Inconscience ? Persévérance ? Entêtement ? Je n’ai pas la
réponse… A Pellenberg, j’ai rencontré un monsieur qui était revenu passer quelques
semaines pour un « gros entretien ». Lors d’une conversation, je lui
ai demandé s’il tombait parfois, lui qui me semblait si aguerri, si maître de
son véhicule. Il m’a dit qu’en 10 ans de chaise roulante, il est tombé une
trentaine de fois, presque toujours en avant. J’ai donc de la marge !
Une
carte postale de Zepperen : nous avons décidé, dans le cadre de
l’élimination de tout ce qui encombre, de nous défaire de notre tandem. Madicte
l’a proposé à un couple d’amis, qui l’ont d’abord essayé puis adopté. Le moment
du départ était dur… Notre tandem quittait la maison, sur une remorque,
tournait le coin de la rue… Ben oui, comme d’habitude, mon cœur était tout
serré ! Même si cela correspondait à une volonté, à un choix raisonné.
Nous savons cependant que l’engin va avoir une nouvelle Vie, et cela met plus
que du baume sur notre cœur: cela nous remplit de joie. Il faut savoir que le
tandem et nous c’est une longue histoire: notre premier tandem, nous l’avons
racheté à mon beau-frère il y a une vingtaine d’années. Puis pour nos 50 ans,
nous en avons acheté un nouveau, très confortable. Le vieux est à la mer, le
neuf restait à la maison. C’est ce dernier qui a maintenant la chance d’entamer
une deuxième carrière. Une autre étape sera de nous débarrasser de beaucoup de
matériel et d’outillage de l’atelier.
Une
carte postale qui me vient de Machelen, je vous la fais suivre. Il s’agit de
Mia, une institutrice maternelle dont j’ai fait la connaissance à Pellenberg
(rappelez-vous : le garrot !). Elle vient de m’envoyer une photo
prise dans sa classe, avec un tout petit commentaire : « Terug waar
ik heel graag ben ». On la voit assise au milieu de ses élèves.
Waow ! Il y en a même sur ses genoux, pas du tout gênés par sa jambe
artificielle. Quel bonheur ! (oups, où est mon mouchoir… ?). Une
photo comme j’en ai vu des dizaines dans les écoles où je suis passé, mais
celle-ci a une saveur particulière.
Dans mon
dernier texte, j’ai oublié de citer quelques cadeaux: un brin d’olivier venant
du Mont des Oliviers à Jérusalem, une copie illégale d’un CD, une photo de
vacances dans la montagne, une peluche, des blocs de béton sous notre lit pour
le rehausser, une tornade blanche pour vider le garage, un caillou, une bougie
allumée quelque part, un banc de jardin réparé et remis à neuf, un raton laveur
( !), des plumes de paon, un crayon surmonté d’un lama (et quand lama
fâché…),…
Je
repense inévitablement à l’accident, bien que n’en ayant aucun souvenir. Je
réalise ce qu’est « être victime » d’un accident. Je n’ai rien
demandé, rien provoqué, l’accident s’est produit… Je suis bien conscient de
tout ce qui m’arrive, de tout ce qui m’est enlevé, de tout ce qui NOUS est
enlevé. Chaque jour, voir mon image dans le miroir me fait encore quelque
chose. Je vis en permanence les limites de mon corps, ce pour quoi il me faut
de l’aide, ce que je renonce à faire, ce que je veux atteindre, ce que je veux
améliorer. Fatalité ? C’était écrit ? Fallait-il passer par là ?
Que de questions souvent posées par certains d’entre vous… Cependant ces questions ne m’intéressent pas;
je vois seulement ce qui va se passer. Non pas « pourquoi » est-ce
arrivé ? Mais bien « pour quoi », vers quoi allons-nous
maintenant ? Nous sommes dans une période de transition, d’adaptation à la
situation nouvelle. Avec des moyens parfois adaptés (salle de bains), parfois
pas encore adaptés (cuisine, voiture, Dojo pour le Reiki, …). D’où un inconfort
presque constant, des adaptations provisoires « en attendant mieux ».
La patience n’est pas une vertu, c’est un mode de Vie. Mais pour Madicte, qui
coordonne les chantiers, le quotidien, ET les imprévus, la patience est usante,
épuisante !
Parmi
les boulets que je traîne avec moi depuis mon retour à la maison, il y a ces
peurs en tous genres. Durant la revalidation, il y avait la peur des piqures,
des prises de sang, des baxters. J’ai emporté ces phobies dans mes bagages. Et
j’en ai découvert d’autres dans le fond de mes valises: la peur des chiens
(je fais une balade en handbike, je vois un chien à 20 m… Je m’arrête net en
attendant qu’il dégage de ma route). Je retaillais la vigne vierge deux fois
par an sur le pignon de la maison, parfois entouré d’abeilles qui butinaient
tout autour de moi; nous faisions bon ménage alors. Maintenant la vue d’une
abeille (et je ne parle pas de guêpes) me fait frémir. En tant que passager en
voiture, je suis en permanence sur le qui-vive, rempli d’angoisses, de peurs,
d’appréhensions. Faire un transfert de ma chaise roulante vers la chaise
élévatrice: seul, je ne le fais qu’avec le lift. Accompagné, je veux bien me
transférer de l’une à l’autre. Je pense aussi à la première fois où j’ai
employé ma carte de banque pour faire un retrait en liquide: je n’ai pas osé
être seul, j’ai demandé à Lot, l’ergo, de m’accompagner ! (maintenant, ça
va… en tout cas pour la carte bancaire)
Dans les
déménagements, il y a eu le transfert de mes vêtements… Avant l’accident,
j’avais remarqué qu’un de mes pulls était troué, à cause d’une mite. Je devais
m’y attaquer. Et nous voilà 15 mois plus tard, avec tous mes pulls
troués !!! Seuls les nouveaux achetés depuis mon retour sont intacts. Snif…
Difficile de se détacher du matériel…
Merci à
chacune et chacun pour ce que vous êtes, pour ce que vous nous apportez !
Ne changez rien !
Une
idée musique pour une soirée avec un bon livre ? Le CD « Polyphonie
Aquitaine du XIIième siècle » (extraits des matines de Noël) par
l’ensemble Organum. Voix d’hommes vraiment apaisantes, l’idéal pour une
ambiance feutrée.
*Maman,
c’est un terme argotique du monde des motards, cela veut dire faire une chute
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