samedi 12 septembre 2015

Je dirais même plus !




Me revoici face à l’écran, avec l’envie de vous reparler de ma douce… (ainsi que d’autres sujets aussi, ne vous inquiétez pas).
Je vois chaque jour, où que nous soyons, à quel point Madicte s’adapte à notre nouvelle Vie. Adaptation pas facile pourtant, tant à chaque instant, chaque lieu de notre maison rappelle mon nouvel état: il faut trouver une place pour tout mon matériel: la chaise de douche, la chaise élévatrice (la troisième chaise, je l’occupe presque en permanence, c’est moins problématique); au garage, il y a le Swisstrac, le handbike, le nouveau plan incliné qui m’évite une marche, la freewheel ; il y a tout ce qui était en hauteur et que j’ai ramené à ma hauteur (un an d’organisation personnelle réduit à néant par le retour de monsieur et de ses méthodes de rangements, d’organisation, ses petites manies, c’est pour le moins déconcertant !); il y a le rythme des lessives qui a changé (c’est fou ce que je produis comme linge sale: draps de lit, essuies de bains, vêtements…) ; il y a l’assistance chaise roulante à monter et démonter chaque fois que nous partons en voiture ; il y a le soucis qu’a Madicte de vouloir m’aider chaque fois que je me mets au lit le soir (alors que dans le même temps elle se fait violence pour me laisser me débrouiller seul); il y a tout ce que je ne sais pas ranger dans la cuisine, les éventuels déchets de nourriture qu’elle doit apporter au poulailler; il y a le livre qui se trouve à l’étage et que je lui demande de m’apporter; il y a les petites réparations ménagères que je ne fais plus; il y a notre nouvelle chambre avec son lift accroché au plafond; il y a notre nouvelle salle de bains, qui n’est plus du tout celle que nous avions conçue et aménagée selon nos goûts, où elle ne se retrouve pas complètement (manque de place pour ses affaires, ambiance « clinique », ce n’est plus une salle de bains pour un couple …) ; il y a mon bureau qui est descendu du deuxième étage jusque dans notre chambre au rez-de-chaussée (donc notre chambre a une coloration « bureau de Pierre » assez prononcée); il y a les coups laissés par ma chaise lorsque je circule maladroitement entre les portes et les meubles; il y a tout le langage des corps et de la tendresse qui équivaut à une amputation, ma difficulté de me tourner sur le côté, penché vers elle, quand nous sommes au lit (douleurs dans le dos… même pas besoin de prétexter un mal de tête); il y a les traces laissées par mes roues dans la maison (autrefois j’enlevais mes bottes –presque tout le temps- quand je revenais du jardin)…   Tout ceci la laisse non pas de marbre, ou énervée, mais bien motivée pour aller de l’avant ! Je vous le dis, elle est extraordinaire. Sans oublier qu’elle mène cela de front avec sa convalescence… Son traitement continue jusque fin décembre, toutes les 3 semaines. Courage mon Amour !
Depuis peu, Madicte a droit a des séances de kiné (drainage lymphatique), son bras gauche lui faisant régulièrement mal lors de mouvements, parfois anodins. Les effets secondaires de ses traitements sont entre désagréables et douloureux. Je suis peu efficace pour l’aider dans la douleur; heureusement il nous reste la tendresse, l’humour, et tant de complicité ! Les coups de fatigue sont beaucoup plus fréquents et profonds. Et il y a le problème du goût et des blessures dans la bouche: tout est mauvais, a un goût exécrable, ou alors certains condiments et épices ont un goût disproportionné. Résultat, Madicte mange moins, ne grossit pas, ne récupère pas… De plus, se rendre à la clinique pour recevoir son traitement devient vraiment très très dur moralement. Il faut tenir jusque décembre, mais le cœur n’y est plus. 

Petite carte postale de notre séjour à Koksijde: je commence, depuis début juillet, à me sentir à l’aise avec ma chaise roulante, donc je franchis régulièrement des bordures de trottoirs comme appris à Pellenberg. Bien sûr, en présence de mon petit frère et de ma petite sœur, je me suis offert ma première chute: j’ai mal évalué la distance, les roues avant sont retombées avant de franchir l’obstacle et, emporté par l’élan, je me suis retrouvé sur le trottoir, hors de ma chaise ! C’est utile d’avoir un petit frère plus grand et plus fort que soi: en avant, comme un sac de patates, il m’a soulevé et remis sur ma chaise. Je ne voulais pas rester sur cet échec, donc je me suis relancé. Et ai raté le trottoir une seconde fois. Madicte m’encourageait à monter sur le trottoir un peu plus loin, là où il n’y a pas de dénivellation. Mais je voulais le franchir, ce trottoir ! Troisième essai: avec le sourire, sans renoncer, je me lance, entouré de Madicte, Bernard, Geneviève et de quelques badauds (les uns pour me voir me viander*, les autres pour aider, au cas où…)! Cette fois, c’est la bonne ! Je pense que j’étais le seul détendu dans l’histoire… Inconscience ? Persévérance ? Entêtement ? Je n’ai pas la réponse… A Pellenberg, j’ai rencontré un monsieur qui était revenu passer quelques semaines pour un « gros entretien ». Lors d’une conversation, je lui ai demandé s’il tombait parfois, lui qui me semblait si aguerri, si maître de son véhicule. Il m’a dit qu’en 10 ans de chaise roulante, il est tombé une trentaine de fois, presque toujours en avant. J’ai donc de la marge !

Une carte postale de Zepperen : nous avons décidé, dans le cadre de l’élimination de tout ce qui encombre, de nous défaire de notre tandem. Madicte l’a proposé à un couple d’amis, qui l’ont d’abord essayé puis adopté. Le moment du départ était dur… Notre tandem quittait la maison, sur une remorque, tournait le coin de la rue… Ben oui, comme d’habitude, mon cœur était tout serré ! Même si cela correspondait à une volonté, à un choix raisonné. Nous savons cependant que l’engin va avoir une nouvelle Vie, et cela met plus que du baume sur notre cœur: cela nous remplit de joie. Il faut savoir que le tandem et nous c’est une longue histoire: notre premier tandem, nous l’avons racheté à mon beau-frère il y a une vingtaine d’années. Puis pour nos 50 ans, nous en avons acheté un nouveau, très confortable. Le vieux est à la mer, le neuf restait à la maison. C’est ce dernier qui a maintenant la chance d’entamer une deuxième carrière. Une autre étape sera de nous débarrasser de beaucoup de matériel et d’outillage de l’atelier.

Une carte postale qui me vient de Machelen, je vous la fais suivre. Il s’agit de Mia, une institutrice maternelle dont j’ai fait la connaissance à Pellenberg (rappelez-vous : le garrot !). Elle vient de m’envoyer une photo prise dans sa classe, avec un tout petit commentaire : « Terug waar ik heel graag ben ». On la voit assise au milieu de ses élèves. Waow ! Il y en a même sur ses genoux, pas du tout gênés par sa jambe artificielle. Quel bonheur ! (oups, où est mon mouchoir… ?). Une photo comme j’en ai vu des dizaines dans les écoles où je suis passé, mais celle-ci a une saveur particulière.

Dans mon dernier texte, j’ai oublié de citer quelques cadeaux: un brin d’olivier venant du Mont des Oliviers à Jérusalem, une copie illégale d’un CD, une photo de vacances dans la montagne, une peluche, des blocs de béton sous notre lit pour le rehausser, une tornade blanche pour vider le garage, un caillou, une bougie allumée quelque part, un banc de jardin réparé et remis à neuf, un raton laveur ( !), des plumes de paon, un crayon surmonté d’un lama (et quand lama fâché…),…

Je repense inévitablement à l’accident, bien que n’en ayant aucun souvenir. Je réalise ce qu’est « être victime » d’un accident. Je n’ai rien demandé, rien provoqué, l’accident s’est produit… Je suis bien conscient de tout ce qui m’arrive, de tout ce qui m’est enlevé, de tout ce qui NOUS est enlevé. Chaque jour, voir mon image dans le miroir me fait encore quelque chose. Je vis en permanence les limites de mon corps, ce pour quoi il me faut de l’aide, ce que je renonce à faire, ce que je veux atteindre, ce que je veux améliorer. Fatalité ? C’était écrit ? Fallait-il passer par là ? Que de questions souvent posées par certains d’entre vous…  Cependant ces questions ne m’intéressent pas; je vois seulement ce qui va se passer. Non pas « pourquoi » est-ce arrivé ? Mais bien « pour quoi », vers quoi allons-nous maintenant ? Nous sommes dans une période de transition, d’adaptation à la situation nouvelle. Avec des moyens parfois adaptés (salle de bains), parfois pas encore adaptés (cuisine, voiture, Dojo pour le Reiki, …). D’où un inconfort presque constant, des adaptations provisoires « en attendant mieux ». La patience n’est pas une vertu, c’est un mode de Vie. Mais pour Madicte, qui coordonne les chantiers, le quotidien, ET les imprévus, la patience est usante, épuisante !

Parmi les boulets que je traîne avec moi depuis mon retour à la maison, il y a ces peurs en tous genres. Durant la revalidation, il y avait la peur des piqures, des prises de sang, des baxters. J’ai emporté ces phobies dans mes bagages. Et j’en ai découvert d’autres dans le fond de mes valises: la peur des chiens (je fais une balade en handbike, je vois un chien à 20 m… Je m’arrête net en attendant qu’il dégage de ma route). Je retaillais la vigne vierge deux fois par an sur le pignon de la maison, parfois entouré d’abeilles qui butinaient tout autour de moi; nous faisions bon ménage alors. Maintenant la vue d’une abeille (et je ne parle pas de guêpes) me fait frémir. En tant que passager en voiture, je suis en permanence sur le qui-vive, rempli d’angoisses, de peurs, d’appréhensions. Faire un transfert de ma chaise roulante vers la chaise élévatrice: seul, je ne le fais qu’avec le lift. Accompagné, je veux bien me transférer de l’une à l’autre. Je pense aussi à la première fois où j’ai employé ma carte de banque pour faire un retrait en liquide: je n’ai pas osé être seul, j’ai demandé à Lot, l’ergo, de m’accompagner ! (maintenant, ça va… en tout cas pour la carte bancaire)

Dans les déménagements, il y a eu le transfert de mes vêtements… Avant l’accident, j’avais remarqué qu’un de mes pulls était troué, à cause d’une mite. Je devais m’y attaquer. Et nous voilà 15 mois plus tard, avec tous mes pulls troués !!! Seuls les nouveaux achetés depuis mon retour sont intacts. Snif… Difficile de se détacher du matériel…
Merci à chacune et chacun pour ce que vous êtes, pour ce que vous nous apportez ! Ne changez rien !

Une idée musique pour une soirée avec un bon livre ? Le CD « Polyphonie Aquitaine du XIIième siècle » (extraits des matines de Noël) par l’ensemble Organum. Voix d’hommes vraiment apaisantes, l’idéal pour une ambiance feutrée.
*Maman, c’est un terme argotique du monde des motards, cela veut dire faire une chute

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