mercredi 30 septembre 2015

Mare Nostrum










2015-09-15

Elle était là, fidèle au poste, nous accueillant avec ses humeurs changeantes et ses rumeurs constantes. Mer maternelle et sauvage à la fois, enveloppant et repoussant tout ce qui traîne sur son passage.
Tintin et Milou en pardessus affrontaient les pluies traverses pour permettre au plus petit des deux de se soulager dans le sable mouillé.  L'autre, trop vieux pour se plier laissant au vent et au sable la tâche d'évacuer l'offrande boudinée.  Heureusement, la saison des vacanciers est clôturée et il n'y aura pas de bambin qui marchera pieds nus dans ce porte-bonheur douteux, au grand dam d'une maman dégoûtée. 
Passé le cap du premier septembre, la côte belge change de visage.  La moyenne d'âge des passants dépasse d'un seul coup les 65 ans. Nous détonnons au milieu de toutes ces têtes argentées, mais la chaise roulante de Pierre, par contre, se fond dans le paysage, sauf quand elle est tractée par le Swiss-Trac qui est suivi par des regards étonnés et curieux.
Point de vue météo, nous n'avons pas vraiment bien choisi notre semaine d'escapade maritime.  Les pluies sont suivies d'averses qui à leur tour se voient supplantées par des précipitations orageuses qui se terminent en pluies.  Lors des premiers jours de la semaine Il suffisait qu'on sorte le bout du nez profitant d'une accalmie pour qu'une nouvelle ondée nous rappelle à l'ordre. Jeudi était le premier jour où nous avons enfin pu profiter d'une éclaircie généreuse.  Mais, pas de regrets, car la mer reste splendide vue du haut de notre cinquième étage. Et ceux qui disent que la Mer du Nord, c'est toujours la même chose, ou bien ils sont de mauvaise foi ou bien ils sont aveugles. Moi je vous dis que c'est un spectacle permanent.

Septembre, c'est le mois de la mélancolie de nos âmes enseignantes.  Le premier jeudi nous a vus enlacés en larmes, pensant tous deux à nos classes chéries qui se passeront de nous pour une deuxième rentrée. 
ll y a quinze mois, une partie de mon Pierrot prenant le large partait en vacances (heureusement que sous la tonsure ça ne déménage pas - encore-), il y a 12 mois j'entrais dans l'aire chimiothérapique après qu'un des habitants de mon petit paradis s'était aussi fait la malle.  Le sein qui reste se trouve bien seul et ce n'est pas celui en silicone qui, lui faisant concurrence, arrive à le consoler du départ de son frère siamois. 
Celle qui me nargue dans le miroir focalise avec étonnement son regard sur la tignasse crollée qui a pris la place du duvet épars de bébé qui la désolait. Les racines familiales reprennent le dessus, je rejoins le club fraternel des échevelés indomptables... C'est fou comme en prenant de l'âge on a les traits de famille qui resurgissent! Mes parents doivent bien s'amuser là-haut en voyant leurs enfants évoluer ainsi acceptant avec plaisir, dignité ou dépit les ressemblances insoupçonnées autrefois. La marque de fabrique se révèle inexorablement l'âge avançant...

La semaine passée je ne me sentais vraiment pas en forme, c'est comme si je replongeais avec acuité dans les effets secondaires de la chimio: fatigue irrépressible, goût désagréable et sensibilité extrême de la bouche.  Vendredi les analyses sanguines de contrôle révélèrent une infection virale qui m'avait joué des tours.  Après un traitements au laser des  différents aphtes et blessures buccales, manger est redevenu une activité indolore et même agréable. Heureusement, car ma ceinture, même serrée au maximum n'arrivait plus à maintenir mon pantalon à la hauteur prévue. Pierre me conseille d'aller voir au rayon enfants si les tailles ne sont pas plus appropriées à mon calibre. 

En théorie le traitement que je subis encore n'est pas de la chimio, du moins c'est ce que l'oncologue me dit.  "C'est pas comme une chimio, vous verrez, la plupart des patientes supportent très bien l'Herceptine, il y en a même qui reprennent le boulot alors qu'elles sont encore en traitement".    Pourtant, quand je vois l'emballage de la piqûre qui a remplacé l'infusion il y figure toujours le fameux crabe réservé aux préparations chimiothérapiques.  Je demande donc à l'infirmière si cette préparation fait partie de ces fameux produits. Elle confirme et m'explique toutes les mesures de précautions imposées lors de la préparation par le pharmacien et l'administration par le personnel soignant de ce genre de produit.  On ne rigole pas avec ça, vous savez ...  Pendant ce temps-là, je me fais docilement piquer et attends patiemment que passent les 4 minutes que dure l'injection dans le peu de graisse qu'il me reste au ventre.
Comme je ne sais plus quoi inventer pour être originale, mon bras gauche, quand il se tend, ressemble à un rôti de dindonneau emballé dans un filet. Il paraît que c'est  un effet secondaire courant de l'opération, mais d'habitude cela apparaît dans les semaines qui la suivent. La kiné qui me soigne me signale toutefois qu'elle a d'autres patientes sous traitement d'Herceptine qui ont le même problème.  Bonne nouvelle: grâce au drainage lymphatique on arrive à l'éliminer. En effet, j'arrive  à nouveau à tendre le bras. D'ici quelques drainages j'espère retrouver mon bras sans filet.

Mais de quoi je me plains?  Quand je regarde autour de moi dans la salle d'hospitalisation de jour, je sais que je fais partie des bienheureux qui peuvent décompter le nombre de traitements encore à venir, alors qu'il y en a qui viennent à peine de commencer leur parcours du combattant et d'autres qui ne savent pas si leur traitement les libèrera de la maladie oui ou non. Puis il y a aussi tous ceux en sursis, qui savent bien que guérir n'est plus au programme, mais que moyennant des traitements réguliers et contraignants, ils peuvent continuer à voir grandir leurs enfants ou petits-enfants. Alors, courageusement ils continuent à se battre, à supporter l'insupportable parce que l'Amour les maintient debout.
Nous tous qui prenons place régulièrement dans ces fauteuils rouge bordeaux nous avons en commun qu'un jour un diagnostic nous a foudroyé le cœur et bouleversé l'âme.  Le mot tabou réservé aux autres nous a pris la gorge et s'est inscrit en lettre rouge sur notre histoire. Le cancer s'est invité dans notre cœur, dans notre corps. Il a fallu accepter de lâcher prise, de faire confiance, de subir des traitements éprouvants, mutilants, il a fallu jouer à cache-cache avec la peur, les angoisses, la douleur, les nausées, le mal-être, la tristesse.  Il a fallu ramasser son courage jusque dans les plus petits recoins  et décider de se battre pour que la vie continue, que l'envie de vivre soit plus forte que le désespoir, que la joie et la bonne humeur continuent à éclairer nos vies.   Dans ces moments-là, heureux sont ceux qui sont aimés et qui aiment leurs proches de toute leur âme, car cet amour est la plus grande force dans laquelle on peut puiser son courage.  Aimer à en vivre, vouloir vivre à tout prix, car on n'a pas envie d'abandonner ceux qui comptent pour nous, car il y a encore du bonheur à récolter, là où nous avons semé de l'amour et de l'amitié.
Merci à mes amours, Pierre et les enfants. Mon Pierrot, rien que de me réveiller le matin près de toi, ça me met de bonne humeur et je me sens toute "gaite" .  Tu ris de mes bêtises d'ado et je m'amuse en t'amusant.  Je ne me lasse pas de t'enlacer, de te serrer dans mes petits bras fragiles et de rire avec toi. Tu m'as tellement manqué pendant ces dix mois d'hôpital, j'ai eu tellement peur de te perdre que chaque moment passé avec toi c'est un cadeau que je déballe au ralenti pour être sûre de ne rien déchirer.
Merci à nos proches, famille et amis si chers qui m'avez donné toute cette affection nécessaire pour que la vie ne s'échappe pas entre mes doigts, pour que je la prenne à bras le corps et qu'elle s'accroche solidement arrimée dans le baudrier de l'Amour. J'ai une pensée toute particulière aussi pour mon amie Vera et toutes celles et ceux qui m'ont accompagnée lors des chimios et des radiothérapies  à l'hôpital.  Vous étiez mes gardes du corps, mes boucliers inaltérables contre la déprime et les crises d'angoisse. Votre présence était le meilleur remède contre la sinistrose qui n'aurait fait qu'une bouchée de moi si j'avais dû affronter tous ces moments seule. Merci de tout coeur!

Oui, la vie est belle! Certes, physiquement j'ai l'impression d'avoir pris au moins dix ans en douze mois. Je me sens diminuée, limitée, affaiblie. Je ne sais vraiment pas comment je ferais si je devais reprendre le boulot maintenant: préparer mes cours pendant des heures, quitter la maison une matinée et trois soirs par semaines et être interactive et concentrée ainsi trois heures d'affilée.
Mais je vois des amies qui sont passées par le même chemin, il y a plusieurs années.  Elles s'en sont bien remises pour la plupart.  C'est encourageant. Je dois cultiver la patience et me ménager en étant à l'écoute de mon corps. De toute façon, j'estime depuis l'opération que j'ai eu le cancer et que j'en suis guérie.  Tous les problèmes qui me restent sont les effets secondaires des traitements.  On ne fait pas d'omelette sans casser des œufs... 
Le premier octobre je dois subir une mammographie.   Moi qui ai horreur de ça je me console en me disant qu'il n'y en aura qu'une.... ça ira plus vite.  De toute façon, je me suis programmée en me disant que j'ai tout fait pour qu'il n'y ait pas de rechute, donc c'est de la routine, rien que de la routine....






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