mercredi 27 janvier 2016

Plus de peur que de mal




J'ai repris mes quartiers dans notre appart à Coxyde pour quelques jours, question de recharger mes batteries qui étaient un peu dans la zone rouge.
Ce matin c'est la pluie et Tintin et Milou sont sortis en pardessus, le temps pour Milou de rajouter quelques doses de liquide coloré à la flotte.


Quel contraste avec hier! Dès l'aube c'était J.M. Folon qui  était au rendez-vous. Le paysage entier était enveloppé de couleurs pastelles. Même la lune m'a fait un clin d'œil entre deux nuages. 

Le soleil, quant à lui, escaladant peu à peu la dune, traçait des lignes sombres et lumineuses sur son passage. 


L'ombre des immeubles assiégeait la plage telle une armée de géants cherchant à prendre d'assaut la mer. Celle-ci, bien à l'abri, leur faisait de loin un pied de nez, attendant patiemment pour reprendre possession de son territoire que le soleil levant grignote leur stature d'argile.
Alors que se déroulait devant moi cette passe d'armes silencieuse, un camion balai passait et repassait imperturbablement sur la digue avalant goulument tout le sable égaré qu'il recrachait de temps en temps quelques dizaines de mètres plus loin.

Ne me dites pas que notre littoral est ennuyeux ou monotone, moi, il m'a prise sous son charme depuis mon enfance.  L'escarcelle de ma mémoire est remplie d'images, de sons, d'odeurs, de sensations, d'histoires que j'ai glanés au fil du temps et de l'eau comme des coquillages précieux cachés dans ces mains que la mer à vu grandir et maintenant, vieillir.

La fête de Noël c'était il y a un mois, janvier tire bientôt sa révérence.
N'imaginez pas que l'année 2016 sera pour nous un long fleuve tranquille.

Faut dire qu'en ce qui concerne les émotions fortes, j'en ai déjà expérimenté un bout.
La dernière date du 15 janvier dernier où Pierre a fait une syncope à la salle de bains alors qu'il était accroché tout nu entre ciel et terre dans le harnais de son lift.  J'avais beau lui parler, il était dans sa navette spatiale sur une autre orbite, juste le temps de me dire qu'il ne se sentait pas bien et puis c'était le silence radio .  J'ai pris les commandes et l'ai fait atterrir le plus vite possible sur la terre ferme, ou plutôt sur le lit où j'ai pu actionner le sommier électrique qui lui a relevé les jambes et rendu ses esprits.  Il était encore dans le brouillard, mais heureusement en plus de l'image j'avais maintenant un son qui ne ressemblait plus à des râles inquiétants.  J'ai appelé Houston, ou plutôt notre infirmière qui n'était pas loin et puis le 112. Pendant qu'on se parlait je me suis vite habillée, inutile de recevoir tout ce monde en tenue de soirée ou plutôt en pyjama à nounours (oui, c'est le même que celui du matin du 12/06/2014).  Sophie est arrivée la première, elle a pris la tension artérielle et le pouls de Pierre et puis les ambulanciers ont fait leur entrée. L'un d'eux était déjà venu la fois passée, quand Pierre avait ouvert le bocal d'ammoniac. (j'espère qu'ici on ne devra pas dire jamais deux sans trois...)  
Les femmes se sont activées pour l'habiller (il neigeait dehors!) tandis que les ambulanciers apportaient le brancard.  Ce dernier a été placé sous le trajet de la navette spatiale, de sorte que Pierre a pu être installé dessus sans que les ambulanciers n'aient dû le soulever et battre les records d'haltérophilie. Dans l'ambulance on lui a fait une prise de sang dans le pied et on lui a mis une perfusion. Pas le temps de paniquer, de toute façon, il était encore un peu dans le cirage... Et le voilà parti pour les urgences.   
Je suis allée le rejoindre un peu plus tard, le temps d'un petit déjeuner express, de remplir un sac avec quelques affaires indispensables et d'affronter les premières neiges sur la route. Pas besoin de chercher le chemin, ma voiture le connaît par cœur. Il fallait juste que je ne mette pas mon pilote automatique sur place, sinon je serais montée au troisième, hôpital de jour pour les chimiothérapies.
En le retrouvant dans une alcôve aux urgences, j'avais un sentiment de déjà vu d'il y a un an et demi environ. Cette fois-ci, heureusement, il n'était pas sur respirateur et était tout à fait conscient et serein. Il a pu me raconter son arrivée sur place: son pouls était de 170/min mais on est parvenu à le stabiliser assez vite.
Plus tard il a été pris en charge par le service de cardiologie et a subi plusieurs examens.  Heureusement on n'a pas détecté de problèmes majeurs.  On a conclu a des problèmes de rythme cardiaque liés à une combinaison malheureuse de médicaments pris d'une part pour sa tension trop élevé et d'autre part pour freiner son inflammation musculaire au bras. Après 36 heures d'hospitalisation il a pu regagner ses pénates avec d'autres médicaments mais avec la même infirmière, habilleuse, chauffeur, cuisinière, secrétaire, amoureuse qui n'a pas l'intention de se faire remplacer de si tôt!

Dix jours plus tard je prends le large pour Coxyde.  C'est la première fois que "j'abandonne" mon homme si longtemps.  Evidemment, nous avons veillé à ce qu'il ne se retrouve pas tout seul le temps de mon absence.  Les infirmières de service (celles qui en ont le diplôme) passent tous les jours et la nuit c'est notre Emilie qui prend le relai, sans compter les différentes activités prévues avec des amis.  Il trouvait même que son agenda était presque trop garni ;-). Je comprends qu'il n'a pas envie d'être trop contrôlé et qu'il a besoin d'être seul aussi, mais lui, il comprend d'autre part que moi, je ne peux vraiment être détendue à 210 km de lui qu'à condition de savoir qu'en cas de besoin d'autres proches assurent sa sécurité et son confort.
Ce n'est pas évident de prendre du temps pour moi-même. Je me rends compte que depuis l'accident j'ai bcp vécu en fonction de Pierre et de notre couple, mais que subrepticement je n'ai pas vraiment laissé de la place dans mon agenda pour moi. Ma première motivation pour traverser tous les traitements et guérir, c'était de ne pas abandonner mon homme alors qu'il avait besoin de moi à ses côtés. Cependant je me rends compte qu'il va falloir que je reconstruise aussi ma vie.  Elle est passée par un séisme avec plusieurs secousses successives et de temps en temps, un  nouveau tremblement de moindre ampleur me déstabilise à nouveau. J'ai appris à vivre davantage le moment présent et de zapper les angoisses concernant mon/notre avenir. Cela n'empêche que des questions importantes se présentent à nous et qu'il faut y réfléchir et préparer le futur en discernant nos priorités de vie communes et personnelles.
Nous n'avons pas l'intention de nous enfermer entre 4 murs et de voir nos horizons se racrapoter comme ceux des "Vieux" de Jacques Brel (
Les vieux ne bougent plus leurs gestes ont trop de rides leur monde est trop petit. Du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil et puis du lit au lit).  Nous sommes pourtant bien conscients que des contraintes physiques et matérielles nous imposent des limites plus sévères, mais cela ne nous empêchera pas de goûter encore au bonheur de vivre, à la joie que nous procurent plein de petites choses et d'instants lumineux. Nous avons envie d'orienter encore notre vie vers les autres, de continuer à chérir tous nos proches tant qu'il nous est encore donné de les avoir près de nous.  Je pense tout particulièrement à la génération de nos aînés dont nous sommes tant redevables et que la pudeur nous empêche parfois de dire à quel point ils nous sont chers.
Nous voulons encore nous enrichir de rencontres, d'échanges, de partages.  Même s'il est peu probable que nous puissions reprendre nos jobs tels quels, nos savoir-faire n'ont pas encore été entièrement enfouis sous la poussière des séismes subis.  Il y a encore de beaux restes dont on pourrait refaire quelque chose d'utile, comme dirait le duc d'Elbeuf:"C'est avec du vieux qu'on fait du neuf"(sic J.Brel).

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