Nous revoici, mon écran et moi, réunis pour vous faire part de la suite de
nos aventures.
Je suis donc rentré à la maison pour le WE de l’Epiphanie. La revalidation
s’est bien passée. Fin novembre, on m’a transféré de Gasthuisberg (là où a eu
lieu l’opération) à Pellenberg, mon lieu de reconstruction favori, là où l’on
trouve la plus forte concentration de blouses blanches qui ont le cœur sur la
main.
Les deux premières semaines ont été calmes au niveau de la revalidation:
une séance de kiné et une autre d’ergo par jour. Les douleurs de l’opération
étant encore très fortes. Puis dès la troisième semaine, l’horaire a changé:
entre 5 et 7 activités par jour (kiné, ergo, sport, chaise roulante, handbike,
endurance, musculation, …). Je voyais arriver la dernière activité tout comme, adolescent,
je voyais arriver la dernière heure de cours ! Faire retravailler des
muscles, étirer et assouplir des tendons… ça fait mal. Je pensais que cette
période de revalidation allait se dérouler de la manière suivante: dans un
premier temps on remuscle le bonhomme, on lui donne le temps pour retrouver la
force nécessaire à toutes les activités. Puis, dans un deuxième temps, il
retrouve la confiance pour refaire certains gestes, transferts et autres
cabrioles. Hé bien non… Que nenni ! Puisque j’avais la technique en tête,
on a commencé par me remettre en confiance, en évaluant les carences, les
manques, les besoins. Et ensuite on a travaillé à boucher les trous.
J’ai combiné revalidation et musculation. J’ai appris à faire la part des
choses entre douleurs post-opératoires et douleurs liées aux muscles qui
cessent leurs vacances, pour savoir où je pouvais forcer et où je devais
respecter les frontières de la douleur… Pfffft ! Sentir, réfléchir, agir:
je n’ai plus l’habitude ! Demandez-moi de sourire, de rire, de souffrir à
l’occasion, pour guérir. Mais réfléchir, oh la la! Il y a eu des séances de chaise roulante, comme
il y a deux ans il me fallait refaire certains déplacements et autres cabrioles
sous la férule de profs exigeants. Parfois faciles, parfois moins, certaines
figures exigent de la coordination technique. Et beaucoup de confiance
(confiance en soi, et confiance en ce que le prof nous dit) ! Il y avait
d’autres revalidants « débutants » dans ce groupe. A l’occasion les
profs me demandaient d’expliquer, de montrer, alors que je ne me sentais pas
encore prêt. Premier temps: j’explique, je décris les pièges à éviter (les
erreurs, ça c’est facile à montrer !), je redis que je suis aussi passé
par ces étapes où l’on n’y croit pas trop, où l’on voit les autres faire mieux
et plus vite. Deuxième temps « OK Pierre ! Nu tonen ! Doe het
maar… ». Pour me donner confiance je décrivais tout en exécutant (monter
ou descendre une marche, franchir une bordure ou une rigole, descendre un plan
incliné sur les roues arrières, …), ce qui, sans que je le sache, m’a mis très
vite à l’aise. Un vrai champion ! Enfin presque…
Mais à côté de tout ce qui va bien, il y a ce qui ne va pas ! Emmené
deux fois aux urgences à Gasthuisberg, en urologie, pour arriver à la
conclusion qu’on va garder une solution provisoire. Et ce lundi 23 janvier,
passage à la clinique d’un jour (toujours urologie !) pour une petite
intervention sans anesthésie (non pas par bravoure, c’’est juste parce que le
chirurgien s’attaquait à une zone totalement insensible…). On verra dans
l’avenir si ces interventions portent leurs fruits.
Je vois tout ce qui revient, tout ce que j’arrive à faire à nouveau.
Beaucoup de gestes anodins, simples, mais qui ne m’étaient plus
accessibles :
Ouvrir un pot de confiture, presser mon tube de dentifrice entre le pouce
et l’index, tenir une assiette horizontalement entre les doigts, ouvrir une
bouteille d’eau, me déplacer en chaise roulante dans une côte, remplir ou vider
le lave-vaisselle, hisser mes jambes sur le lit quand je suis assis au bord,
m’habiller, me déshabiller, me transférer, me baisser pour ramasser quelque
chose, … Sans compter cette douleur insupportable dans la nuque lorsque j’étais
allongé à plat sur le dos. J’ai dormi en position assise pendant au moins 3
mois. Chaque jour, sans exception, me montre des gestes que je peux refaire. A
la différence de ma revalidation il y a deux ans, lorsque je ne savais pas ce
qui me serait accessible dans les mouvements, aujourd’hui je sais dire
« Ca je le refais ! Ca je vais y arriver. Ca ce n’est pas perdu, ça
revient. Ca c’est une question de temps, tu vas voir ! »
Je suis tout à fait adapté à la nouvelle voiture, c’est un soulagement pour
nous deux. Madicte peut se laisser conduire, je ne dois plus faire des
contorsions pour entrer du côté passager. Je dis « voiture », mais
pour moi c’est une camionnette. Toute neuve qu’elle soit, on entend tout qui brinqueballe
à l’intérieur.
Je repense plus souvent à mon accident, à cette seconde où tout a basculé.
Même si je n’en ai aucun souvenir, c’est par ce qui m’a été raconté que je peux
comprendre ce qui s’est passé. Tout allait si bien. Tout ne s’est pas arrêté,
mais plus rien n’est comme avant. Nous n’en parlons pas souvent, mais tous deux
sommes en manque de tendresse, ce langage qui nous rapprochait, nous unissait,
qui nous rendait complices. Il m’arrive de crier quand je me sais seul sous la
douche, certain que Madicte ne m’entend pas. Rage, colère, tristesse ! Et
puis ça passe, je vois ce qu’il me reste, je vois ce qu’il nous reste. Je me
suis demandé une ou deux fois comment, un jour, va s’établir financièrement le
dommage. Je ne cours pas après l’argent, mais je sens tout le ridicule
d’évaluer un tel dommage, toute la fragilité de chiffrer les dégâts physiques,
moraux. Je n’ai aucune expérience (sorry, c’est mon premier accident) ;
va-ton me dire « Voilà, vous saviez marcher, faire votre jogging,
maintenant vous ne savez plus donc ça vaut autant d’euros. Plus de zizi-panpan,
ça vaut autant d’euros. Vous vous trouviez beau, maintenant quand vous vous
voyez dans le miroir vous vous trouvez moche, tordu, grotesque, disgracieux, ça
vaut autant d’euros. Mais bon, mettez une belle chemise, rasez-vous de près, ça
limita les dégâts, donc ça vaut un peu moins si vous veillez à vous
soigner ». Tout ceci n’est que fantaisie de ma part, je ne pense pas que
cela fonctionne ainsi… mais quand je vois tout ce que je ne fais plus, rien
qu’au jardin par exemple… qui et comment va-t-on me dédommager ? Je ne
pourrai pas continuer à demander à la famille, aux amis, de passer 70 heures
par mois pour faire tout ce que je faisais avant.
Et comme toujours Madicte est là. Veillant à ce que je ne manque de rien,
prévenante, disponible, aimante. Tu es terrible ma belle ! Je me dis très
souvent que ta Vie a changé plus que la mienne, et tu es là, souriante, me
remontant le moral, me disant que ce n’est pas grave, que c‘est la machine qui
va nettoyer. Tu es confrontée à chaque coin de la maison à ma nouvelle
situation. Tu te cognes contre le Handi Move, tu vois les dégâts causés par ma
chaise sur les meubles, les portes. Tu vois le matériel nécessaire à mon autonomie qui encombre la maison, tu vois mes
difficultés à sortir de la voiture quand tout n’est pas agencé selon mes
souhaits (heureusement, tu ne te culpabilises pas ! ). Tu organises les
déplacements, tu cuisines, fais les vaisselles, les lessives, tu portes la
paperasserie. Tu envisages l’avenir, tu reparles déjà de quand j’irai dans la
piscine, de nos balades en vélo. Tu suis de près les travaux d’aménagement de
l’appartement de Koksijde, que tu as décidé de financer sans attendre que la
partie adverse se décide sur un montant. On dit souvent que les assurances
traînent pour dédommager, pour rembourser, sans doute avec l’idée de nous faire
perdre patience. S’il y a bien une vertu qui s’accroche à nous c’est la
patience. Elle est tatouée sur nos fronts..
D’ici un jour ou deux suivra un texte de remerciements, qui est presque
terminé. Nous pensons chaque jour à tout le soutien que nous recevons. Merci,
merci, merci ! Certains d’entre vous souhaitent venir nous voir, mais je
vois bien que Madicte est dans une période de grande fatigue, alors que moi
j’ai envie de bouger, de revoir des gens. C’est pour cela que nous limitons les
visites en ce moment. Je suis bridé dans mes envies de sortir à cause du froid.
Samedi passé, j’avais envie de circuler: je suis allé me balader dans les
rayons du Brico à Hasselt, puis dans le grand magasin Carrefour, rien que pour
prendre l’ambiance.
A propos d’ambiance, réécouter les CD du groupe corse I Muvrini est un
bonheur total (pour moi).
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