mardi 25 avril 2017

Tout n'est pas pourri dans ce royaume









Me voilà dans notre petit abri côtier. Yeux dans les yeux avec la mer et les dunes qui lui servent de paupières. Elle est de nouveau là cette mère consolatrice qui enveloppe mon regard de sa beauté changeante, ses vagues éternelles et toujours différentes. Elle se joue de la lumière complice du soleil qui fait une partie de cache-cache avec les nuages poussés par le vent, laissant de-ci, de-là une tâche bleue. Elle a le secret de panser mes plaies, mes chagrins les plus intimes et indicibles. Face à elle mes larmes peuvent couler sans honte ni gêne, elle sait ce que sont les débordements et n'y voit que l'expression d'un trop plein qui cherche à retrouver sa mesure. 




J'apprends à lâcher-prise et fais confiance à mon homme qui est en super forme et qui me donne cet espace de liberté pour me permettre de recharger mes batteries.  Il dispose des filets de sécurité nécessaires afin que je puisse me séparer de lui quelques jours sans que je stresse ni m'inquiète de son confort.
Je viens de recevoir un petit coup de fil de notre nouvelle femme de ménage qui vient de terminer son boulot chez nous et qui me fait un rapport détaillé de tout ce qu'elle a fait.  Merci Cyrina de bien veiller sur notre maison et ses habitants et de te proposer à aider Pierre en cas de soucis!
Merci à  tous ceux et celles qui sont là, prêts à tendre la main pour un coup de pouce, si nécessaire.  Merci Frédéric, Emilie et Jan pour tous les petits et grands services que vous rendez si souvent et qui rendent notre quotidien plus facile.  Merci à vous tous, nos familles, nos amis sur qui nous pouvons compter, à qui nous pouvons oser demander un service de temps à autres. Merci à vous tous qui êtes présents dans notre vie par l'amitié, la prière aussi et toutes les bonnes énergies que vous nous envoyez par le courrier cosmique.  Vous nous rendez la vie plus légère et aidez à voir la lumière qui pointe au bout du tunnel.




 Pendant les vacances de Pâques nous avons passé une semaine de villégiature à Coxyde. Yes! Les travaux sont enfin terminés et notre appartement n'est plus un parcours du combattant pour Pierre. Plus de lit d'hôpital dans le couloir, plus de toilette dans le lit, plus d'infirmière qui vient nous sortir du lit dès potron minet. Non, tout est adapté de sorte que Pierre retrouve une autonomie maximale possible. 

Hé,hé, il n'a plus d'excuse pour se défiler pour la corvée cuisine ou vaisselle... 

Nous avons même pu prendre notre premier bain de soleil sur la terrasse, c'est le pied!




Merci à Paul et Dennis VPS et à toute leur équipe d'avoir pris tellement à cœur ce chantier hors du commun.  Ensemble on a dû repenser notre appartement qui avait été entièrement rénové il y a à peine 3 ans pour que Pierre puisse y vivre "normalement".  Pour la salle de bains et la cuisine on a dû repartir à zéro, les chambres elles aussi ont dû subir des modifications: portes, électricité, élévateur au plafond, lit adapté, etc.  Tous s'y sont mis de leur compétence pour trouver les meilleures solutions aux problèmes qui se présentaient. Le résultat est là et on ne peut que féliciter l'équipe et la recommander chaudement.  




Le seul point noir au tableau: la mauvaise volonté de l'expert immobilier de l'assurance de la partie responsable de l'accident. Bref on ne se laisse pas faire et c'est un expert judiciaire qui devra trancher et indiquer les frais qui se justifient par le handicap de Pierre.



 Je suis en colère contre l'assurance de la partie adverse qui tergiverse et qui nous donne l'impression que nous sommes des profiteurs qui veulent obtenir plus que ce à quoi nous avons droit. Je suis en colère contre ses représentants quand je pense à tout ce que je dois faire et assumer pour gérer le quotidien de notre vie parce que notre habitat ne permet pas à Pierre de participer à de nombreuses tâches qu'il prenait autrefois sur lui et qui, moyennant les adaptations nécessaires, pourraient être assumées par lui. Je suis en colère contre le peu de compréhension et de considération qu'ils manifestent par rapport à tout ce que je dois faire pour compenser leurs manques de prise de responsabilité. Il est clair que si Pierre vivait tout le temps seul, il ne serait pas en mesure de rester à la maison sauf encadrement d'une tierce personne plusieurs heures par semaine. 

Le 4 avril dernier j'ai dû me présenter devant la commission des pensions, vu l'épuisement des jours de congé de maladie auxquels j'avais droit. Ce sont les médecins contrôle eux-mêmes qui spontanément m'ont proposé de me mettre à la pension anticipative pour des raisons de santé.  Ils ne voyaient pas comment je pourrais reprendre après deux ans et demi de congé de maladie une vie professionnelle 'normale' vu mon état de santé fragile et notre situation familiale qui me dépose une charge supplémentaire sur les épaules.
J'ai été vraiment touchée par l'humanité et la correction de ces deux médecins, qui pourtant ont un rôle difficile et se font facilement qualifiés de sévères. Mon dossier médical bien étayé et un examen superficiel leur ont suffi pour se faire une idée objective de mon état et de mes capacités de reprendre ou non une vie professionnelle.
Je me suis rendu compte que, chargée par la galère que nous vivons avec l'assurance de la partie adverse, j'ai développé un apriori de méfiance par rapport à toutes les instances qui doivent statuer sur notre situation et nous dédommager. Pourtant mis à part cette assurance, souvent nous avons eu affaire à des personnes compétentes et de bonne volonté, mais souvent aussi c'était un parcours du combattant pour arriver à régler toute la paperasserie nécessaire. Je pourrais écrire un livre rien qu'en énumérant toutes les démarches et les (ab)errances que nous avons rencontrées, je peux vous dire que c'est usant et que parfois on se demande si cette lourdeur administrative n'est pas faite pour décourager les ayant-droit de sorte qu'ils renoncent à leurs droits. 
Je porte tellement de casquettes qu'on ne peut plus les compter, j'ai perdu celles qui faisaient de moi une prof enthousiaste et appréciée, celles qui me donnaient une satisfaction professionnelle,  une valorisation sociale. Je les ai remplacées par celles d'une femme au foyer fragilisée qui doit être forte et ne peut craquer, qui essaye d'assurer toutes ses tâches d'épouse (toujours amoureuse depuis plus de 35 ans), ménagère (très mauvaise, mais qui fait ce qu'elle peut), infirmière (sexy), secrétaire (pointilleuse), cuisinière (vite fait, bien fait), couturière (spécialisée dans les déchirures des pantalons qui restent accrochés derrière le garde-boue du fauteuil roulant), lavandière (heureusement que les machines à laver existent!!), gestionnaire (vive Internet, le Netbanking!, les mails, l'imprimante scanner), piscinière (mon assurance santé) etc. 
Que je m'épuise parfois à devoir assumer tous ces rôles, que je doive m'habituer à vivre à un rythme  beaucoup plus lent que le mien, que chaque instant passé au milieu de tous les équipements adaptés pour Pierre me confronte à la perte irréversible de tant de bonheur, que je me sente déchirée entre le soutien et la présence à assurer près de Pierre et mon besoin parfois de souffler et de lâcher prise pour recharger mes batteries, exister autrement en faisant des activités seule ou avec des amies, que je sois parfois lasse de ma battre, que parfois je me dise que je n'ai pas envie d'atteindre un âge avancé, mais que surtout je ne veuille pas partir avant Pierre parce que je ne voudrais pas l'abandonner; de tout ça je me doute bien que cette assurance et ses experts ne se soucient pas et que cela ce n'est pas leur problème. Je ne sais pas s'ils sont conscients du stress et de la maltraitance psychologique qu'ils nous imposent. Nous avons le sentiment que c'est à dessein qu'ils nous laissent mariner afin de pouvoir mieux nous pigeonner après, une fois de guerre las. Nous le voyons comme une stratégie, une forme de cynisme calculé, car leur priorité selon nous ce n'est pas de dédommager correctement les victimes ou de les aider à retrouver un sens à leur vie, c'est surtout de boucler leurs dossiers en déboursant le minimum et en permettant ainsi à leurs dirigeants d'avoir des salaires indécents (tiens, j'ai vu que le CEO d'ING banque a vu son salaire augmenté l'année passée, c'est sans doute grâce à tous les licenciements qu'il a pu arrangés)  et à leurs actionnaires d'avoir un bon dividende.



Dans la veine des Idées Noires de Franquin: j'ai dit au début à un assureur que le chauffeur aurait sans doute mieux fait de tuer Pierre, ça leur aurait moins coûté.  Évidemment le chauffeur qui s'était donc "fait percuter par un motard pendant sa manœuvre" a fait de son mieux, il a même presque réussi, mais malheureusement pour l'assurance, Pierre était en bonne condition physique et il a ressuscité.  Avec sa rage de vivre et de dépasser tous les obstacles qui se mettent sur son chemin et avec sa femme qui ne lâche pas le morceau quand il s'agit de réparer une injustice faite, l'assurance est très mal tombée (bien que ce soit Pierre qui ait fait la chute).
Je sais, je me lâche, mais j'ai l'impression qu'ils oublient que derrière chaque numéro de dossier se cache un drame qui contient beaucoup de souffrance humaine qu'ils attisent à cause de leur manque de diligence ou même d'humanité.



Oui je sais, beaucoup de personnes essayent de tricher et de tirer un maximum des assurances lors d'un sinistre.  Cela entraîne la méfiance de la part de celles-ci, elles ont le droit d'étudier les dommages et de faire la part des choses.  Cela c'est normal. Mais qu'un expert payé par la partie en faute ose dire qu'il se pose la question s'il faut que Pierre puisse cuisiner dans sa seconde résidence (c'est du sexisme), qu'il décrive la rénovation  à peine terminée en 2012 comme un "embellissement de qualité moyenne" alors que nous y avions investi des dizaines de milliers d'euros, qu'il estime qu'un agrandissement de notre maison comme nous le souhaitons ne se justifie pas vraiment, qu'il nous fasse attendre 6 mois avant de nous faire parvenir son premier avis, cela à nos yeux ce n'est plus normal et nous fait plus penser à une technique délibérée de sape.



Je crois que certains experts assureurs n'ont pas l'ombre d'une idée de ce que peut représenter l'impact d'un accident avec lésions corporelles irréversibles sur la victime et tout son entourage proche. Je trouve que ces personnes devraient être obligées de vivre une fois en chaise roulante, de ne pas pouvoir utiliser leurs jambes pendant au moins quinze jours, avant de pouvoir s'occuper d'un dossier pareil et de se nommer expert de la chose.  Le prof de sport de Pellenberg qui donne cours aux personnes en chaise roulante fait partie d'une équipe de basket en chaise roulante.  Je vous assure qu'il sait ce que c'est, lui de se mouvoir ainsi.
 Ce n'est pas pour rien que les victimes des attentats de Bruxelles et leurs proches ont exprimé leur déception et leur désarroi par rapport à leur prise en charge par les autorités et les assurances. Nous les comprenons bien, sachant pourtant que nous avons encore cette chance d'avoir une assurance recours en justice (qu'il a fallu faire activer par un ami bien placé, car notre courtier voulait d'abord faire régler le sinistre par des arrangements à l'amiable...) qui nous permet d'être assistés et soutenus par des professionnels compétents, compréhensifs et bienveillants.



Tout n'est pas pourri dans ce royaume ;-)

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