vendredi 21 novembre 2014

Une période de vie entre parenthèses.




Petite carte postale de Coxyde un matin d'automne en semaine:
Il fait gris et brumeux, le ciel se noie dans la mer ou est-ce la mer qui veut caresser le ciel?  Un homme solitaire dans son ciré vert a lancé ses deux lignes dans un mouvement athlétique, puis s'est installé sur le tabouret de sa petite charrette dans l'attente que les dents de la mer mordent.  Un trotteur et un meneur se  partagent un sulky et gardant leurs distances, passent derrière le pêcheur et ses cannes. Au loin un navire de guerre croise sur nos eaux territoriales à la recherche de trafiquants, de pollueurs ou du temps perdu.
Sur la digue devant chez nous un teckel et un fox-terrier se parlent en langage truffé d'odeurs tandis que leurs maîtres bavardent tranquillement. J'imagine Martine à la mer et le Tintin de Kroll qui parlent de Patapouf et Milou, leurs fidèles compagnons de toujours.   Dans l'appartement le fils et sa chienne sont encore dans les bras de Morphée tandis qu'il pleut dans les yeux de la mère qui trouve le temps bien long loin de son marin chaviré.


Une période de vie entre parenthèses.
Depuis l'accident de Pierre, notre vie a basculé.  Une sorte de séisme suivi de plusieurs secousses nous a bouleversés, ébranlés, élagués, mutilés, mais non pas déracinés.
Nos corps séparés, nos âmes restent tellement enracinées l'une dans l'autre, impossible d'envisager notre avenir sans l'autre.  Notre amour est bien l'ancre immuable qui nous rattache à l'envie de vivre encore et à tout prix, ensemble.  Cinq mois, c'est long et je sais qu'il en reste encore plusieurs avant de sortir de cette parenthèse forcée.

Tous les deux, nous sommes comme dans un no Man's Land, sortis de notre structure habituelle, dégagés de notre vie professionnelle, côtoyant un monde médical dont nous ignorions tout et vivant à un rythme incomparable à celui que nous menions avant le 12 juin.  Mon travail déterminait en grande partie la gestion de mon temps.  Mes étudiants me manquent beaucoup, toutefois je suis étonnée de voir comme j'arrive à faire abstraction de ce pilier dans ma vie. Au mois de juillet je me demandais comment j'allais pouvoir conjuguer le temps pour Pierre et le temps pour mon travail. Je n'ai pas dû chercher un nouveau mode ou une nouvelle conjugaison, c'est la maladie qui a imposé sa loi implacable, son impératif.  Mon premier devoir maintenant et dans les mois qui viennent est de guérir, de me refaire une santé, de reprendre des forces physiques et mentales. Je sais que je ne suis pas irremplaçable au boulot, et heureusement!
Comme je ne suis plus capable de rendre visite à Pierre tous les jours, cette séparation me pèse davantage.  Heureusement il y a les sms et le coup de fil du soir, mais ça ne remplace pas tous les gestes de tendresse que nous avions l'habitude de nous manifester au quotidien. Les retours à la maison de Pierre le week-end nous mettent du baume sur le cœur, mais en même temps ils nous conscientisent encore plus de tout ce qui sera différent.  Quand je me suis rendue au service des urgences le 12 juin, un médecin m'a dit: "Il y aura l'avant et l'après accident." Ces paroles se sont gravées en moi et je sais que, comme dirait Prévert parlant à Barbara: "Ce n'est plus pareil".  Notre regard sur notre maison, notre travail, nos loisirs, notre avenir, notre intimité doit changer, prendre une autre perspective, traverser une autre lentille, changer de diaphragme.  Après 35 ans d'amour fou, nous nous retrouvons comme des fiancés qui doivent apprendre à s'apprivoiser, à faire des projets communs où chacun trouve la place de s'épanouir, de rester fidèle à sa vocation propre.
Nous avons envie de nous remarier, d'échanger à nouveau ce consentement que nous nous sommes dit en 1982.  L'autre jour nous avons repris notre album de mariage et relu les échanges que nous avions écrits l'un pour l'autre en nous promettant de partager l'aventure de l'Amour avec ses joies et ses peines. Quelle émotion terrible en redécouvrant aujourd'hui ces paroles quasi prémonitoires!  Je ne peux m'empêcher de vous en partager quelques lignes:
Pierre: "... M.B., tu m'aides à garder confiance en moi.  Grâce à toi, je peux accepter avec une plus grande sérénité les évènements qui, sans toi, me paraîtraient être des handicaps; avec toi ils font partie de ce combat de tous les jours. ..." 
M.B.:" Pierre, ... , ton amour et ta tendresse me font grandir.  Par toi j'apprends à mieux me connaître et à mieux accepter mes faiblesses. Ton calme et ta sérénité me poussent à faire confiance en la vie. ..."
Même pas une virgule n'est à changer dans ce que nous avons dit alors, ces paroles restent notre réalité aujourd'hui.
Le fond reste identique, mais la forme change. Notre vie sera différente, mais ce n'est pas pour ça que ce sera moins bien.  A nous de réinventer notre avenir avec les cartes qui nous sont redistribuées.  On ne les a pas encore toutes retournées. On n'a pas encore très bien discerné quel est l'atout, mais il finira bien par se révéler.  En tout cas, ce n'est pas une partie de valet puant, mais plutôt un jeu coopératif de patience dont nous voulons sortir gagnants ensemble.

Un sujet qui nous occupe assez bien pour le moment, c'est l'adaptation de nos lieux de vie. Quelle chance que nous ayons agrandi la maison en rajoutant une chambre avec salle de bains au rez-de-chaussée il y a 13 ans en pensant à nos vieux jours!  Sans cela nous serions sans doute dans l'obligation d'envisager un déménagement dans un avenir proche ou de faire de très gros travaux.  Maintenant il faut "seulement" adapter. Mais ce sera déjà conséquent.  L'ergo de Pellenberg est passée il y a quelques semaines.  Nous attendons son dossier.  Dans notre appart à la mer j'ai aussi fait venir une ergo de la mutuelle.  C'est un service gratuit offert aux membres.
Là les choses sont plus compliquées car les sanitaires ne sont pas si facilement accessibles.  L'ergo proposait une démolition totale de la salle de bains que nous venons de rénover avec tant de patience et de sueur!  Je me suis retenue, mais ai failli avoir une apoplexie... Mais d'autres pistes doivent être possibles, notamment grâce à un système de harnais accroché à des rails au plafond. (Handi Move, allez voir leur site, c'est intéressant)
Je m'imagine déjà mon homme en Tarzan passant de la chambre à la salle de bains accroché non pas à une liane, mais à son harnais.  (Faudra que je demande à notre voisin du deuxième où il a acheté son maillot de bain imitation léopard...)
Mais il faudra d'abord arriver à entrer dans l'immeuble et dans l'appart via l'ascenseur...  Pour l'immeuble, c'est une bonne chose que je fasse partie du conseil de gestion, le syndic m'a promis son soutien et est en train de faire un appel d'offres.  Il a vraiment pris ça à cœur. Pour l'ascenseur, c'est le constructeur de chaises roulantes qui va étudier la question. A mon avis, il finira bien par trouver la solution pour faire passer une chaise par une entrée de 69 cm de large. Le tout est de ne pas faire de tête à queue ou de vol plané (une fois ça suffit).
Il y a pour le reste encore bcp de questions non élucidées concernant le boulot, les déplacements,  notre lieu de vie à plus longue échéance.  Mais chaque chose à son temps, le temps porte conseil et nous apprenons à vivre davantage au jour le jour, car à chaque jour suffit sa peine. (je dédie cette phrase à mes chers étudiants du cours de conversation française qui aiment quand je leur apprends des expressions et des proverbes typiquement français, là ils sont servis ;-), chers amis vous voyez que je ne vous oublie guère, avec vous ce n'est pas loin des yeux, loin du cœur).

mercredi 19 novembre 2014

Alors, ça roule ?




Revoici la suite des petites nouvelles… En plus des cartes postales, je vais vous partager des extraits de conversations d’ici et de là, conversations auxquelles j’ai peut-être participé... Tout cela dans le plus grand respect de l’anonymat. De plus, tout est traduit en français. Morceaux choisis:
-Tiens je vois que tu ne mets plus de langes… Ca veut dire que ça va mieux de ce côté-là ?
*Oui, voilà une semaine que je n’ai plus d’accident. Ca soulage, si on peut dire !
-Et tu mets quoi alors ? Juste un slip ?
*Non, il y a encore une protection dans le slip… Mais ça ne me gène pas pour marcher vu que je suis dans la chaise roulante toute la journée ! Et toi ?
-Ben moi c’était pareil, mais avec mon nouveau virus, on est repassé aux langes…

-Depuis que je suis en clinique, je ne fume plus : 47 jours sans fumer ! Je suis même dérangé par l’odeur des cigarettes. Et puis je vois ce que ça coûtait…
*Et t’as même pas envie de tirer un p’tit coup sur une cigarette ?
-Non vraiment plus du tout. C’est ma femme qui est contente. Enfin, pour la cigarette…

-Tu n’as plus de sac d’urine aux jambes ? C’est super, ça veut dire que tu te sondes toi-même ?
*Occupe-toi de tes affaires !

-Tu sais quoi ? Les ergos ont envoyé le stagiaire chez les infirmières pour récupérer le flatulançomètre.
*Et alors ?
-Ben… le stagiaire est revenu en disant que les infirmières ne savaient pas déplacer un tel appareil de 300 kg seules, et qu’il fallait apporter un soulève palettes.
*Ah ah ah ! C’est si lourd que ça ? Et ça sert à quoi ?

Ici devrait figurer un dialogue entre Madicte et une infirmière, à propos des cheveux ou plus exactement à propos de l’absence de cheveux. Mais la manière dont chacune se livrait,  s’ouvrait à l’autre, mérite que rien ne soit rapporté publiquement. Respect, discrétion, confiance. Un très beau moment auquel j’ai eu le privilège d’assister !

-Je suis rentré chez moi ce WE, mais rien ne va plus.
*Tu m’avais confié que ta femme et toi vous alliez vers la séparation, c’est à cause de ça que le WE était mauvais ?
-Oui… Et puis il y a les enfants, la reprise de la maison, le choix d’un nouvel appartement pour moi. C’est vraiment difficile. T’as encore des Chokotof ?
*Tiens, on va se faire une petite orgie de Chokotof !!!

-Je peux entrer, Pierre ?
*Oui, mais frotte bien tes pieds !
-Mauvaise nouvelle (il se met à pleurer, les deux chaises roulantes se rapprochent)
Après quelques mouchoirs, il continue :
-C’est fini : mercredi prochain je dois quitter Pellenberg…
Long silence...

Voici quelques cartes postales de ma rue… J’ai vu que vous aimez cela.
Ce vendredi, deux jeunes femmes ont quitté Pellenberg: revalidation terminée ! Joie des uns, tristesse ou émotions des autres… Chacun réagit différemment en voyant partir un visage, une voix, un éclat de rire.
Derrière notre bâtiment ont commencé des travaux à grande échelle: une tour de 7 ou 8 étages qui abritera en son sommet une toute nouvelle salle pour les kinés, une autre pour les ergos, ainsi qu’une piscine. Abattage des arbres, travaux de nivellement, installation des bureaux containers, premiers travaux des géomètres… c’est amusant comme chacun en connait un bout dans un domaine différent. Les conversations ne manquent pas quand nous avons le nez collé aux fenêtres.
Un groupe dont je devais faire partie est allé passer une journée en ville, à Leuven. Expérience enrichissante dans la mesure où l’on découvre les difficultés sur les trottoirs, dans les travaux, dans l’accès à certains magasins. Certains sont partis en minibus de Pellenberg, d’autres en transport en commun (on nous apprend à réserver des places dans les transports en commun). Le plus impressionnant a été la montée et la descente dans les escaliers roulants. Il semble que la peur soit bien plus grande que la difficulté technique. Je vous raconterai quand j’y aurai été.
Autre carte postale, pendant l’heure de sport : nous jouons au badminton. Je suis opposé à notre gardien de but dont je vous ai touché un mot dans une autre carte postale (il n’a plus de jambes). En fait, comme nous sommes aussi mauvais l’un que l’autre dans ce sport, c’est celui qui commence qui gagne (à chaque service, on marque un point, vu que l’adversaire ne sait pas récupérer l’envoi) ; très sportivement, il me demande qui commence à servir. Tout aussi sportivement, je lui propose que ce soit le plus grand des deux qui commence. J’ai gagné la partie ! (juste par un point d’écart)
Petite carte postale de l’entrainement en chaise roulante: au moins deux fois par semaine nous nous entrainons à franchir des obstacles tels que les bordures, les rigoles quand on quitte un trottoir, descendre des plans inclinés (en gérant la vitesse), ou monter des plans inclinés (en gérant… les chutes), franchir des escaliers (avec accompagnateurs of course !), ouvrir des portes. Je comprends la technique, je peux l’expliquer… mais l’appliquer demande une telle coordination de mouvements, une telle confiance en soi et en l’autre !!!! Je n’ai pas encore mon brevet de pilote de chaise roulante !

Depuis 15 jours je me paye (ici, on ne se refuse rien !) une infection de la vessie. Le premier médicament employé n’était pas assez efficace, nous avons donc décidé, contre mon avis médical, de me confier à un baxter (non non : pas celui de Tintin !), ce qui semble être plus simple que de me confier un baxter. Comme ma phobie des piqures et autres engins servant à transpercer la peau n’a pas diminué, j’ai eu droit à des calmants auparavant (assez forts, car après une demi-heure  je ne comprenais plus moi-même ce que je disais). Tout comme moi, mes veines fuyaient quand l’aiguille arrivait. Pour finir, après 4 tentatives, « la » spécialiste appelée en renfort a arrangé l’affaire en 4 ou 5 secondes. Puis, comme par bonheur, et profitant de mon état d’endormissement partiel, on m’a annoncé qu’on allait me faire une prise de sang… Mieux même: l’une le soir, l’autre le lendemain matin ! « Frapper un homme à terre, c’est un coup bas » comme dirait Fidel Castro. Ici ce n’était pas la pilule que l’on devait faire passer, mais toute la seringue. C’est toujours par après que je me dis m’être comporté comme un gamin. Je sais que la peur est plus forte que la douleur. Je sais que la douleur est (presque) insignifiante. Je sais que la peur est mauvaise conseillère… Rien n’y fait ! Il paraît qu’avec le choc que j’ai subi, c’est une réaction normale (oui, je ne vous l’ai pas dit : j’ai eu un accident). Cela fait cinq mois maintenant… Je pourrais peut-être passer à autre chose ? Pourquoi ne suis-je pas encore passé au-delà de ces peurs ? Bref, à cause du baxter je n’ai pas pu rentrer à la maison ce WE. Je n’ai pas accompagné les copains de ma rue quand ils sont partis en virée à Leuven parce que je me balade avec mon baxter, un peu comme un Monsignore avec sa crosse. Cela ne me rassure pas de trimbaler ces tuyaux, de veiller à ce qu’il y ait assez de mou pour qu’ils ne s’arrachent pas brusquement. Je ne parviens pas à calmer ces craintes !
Je vous le disais un peu plus haut, cela fait cinq mois qu’a eu lieu l’accident… Que de chemin parcouru depuis ! Je me rends compte que la période de revalidation est importante, que je dois m’impliquer à fond dans ce processus qui me mène vers une nouvelle autonomie. Chaque petite victoire me guide vers la sortie. Mais le corridor qui mène à la sortie est très long à parcourir, surtout en chaise roulante… Je suis ici dans un monde transitoire, un monde auquel j’appartiens provisoirement. Un monde qui va me faire naître à une autre Vie. Dans ce monde ci, il n’est pas question de factures, de travail, de météo, de porte-clés égaré, je ne sais même pas si j’ai sorti une fois ma carte d’identité depuis que je suis à Pellenberg. Je n’ai plus suivi les prix des carburants à la pompe: Madicte et Emilie ont ma carte de banque pour les pleins de la voiture, pour le Colruyt ou le Delhaize. Les invitations aux mariages, anniversaires et autres fêtes me parviennent, mais je ne sais y répondre « présent » physiquement. J’entends bien parler de grèves , de menaces de grèves; mais ici, le travail et l’engagement envers les patients passent bien avant les revendications du personnel. Ce monde est loin de la Vie extérieure, de votre Vie. C’est pour cela que tout ce qui me vient de l’extérieur me rapproche de la Vie à laquelle je retournerai ! Continuez à me parler de vous, de vos familles, de votre gouttière à remplacer, du chat qui perd ses poils, de la voisine qui n’est toujours pas fichue de parquer sa voiture sans emporter votre poubelle ! Continuez à vous aimer, à chérir ceux qui remplissent votre cœur ! Cherchez la Paix avec les autres ! (Tiens, je pourrais aussi essayer d’en faire autant…)

Proposition de musique pour cette fois-ci : Ode à la Joie !  Par exemple cette version… Qu’il devait faire bon y être !
https://www.youtube.com/watch?v=GBaHPND2QJg

jeudi 6 novembre 2014

Nouvelles du Grand Possible *




Avant de vous donner des nouvelles récentes, voici quelques cartes postales.

Changement d’adresse, je passe de la chambre 308 à la chambre 314, même étage, même couloir. Pour info, cela n’a pas beaucoup d’importance, encore que les personnes qui m’envoient du courrier devraient en tenir compte. Chez les ergos, nous avons commencé la décoration pour la fête d’Halloween. Moi qui ai horreur de cet évènement, j’ai de la chance ! Chaque année, les élèves me demandent si je vais à la fête d’Halloween, ce à quoi je réponds en général par une grimace. Cette année, en chaise roulante, nous avons fait les achats (décoration), et surtout vidé des potirons ! On peut dire que je renie mes convictions. Je sens que le prochain atelier cuisine sera de faire de la soupe aux potirons pendant plusieurs semaines. Pour la veillée de Noël, on regardera les photos d’Halloween. Puis au printemps nous planterons des graines de potirons. Comme on dit en wallon : ké chance ! Autre carte postale : à table, au repas de midi, nous avons de nouvelles têtes. Entre autres quelqu’un dont nous savons déjà tout, tant il nous raconte sa vie, son boulot, ses divorces, ses voyages, ses opérations, ses voitures, ... Après deux jours... Enfin, quand je dis que nous savons tout, c’est un peu faux, parce qu’on apprend encore et encore : dans le couloir quand on se croise, dans l’ascenseur (c’est le mieux : ça ne dure pas longtemps), sur les tables de kiné. Dans d’autres circonstances (avant l’accident), je serais passé dans les toilettes des dames pour l’éviter dans les pissotières ! (je connais d’autres mots plus appropriés pour cet endroit, mais celui-ci a beaucoup de saveur). Encore une carte postale de ma rue : un matin, le chef infirmier vient me demander si je souhaite le vaccin contre la grippe… J’ai cru qu’il rigolait, qu’il savait que j’ai peur des piqures… mais non, il était sérieux. J’ai passé mon tour; on en reparlera dans quelques années. Autre carte postale: ce monsieur qui nous quitte après deux mois de revalidation. Il était ici suite à une chute, avait les quadriceps fort abimés. Quand il a vu les « cassés » que nous sommes, il s’est dit que sa motivation était là, en nous. Le jour de son départ il est passé auprès de chacun pour nous remercier pour ce que nous lui avions apporté. Allez, encore une carte postale de ma rue ! Parmi nos nombreuses activités, nous pratiquons certains sports. Cette semaine nous avons joué au hockey. A un moment, il y avait un penalty. Le compère qui était au goal est comme nous tous en chaise roulante, mais lui est amputé des deux jambes. Juste avant le tir, chacun donnait ses conseils à celui qui devait transformer le penalty : « tire à gauche, il tient sa crosse de l’autre côté » ou encore « tire en hauteur, il ne sait pas sauter » ou aussi « vise entre ses jambes »… Ce qui a complètement déconcentré le lanceur. Donc pas de point ! Autre carte postale, sous forme de courrier : papa avait posté une grande enveloppe avec des dessins d’enfants d’une de mes écoles le 26 septembre… Elle vient de m’arriver ce vendredi 31 octobre !
J’ai dans ma rue un compagnon d’infortune qui ne parle que le français ; il vient de temps en temps faire la papote dans ma chambre. Je lui demande de bien essuyer ses pieds avant d’entrer. Il me répond qu’il s’est levé du mauvais pied. Autre carte postale: le monsieur qui ne rit jamais, qui ne sourit pas: il ne participe pas aux petites joies du groupe (ceci est une vieille carte postale en noir et blanc).

Il y a eu un grand creux la semaine passée … Je devenais autonome au niveau des urines, et puis tout d’un coup: infection urinaire, retour à une sonde permanente, fièvre, découragement, … pas marrant. Pas envie d’embêter Madicte avec ça. C’est dur de se retrouver confronté à un retour en arrière malgré les mots d’encouragements des infirmières. Le marchand de mouchoirs a bien vendu cette semaine…
Mais en même temps, j’ai appris à me transférer. Semaine de contrastes avec des hauts et des bas. C’est un début, encore sous la présence active des kinés, je passe de la chaise roulante à la table de kiné, et retour. Petites victoires, mais qui me motivent pour franchir de nouvelles étapes vers l’autonomie. La Vie est belle ! J’arrive à écrire à peu près normalement avec la main droite. On me confie la gestion de mes médicaments. On m’a enlevé les petites roues arrière sur ma chaise roulante, celles qui m’empêchent de basculer en arrière (cela veut dire que tout doucement on me fait confiance, on estime que je sais me balancer sur les grandes roues sans tomber à la renverse). Je me vois comme un enfant  qui grandit. On lui confie de petites tâches, on lui enlève les petites roues de son vélo, on lui montre qu’on lui fait confiance. Depuis quatre semaines, je sais ouvrir et fermer mon tube de dentifrice, geste bien anodin quand on y pense, mais qui demande un réapprentissage. J’emploie à nouveau ma main droite pour me brosser les dents. Parfois je me dis que c’est vraiment puéril de me réjouir pour si peu; mais je sais aussi que ces petites victoires sont importantes, qu’elles me rapprochent de la vraie autonomie et du retour définitif à la maison. Il faudra encore beaucoup de petites victoires, beaucoup de larmes pour y arriver, mais c’est le chemin à parcourir ! Je sais aussi ce que chacun de vous m’apporte, ne sous-estimez pas votre force. Madicte et moi puisons le courage dans ce que nous sommes l’un pour l’autre, l’un avec l’autre, mais sans vous ce chemin serait impossible. Le nombre de fois que vous nous avez confié dans vos prières, le nombre de fois que vous avez allumé des bougies, le nombre de fois que vous nous avez envoyé de l’énergie, le nombre de fois que nous avons reçu des visites ou du courrier, … Le comptage en soi n’a pas d’importance, c’est tout ce qui vit derrière chaque geste, chaque pensée, chaque intention, chaque regard, qui est porteur. Comme le mot MERCI est petit, et pourtant tellement rempli de sens.
Je prends de plus en plus conscience de ce que sera mon handicap dans l’avenir : tout ce que je savais faire et qu’il me sera impossible de poursuivre. Ce n’est ni de la tristesse ni de la nostalgie (il y en aura, je n’en doute pas), c’est un constat. La Vie continue, autrement.
Je vous ai parlé de ma hantise des piqures. Cela fait partie des traumatismes post accident. Il y en a d’autres, plus amusants : le contact avec les barres froides en inox de mon lit, brrr ! Le contact avec les velcros qui me retiennent sur la table de kiné ! Le pain emballé dans un plastique transparent. Dormir sur des matelas et coussins plastifiés, même avec une housse ! Ce sont des sensations peu agréables, pas vraiment traumatisantes, mais que je serai un jour content de ne plus ressentir.
Lors du dernier retour à la maison, j’observais le jardin. Les moineaux sont toujours là, les ramiers aussi (moins nombreux qu’avant), les tourterelles de même, ainsi que les merles. Le rouge gorge et le troglodyte sont toujours présents, mais je n’ai plus vu de grives. Et les pies ont aussi disparu, ce qui est une bonne chose. Je suppose que le voisin a fait bon usage de son piège ! Tant mieux, cela veut dire que ces foutus oiseaux ne videront plus les nids des autres habitants du jardin.
Pour rentrer à la maison, j’employais encore une chaise roulante électrique, mais comme je passe ma semaine dans une chaise roulante manuelle, le contraste est flagrant. Je peux ramasser quelque chose tombé sur le sol avec la chaise manuelle, pas avec l’autre, je tourne en prenant moins de place, … J’ai demandé si je pouvais entrer à la maison avec une chaise manuelle. Réponse positive ! Mais contre la promesse de ne pas faire de cross avec, même dans la maison. Je suis en période d’apprentissage, les cabrioles me sont encore interdites. Nous apprenons à franchir des bordures de trottoirs, des marches d’escaliers, etc… Il est également prévu dans notre apprentissage d’emprunter des escalators. Notre instructeur a bien expliqué que ce ne sera qu’après avoir réussi 1000 fois le franchissement d’un obstacle que nous serons vraiment autonomes ! Comme le résumait si bien en trois mots ce grand philosophe français, hélas trop peu connu, Robert Bidochon : « Patience, patience, patience ! »
Je me rends compte que ce texte est en chantier depuis trop longtemps ; je vais le clôturer aujourd’hui. Nous sommes le 5 novembre, je viens d’avoir 56 ans. Abondance de courrier, de sms, de mails, de cadeaux ! Les infirmières défilent pour le bisou, elles décorent ma chaise roulante avec des ballons. Je me sens fêté, c’est incroyable. Et pendant ce temps, ma Douce subit une chimio. La Vie est pleine de contrastes…
N’oubliez pas : la Vie est belle !  Cueillez les fleurs du jour ! Carpe diem ! N’oubliez pas ceux qui vous aiment, ni ceux que vous aimez ! Redites-leur votre Amour, votre Amitié !

*titre d’un recueil de nouvelles de Marcel Thiry

mercredi 5 novembre 2014

Réunion de famille à la maison dimanche, le 2 novembre, pour fêter les anniversaires.






2014-11-05
Le 2 novembre, jours des morts était pour nous l'occasion de fêter les vivants.  Grâce au ciel, je n'étais pas la veuve éplorée, mais bien l'épouse rassurée qui se réjouit de voir tous les petits progrès de mon homme qui se font au fil des jours, même s'il y a des hauts et des bas et parfois des retours à la case départ.
Quelle joie de pouvoir accueillir la famille de Pierre à la maison! Mère et fils ont eu ainsi l'occasion de se revoir tous les deux en chaise roulante.  Leur dernière entrevue datait de la visite à sa maman de Pierre en civière à l'hôpital d'Ottignies. Il y a du progrès, la position alitée a évolué en position assise. Y aura-t-il un jour une rencontre debout?
Je tiens à remercier tout spécialement les (beau)frères et sœur vaillants ainsi que la jeune génération qui ont tout géré tambour battant. Un service traiteur n'aurait pas fait mieux!
Merci à tous pour ce beau cadeau d'anniversaire anticipé pour Pierre dont j'ai pu profiter aussi pleinement!
Que d'émotions joyeuses! Les larmes qui ont coulé n'étaient que du bonheur. Gracias a la vida. "Alléluia, la vie est belle", comme dirait notre amie Brigitte en traduisant en langage plus civilisé le "P... ain, la vie est belle" de Pierre.
Je sais que Pierre est en train de nous mijoter un texte depuis plusieurs jours, je ne vais donc pas trop en dire, de peur de déflorer son histoire.
En ce qui me concerne, j'ai eu ma troisième chimio aujourd'hui.  Dernière fois que j'aurai ce cocktail rouge si intrusif.  Dans trois semaines on commence un autre produit, le Taxol qui demande un traitement hebdomadaire pendant 9 semaines.  J'ai fait ce choix avec l'oncologue qui me proposait soit cela, soit du Taxotère toutes les trois semaines, sur une période étalée de 9 semaines.  J'ai opté pour la version "light" aussi efficace, ayant moins d'effets secondaires et demandant moins de médicaments pour contrer ces effets (hautes doses de cortisone contre les douleurs articulatoires). Evidemment c'est plus contraignant, car je devrai y aller 9 fois, mais ça me semble peu de chose sur la durée de toute une vie (que je tiens à sauvegarder encore longtemps, inch'Allah!).
Pour me préparer à cette chimio, une petite séance de Reiki hier soir m'a permis d'avoir une bonne nuit, merci à notre ange Martina.  La semaine passée j'ai pu de nouveau profiter des bienfaits de la mer, grâce à d'autres anges gardiens terrestres qui m'y ont amenée, accompagnée, ramenée en toute sécurité. Merci, mes chers amis!
A part mercredi, la météo était superbe. On a pu déjeuner sur la terrasse arrière en plein soleil.  Martine et Jacques en ont profité pour parfaire leur bronzage, moi j'avais gardé la petite laine et mon bonnet après avoir enlevé mon gros pull.
A propos du bonnet, grâce à une "fuite" j'ai découvert que c'était ma gentille collègue prof de tricot qui s'était transformée en petite fée pour déposer discrètement ce présent dans notre boîte aux lettres. Elle m'en a proposé encore un, je n'ai pas refusé, car dans la maison, c'est vraiment ce qu'il y a de plus agréable à porter sur ma tête de bébé. (c'est du coton de bambou, extra doux, tricoté avec des motifs aérés).
C'est fou comme nous sommes entourés, choyés, soutenus par tant de personnes qui après presque 5 mois restent fidèles au poste pour nous soutenir avec toute leur amitié et leur tendresse. "On se demande de quoi le Ciel nous était redevable pour nous payer avec tout cet amour".
Nous accueillons ce qui vient et ne formulons aucune attente précise, car nous savons bien que le silence n'égale pas l'absence et que chacun nous porte dans ses pensées et son cœur à sa façon.
Souvent nous nous disons que si ce qui nous arrive et la façon dont nous le vivons peut aider les autres à avoir un autre regard sur la beauté de la vie, ("Le monde  a la beauté du regard qu'on y pose" Yves Duteil), alors tout notre combat pour la vie a une raison d'être et cela nous aide à le continuer.
J'ai la grande chance que l'accident de Pierre ne me l'a pas arraché de mon affection et que même si la vie ne sera plus jamais comme avant, l'essentiel de ce qu'il est, est resté intact.  Je pourrais même dire que ces épreuves ont fait grandir nos âmes et que tous deux, nous sommes amenés à aller encore davantage vers l'essence de notre existence.
Côtoyer la mort, que ce soit par un accident ou par une maladie, c'est comme pour le bout de métal, passer par les mains de l'orfèvre dans le feu qui donne une nouvelle forme, une destinée plus claire. Nous nous doutons bien qu'il y a un sens derrière tout cela et que nous sommes appelés à reformuler nos destinées.  Nous ne savons pas pourquoi cela est arrivé, mais c'est à nous à chercher pour quoi, vers quoi nous devons cheminer. Nous supposons qu'avec le temps nous comprendrons mieux ce vers quoi on est appelés.  Entretemps on continue à ramer dans le seau de lait... (ou est-ce déjà de la crème fraîche?)  Aïe, c'est pas le moment de parler nourriture, ça me donne des nausées... Dans trois jours ça ira mieux et au printemps je pourrai me requinquer...