mercredi 19 novembre 2014

Alors, ça roule ?




Revoici la suite des petites nouvelles… En plus des cartes postales, je vais vous partager des extraits de conversations d’ici et de là, conversations auxquelles j’ai peut-être participé... Tout cela dans le plus grand respect de l’anonymat. De plus, tout est traduit en français. Morceaux choisis:
-Tiens je vois que tu ne mets plus de langes… Ca veut dire que ça va mieux de ce côté-là ?
*Oui, voilà une semaine que je n’ai plus d’accident. Ca soulage, si on peut dire !
-Et tu mets quoi alors ? Juste un slip ?
*Non, il y a encore une protection dans le slip… Mais ça ne me gène pas pour marcher vu que je suis dans la chaise roulante toute la journée ! Et toi ?
-Ben moi c’était pareil, mais avec mon nouveau virus, on est repassé aux langes…

-Depuis que je suis en clinique, je ne fume plus : 47 jours sans fumer ! Je suis même dérangé par l’odeur des cigarettes. Et puis je vois ce que ça coûtait…
*Et t’as même pas envie de tirer un p’tit coup sur une cigarette ?
-Non vraiment plus du tout. C’est ma femme qui est contente. Enfin, pour la cigarette…

-Tu n’as plus de sac d’urine aux jambes ? C’est super, ça veut dire que tu te sondes toi-même ?
*Occupe-toi de tes affaires !

-Tu sais quoi ? Les ergos ont envoyé le stagiaire chez les infirmières pour récupérer le flatulançomètre.
*Et alors ?
-Ben… le stagiaire est revenu en disant que les infirmières ne savaient pas déplacer un tel appareil de 300 kg seules, et qu’il fallait apporter un soulève palettes.
*Ah ah ah ! C’est si lourd que ça ? Et ça sert à quoi ?

Ici devrait figurer un dialogue entre Madicte et une infirmière, à propos des cheveux ou plus exactement à propos de l’absence de cheveux. Mais la manière dont chacune se livrait,  s’ouvrait à l’autre, mérite que rien ne soit rapporté publiquement. Respect, discrétion, confiance. Un très beau moment auquel j’ai eu le privilège d’assister !

-Je suis rentré chez moi ce WE, mais rien ne va plus.
*Tu m’avais confié que ta femme et toi vous alliez vers la séparation, c’est à cause de ça que le WE était mauvais ?
-Oui… Et puis il y a les enfants, la reprise de la maison, le choix d’un nouvel appartement pour moi. C’est vraiment difficile. T’as encore des Chokotof ?
*Tiens, on va se faire une petite orgie de Chokotof !!!

-Je peux entrer, Pierre ?
*Oui, mais frotte bien tes pieds !
-Mauvaise nouvelle (il se met à pleurer, les deux chaises roulantes se rapprochent)
Après quelques mouchoirs, il continue :
-C’est fini : mercredi prochain je dois quitter Pellenberg…
Long silence...

Voici quelques cartes postales de ma rue… J’ai vu que vous aimez cela.
Ce vendredi, deux jeunes femmes ont quitté Pellenberg: revalidation terminée ! Joie des uns, tristesse ou émotions des autres… Chacun réagit différemment en voyant partir un visage, une voix, un éclat de rire.
Derrière notre bâtiment ont commencé des travaux à grande échelle: une tour de 7 ou 8 étages qui abritera en son sommet une toute nouvelle salle pour les kinés, une autre pour les ergos, ainsi qu’une piscine. Abattage des arbres, travaux de nivellement, installation des bureaux containers, premiers travaux des géomètres… c’est amusant comme chacun en connait un bout dans un domaine différent. Les conversations ne manquent pas quand nous avons le nez collé aux fenêtres.
Un groupe dont je devais faire partie est allé passer une journée en ville, à Leuven. Expérience enrichissante dans la mesure où l’on découvre les difficultés sur les trottoirs, dans les travaux, dans l’accès à certains magasins. Certains sont partis en minibus de Pellenberg, d’autres en transport en commun (on nous apprend à réserver des places dans les transports en commun). Le plus impressionnant a été la montée et la descente dans les escaliers roulants. Il semble que la peur soit bien plus grande que la difficulté technique. Je vous raconterai quand j’y aurai été.
Autre carte postale, pendant l’heure de sport : nous jouons au badminton. Je suis opposé à notre gardien de but dont je vous ai touché un mot dans une autre carte postale (il n’a plus de jambes). En fait, comme nous sommes aussi mauvais l’un que l’autre dans ce sport, c’est celui qui commence qui gagne (à chaque service, on marque un point, vu que l’adversaire ne sait pas récupérer l’envoi) ; très sportivement, il me demande qui commence à servir. Tout aussi sportivement, je lui propose que ce soit le plus grand des deux qui commence. J’ai gagné la partie ! (juste par un point d’écart)
Petite carte postale de l’entrainement en chaise roulante: au moins deux fois par semaine nous nous entrainons à franchir des obstacles tels que les bordures, les rigoles quand on quitte un trottoir, descendre des plans inclinés (en gérant la vitesse), ou monter des plans inclinés (en gérant… les chutes), franchir des escaliers (avec accompagnateurs of course !), ouvrir des portes. Je comprends la technique, je peux l’expliquer… mais l’appliquer demande une telle coordination de mouvements, une telle confiance en soi et en l’autre !!!! Je n’ai pas encore mon brevet de pilote de chaise roulante !

Depuis 15 jours je me paye (ici, on ne se refuse rien !) une infection de la vessie. Le premier médicament employé n’était pas assez efficace, nous avons donc décidé, contre mon avis médical, de me confier à un baxter (non non : pas celui de Tintin !), ce qui semble être plus simple que de me confier un baxter. Comme ma phobie des piqures et autres engins servant à transpercer la peau n’a pas diminué, j’ai eu droit à des calmants auparavant (assez forts, car après une demi-heure  je ne comprenais plus moi-même ce que je disais). Tout comme moi, mes veines fuyaient quand l’aiguille arrivait. Pour finir, après 4 tentatives, « la » spécialiste appelée en renfort a arrangé l’affaire en 4 ou 5 secondes. Puis, comme par bonheur, et profitant de mon état d’endormissement partiel, on m’a annoncé qu’on allait me faire une prise de sang… Mieux même: l’une le soir, l’autre le lendemain matin ! « Frapper un homme à terre, c’est un coup bas » comme dirait Fidel Castro. Ici ce n’était pas la pilule que l’on devait faire passer, mais toute la seringue. C’est toujours par après que je me dis m’être comporté comme un gamin. Je sais que la peur est plus forte que la douleur. Je sais que la douleur est (presque) insignifiante. Je sais que la peur est mauvaise conseillère… Rien n’y fait ! Il paraît qu’avec le choc que j’ai subi, c’est une réaction normale (oui, je ne vous l’ai pas dit : j’ai eu un accident). Cela fait cinq mois maintenant… Je pourrais peut-être passer à autre chose ? Pourquoi ne suis-je pas encore passé au-delà de ces peurs ? Bref, à cause du baxter je n’ai pas pu rentrer à la maison ce WE. Je n’ai pas accompagné les copains de ma rue quand ils sont partis en virée à Leuven parce que je me balade avec mon baxter, un peu comme un Monsignore avec sa crosse. Cela ne me rassure pas de trimbaler ces tuyaux, de veiller à ce qu’il y ait assez de mou pour qu’ils ne s’arrachent pas brusquement. Je ne parviens pas à calmer ces craintes !
Je vous le disais un peu plus haut, cela fait cinq mois qu’a eu lieu l’accident… Que de chemin parcouru depuis ! Je me rends compte que la période de revalidation est importante, que je dois m’impliquer à fond dans ce processus qui me mène vers une nouvelle autonomie. Chaque petite victoire me guide vers la sortie. Mais le corridor qui mène à la sortie est très long à parcourir, surtout en chaise roulante… Je suis ici dans un monde transitoire, un monde auquel j’appartiens provisoirement. Un monde qui va me faire naître à une autre Vie. Dans ce monde ci, il n’est pas question de factures, de travail, de météo, de porte-clés égaré, je ne sais même pas si j’ai sorti une fois ma carte d’identité depuis que je suis à Pellenberg. Je n’ai plus suivi les prix des carburants à la pompe: Madicte et Emilie ont ma carte de banque pour les pleins de la voiture, pour le Colruyt ou le Delhaize. Les invitations aux mariages, anniversaires et autres fêtes me parviennent, mais je ne sais y répondre « présent » physiquement. J’entends bien parler de grèves , de menaces de grèves; mais ici, le travail et l’engagement envers les patients passent bien avant les revendications du personnel. Ce monde est loin de la Vie extérieure, de votre Vie. C’est pour cela que tout ce qui me vient de l’extérieur me rapproche de la Vie à laquelle je retournerai ! Continuez à me parler de vous, de vos familles, de votre gouttière à remplacer, du chat qui perd ses poils, de la voisine qui n’est toujours pas fichue de parquer sa voiture sans emporter votre poubelle ! Continuez à vous aimer, à chérir ceux qui remplissent votre cœur ! Cherchez la Paix avec les autres ! (Tiens, je pourrais aussi essayer d’en faire autant…)

Proposition de musique pour cette fois-ci : Ode à la Joie !  Par exemple cette version… Qu’il devait faire bon y être !
https://www.youtube.com/watch?v=GBaHPND2QJg

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