Avant
de vous donner des nouvelles récentes, voici quelques cartes postales.
Changement
d’adresse, je passe de la chambre 308 à la chambre 314, même étage, même
couloir. Pour info, cela n’a pas beaucoup d’importance, encore que les
personnes qui m’envoient du courrier devraient en tenir compte. Chez les ergos,
nous avons commencé la décoration pour la fête d’Halloween. Moi qui ai horreur
de cet évènement, j’ai de la chance ! Chaque année, les élèves me
demandent si je vais à la fête d’Halloween, ce à quoi je réponds en général par
une grimace. Cette année, en chaise roulante, nous avons fait les achats
(décoration), et surtout vidé des potirons ! On peut dire que je renie mes
convictions. Je sens que le prochain atelier cuisine sera de faire de la soupe
aux potirons pendant plusieurs semaines. Pour la veillée de Noël, on regardera
les photos d’Halloween. Puis au printemps nous planterons des graines de
potirons. Comme on dit en wallon : ké chance ! Autre carte
postale : à table, au repas de midi, nous avons de nouvelles têtes. Entre
autres quelqu’un dont nous savons déjà tout, tant il nous raconte sa vie, son
boulot, ses divorces, ses voyages, ses opérations, ses voitures, ... Après deux
jours... Enfin, quand je dis que nous savons tout, c’est un peu faux, parce
qu’on apprend encore et encore : dans le couloir quand on se croise, dans
l’ascenseur (c’est le mieux : ça ne dure pas longtemps), sur les tables de
kiné. Dans d’autres circonstances (avant l’accident), je serais passé dans les
toilettes des dames pour l’éviter dans les pissotières ! (je connais
d’autres mots plus appropriés pour cet endroit, mais celui-ci a beaucoup de
saveur). Encore une carte postale de ma rue : un matin, le chef infirmier
vient me demander si je souhaite le vaccin contre la grippe… J’ai cru qu’il
rigolait, qu’il savait que j’ai peur des piqures… mais non, il était sérieux.
J’ai passé mon tour; on en reparlera dans quelques années. Autre carte postale:
ce monsieur qui nous quitte après deux mois de revalidation. Il était ici suite
à une chute, avait les quadriceps fort abimés. Quand il a vu les
« cassés » que nous sommes, il s’est dit que sa motivation était là,
en nous. Le jour de son départ il est passé auprès de chacun pour nous
remercier pour ce que nous lui avions apporté. Allez, encore une carte postale
de ma rue ! Parmi nos nombreuses activités, nous pratiquons certains
sports. Cette semaine nous avons joué au hockey. A un moment, il y avait un
penalty. Le compère qui était au goal est comme nous tous en chaise roulante,
mais lui est amputé des deux jambes. Juste avant le tir, chacun donnait ses
conseils à celui qui devait transformer le penalty : « tire à gauche,
il tient sa crosse de l’autre côté » ou encore « tire en hauteur, il
ne sait pas sauter » ou aussi « vise entre ses jambes »… Ce qui
a complètement déconcentré le lanceur. Donc pas de point ! Autre carte postale,
sous forme de courrier : papa avait posté une grande enveloppe avec des dessins
d’enfants d’une de mes écoles le 26 septembre… Elle vient de m’arriver ce
vendredi 31 octobre !
J’ai dans ma rue un compagnon d’infortune qui ne parle que le français ; il vient de temps en temps faire la papote dans ma chambre. Je lui demande de bien essuyer ses pieds avant d’entrer. Il me répond qu’il s’est levé du mauvais pied. Autre carte postale: le monsieur qui ne rit jamais, qui ne sourit pas: il ne participe pas aux petites joies du groupe (ceci est une vieille carte postale en noir et blanc).
J’ai dans ma rue un compagnon d’infortune qui ne parle que le français ; il vient de temps en temps faire la papote dans ma chambre. Je lui demande de bien essuyer ses pieds avant d’entrer. Il me répond qu’il s’est levé du mauvais pied. Autre carte postale: le monsieur qui ne rit jamais, qui ne sourit pas: il ne participe pas aux petites joies du groupe (ceci est une vieille carte postale en noir et blanc).
Il y a
eu un grand creux la semaine passée … Je devenais autonome au niveau des
urines, et puis tout d’un coup: infection urinaire, retour à une sonde
permanente, fièvre, découragement, … pas marrant. Pas envie d’embêter Madicte
avec ça. C’est dur de se retrouver confronté à un retour en arrière malgré les
mots d’encouragements des infirmières. Le marchand de mouchoirs a bien vendu
cette semaine…
Mais en
même temps, j’ai appris à me transférer. Semaine de contrastes avec des hauts
et des bas. C’est un début, encore sous la présence active des kinés, je passe
de la chaise roulante à la table de kiné, et retour. Petites victoires, mais
qui me motivent pour franchir de nouvelles étapes vers l’autonomie. La Vie est
belle ! J’arrive à écrire à peu près normalement avec la main droite. On
me confie la gestion de mes médicaments. On m’a enlevé les petites roues
arrière sur ma chaise roulante, celles qui m’empêchent de basculer en arrière
(cela veut dire que tout doucement on me fait confiance, on estime que je sais
me balancer sur les grandes roues sans tomber à la renverse). Je me vois comme
un enfant qui grandit. On lui confie de
petites tâches, on lui enlève les petites roues de son vélo, on lui montre
qu’on lui fait confiance. Depuis quatre semaines, je sais ouvrir et fermer mon
tube de dentifrice, geste bien anodin quand on y pense, mais qui demande un réapprentissage.
J’emploie à nouveau ma main droite pour me brosser les dents. Parfois je me dis
que c’est vraiment puéril de me réjouir pour si peu; mais je sais aussi que ces
petites victoires sont importantes, qu’elles me rapprochent de la vraie
autonomie et du retour définitif à la maison. Il faudra encore beaucoup de
petites victoires, beaucoup de larmes pour y arriver, mais c’est le chemin à
parcourir ! Je sais aussi ce que chacun de vous m’apporte, ne sous-estimez
pas votre force. Madicte et moi puisons le courage dans ce que nous sommes l’un
pour l’autre, l’un avec l’autre, mais sans vous ce chemin serait impossible. Le
nombre de fois que vous nous avez confié dans vos prières, le nombre de fois
que vous avez allumé des bougies, le nombre de fois que vous nous avez envoyé
de l’énergie, le nombre de fois que nous avons reçu des visites ou du courrier,
… Le comptage en soi n’a pas d’importance, c’est tout ce qui vit derrière
chaque geste, chaque pensée, chaque intention, chaque regard, qui est porteur.
Comme le mot MERCI est petit, et pourtant tellement rempli de sens.
Je
prends de plus en plus conscience de ce que sera mon handicap dans
l’avenir : tout ce que je savais faire et qu’il me sera impossible de
poursuivre. Ce n’est ni de la tristesse ni de la nostalgie (il y en aura, je
n’en doute pas), c’est un constat. La Vie continue, autrement.
Je vous
ai parlé de ma hantise des piqures. Cela fait partie des traumatismes post
accident. Il y en a d’autres, plus amusants : le contact avec les barres
froides en inox de mon lit, brrr ! Le contact avec les velcros qui me
retiennent sur la table de kiné ! Le pain emballé dans un plastique
transparent. Dormir sur des matelas et coussins plastifiés, même avec une
housse ! Ce sont des sensations peu agréables, pas vraiment
traumatisantes, mais que je serai un jour content de ne plus ressentir.
Lors du
dernier retour à la maison, j’observais le jardin. Les moineaux sont toujours
là, les ramiers aussi (moins nombreux qu’avant), les tourterelles de même,
ainsi que les merles. Le rouge gorge et le troglodyte sont toujours présents, mais
je n’ai plus vu de grives. Et les pies ont aussi disparu, ce qui est une bonne
chose. Je suppose que le voisin a fait bon usage de son piège ! Tant
mieux, cela veut dire que ces foutus oiseaux ne videront plus les nids des
autres habitants du jardin.
Pour
rentrer à la maison, j’employais encore une chaise roulante électrique, mais
comme je passe ma semaine dans une chaise roulante manuelle, le contraste est flagrant.
Je peux ramasser quelque chose tombé sur le sol avec la chaise manuelle, pas
avec l’autre, je tourne en prenant moins de place, … J’ai demandé si je pouvais
entrer à la maison avec une chaise manuelle. Réponse positive ! Mais
contre la promesse de ne pas faire de cross avec, même dans la maison. Je suis
en période d’apprentissage, les cabrioles me sont encore interdites. Nous
apprenons à franchir des bordures de trottoirs, des marches d’escaliers, etc…
Il est également prévu dans notre apprentissage d’emprunter des escalators.
Notre instructeur a bien expliqué que ce ne sera qu’après avoir réussi 1000
fois le franchissement d’un obstacle que nous serons vraiment autonomes !
Comme le résumait si bien en trois mots ce grand philosophe français, hélas
trop peu connu, Robert Bidochon : « Patience, patience,
patience ! »
Je me
rends compte que ce texte est en chantier depuis trop longtemps ; je vais
le clôturer aujourd’hui. Nous sommes le 5 novembre, je viens d’avoir 56 ans.
Abondance de courrier, de sms, de mails, de cadeaux ! Les infirmières
défilent pour le bisou, elles décorent ma chaise roulante avec des ballons. Je
me sens fêté, c’est incroyable. Et pendant ce temps, ma Douce subit une chimio.
La Vie est pleine de contrastes…
N’oubliez
pas : la Vie est belle ! Cueillez les fleurs du jour !
Carpe diem ! N’oubliez pas ceux qui vous aiment, ni ceux que vous
aimez ! Redites-leur votre Amour, votre Amitié !
*titre
d’un recueil de nouvelles de Marcel Thiry
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