jeudi 6 novembre 2014

Nouvelles du Grand Possible *




Avant de vous donner des nouvelles récentes, voici quelques cartes postales.

Changement d’adresse, je passe de la chambre 308 à la chambre 314, même étage, même couloir. Pour info, cela n’a pas beaucoup d’importance, encore que les personnes qui m’envoient du courrier devraient en tenir compte. Chez les ergos, nous avons commencé la décoration pour la fête d’Halloween. Moi qui ai horreur de cet évènement, j’ai de la chance ! Chaque année, les élèves me demandent si je vais à la fête d’Halloween, ce à quoi je réponds en général par une grimace. Cette année, en chaise roulante, nous avons fait les achats (décoration), et surtout vidé des potirons ! On peut dire que je renie mes convictions. Je sens que le prochain atelier cuisine sera de faire de la soupe aux potirons pendant plusieurs semaines. Pour la veillée de Noël, on regardera les photos d’Halloween. Puis au printemps nous planterons des graines de potirons. Comme on dit en wallon : ké chance ! Autre carte postale : à table, au repas de midi, nous avons de nouvelles têtes. Entre autres quelqu’un dont nous savons déjà tout, tant il nous raconte sa vie, son boulot, ses divorces, ses voyages, ses opérations, ses voitures, ... Après deux jours... Enfin, quand je dis que nous savons tout, c’est un peu faux, parce qu’on apprend encore et encore : dans le couloir quand on se croise, dans l’ascenseur (c’est le mieux : ça ne dure pas longtemps), sur les tables de kiné. Dans d’autres circonstances (avant l’accident), je serais passé dans les toilettes des dames pour l’éviter dans les pissotières ! (je connais d’autres mots plus appropriés pour cet endroit, mais celui-ci a beaucoup de saveur). Encore une carte postale de ma rue : un matin, le chef infirmier vient me demander si je souhaite le vaccin contre la grippe… J’ai cru qu’il rigolait, qu’il savait que j’ai peur des piqures… mais non, il était sérieux. J’ai passé mon tour; on en reparlera dans quelques années. Autre carte postale: ce monsieur qui nous quitte après deux mois de revalidation. Il était ici suite à une chute, avait les quadriceps fort abimés. Quand il a vu les « cassés » que nous sommes, il s’est dit que sa motivation était là, en nous. Le jour de son départ il est passé auprès de chacun pour nous remercier pour ce que nous lui avions apporté. Allez, encore une carte postale de ma rue ! Parmi nos nombreuses activités, nous pratiquons certains sports. Cette semaine nous avons joué au hockey. A un moment, il y avait un penalty. Le compère qui était au goal est comme nous tous en chaise roulante, mais lui est amputé des deux jambes. Juste avant le tir, chacun donnait ses conseils à celui qui devait transformer le penalty : « tire à gauche, il tient sa crosse de l’autre côté » ou encore « tire en hauteur, il ne sait pas sauter » ou aussi « vise entre ses jambes »… Ce qui a complètement déconcentré le lanceur. Donc pas de point ! Autre carte postale, sous forme de courrier : papa avait posté une grande enveloppe avec des dessins d’enfants d’une de mes écoles le 26 septembre… Elle vient de m’arriver ce vendredi 31 octobre !
J’ai dans ma rue un compagnon d’infortune qui ne parle que le français ; il vient de temps en temps faire la papote dans ma chambre. Je lui demande de bien essuyer ses pieds avant d’entrer. Il me répond qu’il s’est levé du mauvais pied. Autre carte postale: le monsieur qui ne rit jamais, qui ne sourit pas: il ne participe pas aux petites joies du groupe (ceci est une vieille carte postale en noir et blanc).

Il y a eu un grand creux la semaine passée … Je devenais autonome au niveau des urines, et puis tout d’un coup: infection urinaire, retour à une sonde permanente, fièvre, découragement, … pas marrant. Pas envie d’embêter Madicte avec ça. C’est dur de se retrouver confronté à un retour en arrière malgré les mots d’encouragements des infirmières. Le marchand de mouchoirs a bien vendu cette semaine…
Mais en même temps, j’ai appris à me transférer. Semaine de contrastes avec des hauts et des bas. C’est un début, encore sous la présence active des kinés, je passe de la chaise roulante à la table de kiné, et retour. Petites victoires, mais qui me motivent pour franchir de nouvelles étapes vers l’autonomie. La Vie est belle ! J’arrive à écrire à peu près normalement avec la main droite. On me confie la gestion de mes médicaments. On m’a enlevé les petites roues arrière sur ma chaise roulante, celles qui m’empêchent de basculer en arrière (cela veut dire que tout doucement on me fait confiance, on estime que je sais me balancer sur les grandes roues sans tomber à la renverse). Je me vois comme un enfant  qui grandit. On lui confie de petites tâches, on lui enlève les petites roues de son vélo, on lui montre qu’on lui fait confiance. Depuis quatre semaines, je sais ouvrir et fermer mon tube de dentifrice, geste bien anodin quand on y pense, mais qui demande un réapprentissage. J’emploie à nouveau ma main droite pour me brosser les dents. Parfois je me dis que c’est vraiment puéril de me réjouir pour si peu; mais je sais aussi que ces petites victoires sont importantes, qu’elles me rapprochent de la vraie autonomie et du retour définitif à la maison. Il faudra encore beaucoup de petites victoires, beaucoup de larmes pour y arriver, mais c’est le chemin à parcourir ! Je sais aussi ce que chacun de vous m’apporte, ne sous-estimez pas votre force. Madicte et moi puisons le courage dans ce que nous sommes l’un pour l’autre, l’un avec l’autre, mais sans vous ce chemin serait impossible. Le nombre de fois que vous nous avez confié dans vos prières, le nombre de fois que vous avez allumé des bougies, le nombre de fois que vous nous avez envoyé de l’énergie, le nombre de fois que nous avons reçu des visites ou du courrier, … Le comptage en soi n’a pas d’importance, c’est tout ce qui vit derrière chaque geste, chaque pensée, chaque intention, chaque regard, qui est porteur. Comme le mot MERCI est petit, et pourtant tellement rempli de sens.
Je prends de plus en plus conscience de ce que sera mon handicap dans l’avenir : tout ce que je savais faire et qu’il me sera impossible de poursuivre. Ce n’est ni de la tristesse ni de la nostalgie (il y en aura, je n’en doute pas), c’est un constat. La Vie continue, autrement.
Je vous ai parlé de ma hantise des piqures. Cela fait partie des traumatismes post accident. Il y en a d’autres, plus amusants : le contact avec les barres froides en inox de mon lit, brrr ! Le contact avec les velcros qui me retiennent sur la table de kiné ! Le pain emballé dans un plastique transparent. Dormir sur des matelas et coussins plastifiés, même avec une housse ! Ce sont des sensations peu agréables, pas vraiment traumatisantes, mais que je serai un jour content de ne plus ressentir.
Lors du dernier retour à la maison, j’observais le jardin. Les moineaux sont toujours là, les ramiers aussi (moins nombreux qu’avant), les tourterelles de même, ainsi que les merles. Le rouge gorge et le troglodyte sont toujours présents, mais je n’ai plus vu de grives. Et les pies ont aussi disparu, ce qui est une bonne chose. Je suppose que le voisin a fait bon usage de son piège ! Tant mieux, cela veut dire que ces foutus oiseaux ne videront plus les nids des autres habitants du jardin.
Pour rentrer à la maison, j’employais encore une chaise roulante électrique, mais comme je passe ma semaine dans une chaise roulante manuelle, le contraste est flagrant. Je peux ramasser quelque chose tombé sur le sol avec la chaise manuelle, pas avec l’autre, je tourne en prenant moins de place, … J’ai demandé si je pouvais entrer à la maison avec une chaise manuelle. Réponse positive ! Mais contre la promesse de ne pas faire de cross avec, même dans la maison. Je suis en période d’apprentissage, les cabrioles me sont encore interdites. Nous apprenons à franchir des bordures de trottoirs, des marches d’escaliers, etc… Il est également prévu dans notre apprentissage d’emprunter des escalators. Notre instructeur a bien expliqué que ce ne sera qu’après avoir réussi 1000 fois le franchissement d’un obstacle que nous serons vraiment autonomes ! Comme le résumait si bien en trois mots ce grand philosophe français, hélas trop peu connu, Robert Bidochon : « Patience, patience, patience ! »
Je me rends compte que ce texte est en chantier depuis trop longtemps ; je vais le clôturer aujourd’hui. Nous sommes le 5 novembre, je viens d’avoir 56 ans. Abondance de courrier, de sms, de mails, de cadeaux ! Les infirmières défilent pour le bisou, elles décorent ma chaise roulante avec des ballons. Je me sens fêté, c’est incroyable. Et pendant ce temps, ma Douce subit une chimio. La Vie est pleine de contrastes…
N’oubliez pas : la Vie est belle !  Cueillez les fleurs du jour ! Carpe diem ! N’oubliez pas ceux qui vous aiment, ni ceux que vous aimez ! Redites-leur votre Amour, votre Amitié !

*titre d’un recueil de nouvelles de Marcel Thiry

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