jeudi 26 février 2015

J'ai revu Tintin, Milou, Martine et Patapouf...






Oui, la mer m'a à nouveau enveloppée de ses embruns et ses caresses tonifiantes.  A chaque fois je retourne dans ses bras accueillants avant d'affronter une nouvelle étape de mon combat solitaire contre ce crabe silencieux appelé cancer.
Finie la chimio, youpi, ...  Bonjour la radiothérapie...

Je ne dessine plus de papillons rouges dans mes mouchoirs, les Mignonnettes ont perdu leur goût de métal et recommencent à titiller ma gourmandise, les aphtes se font plus rares, je n'ai plus de carton dans les oreilles, cependant il persiste encore au bout de mes doigts.  Mon crâne se couvre tout doucement d'un duvet de poussin rouquin. Même sans émotion j'ai les yeux qui débordent pour compenser les effets desséchants de la chimio. C'est une bonne excuse pour cacher les larmes intempestives.

Pendant cinq semaines je devrai passer à la casserole radiologique.  On m'a tatoué 4 points de repère afin de diriger correctement les rayons. Rien à voir avec les tatouages d'Auschwitz, ici c'est pour me rendre à la vie. Ces points, ainsi que ma cicatrice d'Amazone, me rappelleront toujours par où j'ai dû passer pour avoir droit à une espérance de vie plus longue. Même si le chemin est long, très long et peu agréable, je ne puis qu'avoir de la gratitude parce que la médecine continue à faire des progrès et augmente les chiffres de rémissions et de guérisons. La médecine chinoise m'aide heureusement à pallier les effets secondaires de la médecine allopathique. 
J'ai la chance d'être aussi bien suivie et soignée par un frère si attentionné et compétent.
Nous avons la chance d'avoir plusieurs frères et sœurs, beaux-frères et belles-sœurs pour qui les mots solidarité et fraternité ne sont pas de vaines paroles. 
Nous avons la chance d'avoir un cercle d'amis et de proches fidèles, attentionnés, qui nous portent dans leur cœur afin d'alléger le fardeau qui nous est tombé dessus.
Nous avons la chance, Pierre et moi, de nous aider mutuellement à tenir le coup, de pouvoir rire et pleurer ensemble et parfois même pleurer de rire. 
Nous avons la chance de pouvoir envisager encore un avenir commun et de savoir que nos séparations forcées prendront fin dans quelques semaines. 
Merci la Vie, tu es belle!

A l'approche de la Saint-Valentin je pensais  à Roméo et Juliette et à l'expression "je t'aime à en mourir".  Nous on en prend le contre-pied: nous nous aimons à en vivre, à oser la vie, ensemble tout cassés que nous sommes, car le bonheur va bien plus loin que nos limites physiques. C'est quoi le bonheur et le malheur? Je ne crois pas que le malheur soit nécessairement le corollaire des épreuves.  Tout au fond de nos cœurs, le bonheur continue à avoir sa poste restante et l'espoir de jours meilleurs fait office de facteur.  Cela ne veut pas dire que la tristesse ou le chagrin nous épargnent, mais ils n'ont pas élu domicile chez nous.  Nous les hébergeons de temps en temps et puis d'un grand éclat de rire on les balaye et les envoie se promener ailleurs. On les zappe, ils sont priés de laisser la place à un autre programme. 

C'est fou comme j'ai appris à zapper ces derniers mois.  Surtout la peur, afin qu'elle ne tourne pas en angoisse paralysante ou étouffante.  La peur porte en elle une énergie destructrice, elle peut être souvent à l'origine de violence, de discrimination, de haine mais aussi de désespérance, d'inaction et de découragement.  Quand je sens la peur me prendre au ventre, je lui dis qu'elle n'aura pas le dernier mot, que je ne me laisserai pas envahir par elle, je la zappe, je respire un bon coup et essaye de la remplacer par des pensées positives de confiance.  Est-ce que c'est ça le courage? Je ne le sais pas, mais je sais en tout cas qu'il y a moyen de ne pas se laisser happer par la peur. Parfois je fais appel à mes anges dans le ciel ou sur la terre pour m'aider à construire une digue contre elle et ça marche.
Je sentais mon courage dans les talons à l'approche des cinq semaines de radiothérapie. Certaines personnes m'ont conseillé de faire appel à des amis pour faire les trajets.  Ce n'est pas que je ne suis plus capable de conduire, mais je suis lasse de tous ces traitements invasifs et je stressais de devoir affronter cette nouvelle étape seule.  J'ai osé faire appel à des amis et proches de la région pour leur demander un petit coup de pouce en me conduisant à l'hôpital de Hasselt. En trois jours mon agenda Doodle était rempli.  Merci, les amis, d'être présents avec moi, grâce à vous je zappe la peur et le stress et je passe un moment agréable de rencontre avant et après les rayons. Donc pas le temps de paniquer dans le bunker radiologique, j'y ferme les yeux je contrôle ma respiration et j'essaye de voyager dans des paysages familiers paisibles. Je m'imagine en monokini en train de prendre un bain de soleil (même si je ne sens pas la chaleur de ses rayons, que j'entends plutôt le bruit d'une machine qui fait des manœuvres et que la musique de fond ne correspond pas vraiment à mes goûts acoustiques). Autant la première séance me semblait si longue, autant j'étais étonnée quand la deuxième était finie. Après 4 jours ça devient presque de la routine.  Plus que 21 fois...

Je ne me doutais pas que la vie me réserverait tant de leçons ces huit derniers mois.
J'apprends à faire confiance à la vie, en mes ressources propres et en celles des autres autour de moi.
J'apprends à vivre le moment présent, ici et maintenant.
J'apprends à vivre au jour le jour, à ne pas me compliquer la vie avec des suppositions.
J'apprends à ne pas penser à mon boulot pendant des mois et à être reconnaissante de ne pas devoir y songer.
J'apprends à oser demander de l'aide.
J'apprends à accepter ou à refuser des propositions en fonction de ma situation et à ne pas répondre d'abord en fonction de ce qui pourrait arranger l'autre. 
J'apprends à dire non merci sans me culpabiliser en faisant confiance en la compréhension de l'autre.
J'apprends à être plus à l'écoute de mes limites et à mieux les respecter.
J'apprends ce que c'est d'avoir le cancer et toutes ses implications physiques et psychiques. Je me sens très solidaire et proche de tous ceux et celles qui rencontrent cette épreuve sur leur chemin.
J'apprends ce que c'est la paraplégie au quotidien, la revalidation avec toute la souffrance physique et morale qu'elle entraîne, le courage qu'elle exige pour que la vie puisse être belle malgré tout. Qu'est-ce que je t'admire mon homme! Tu es extraordinaire, tu es un exemple de courage et de persévérance, d'optimisme et d'humanité.
J'apprends à aimer et à respecter mon Pierrot encore plus tous les jours.  J'apprends à lui donner l'espace nécessaire pour qu'il développe son autonomie et que je ne l'étouffe pas de mes attitudes de mère poule.

Je n'ai plus été à l'école depuis 8 mois, mais quel apprentissage depuis tout ce temps!!!  Actuellement nous ne sommes plus les profs, mais bien les apprenants...
Pierre et moi faisons une maîtrise en patience, en persévérance et en sagesse.  Je ne sais pas si nous obtiendrons notre diplôme avec satisfaction ou plus, mais les travaux pratiques étaient en tout cas costauds...



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