dimanche 15 février 2015

Mangez, mangez, il en restera toujours quelque chose*




Voilà huit mois qu’a eu lieu l’accident,
voilà huit mois que je ne sens plus mes jambes,
voilà huit mois que je ne sais plus les bouger,
voilà huit mois que je ne contrôle plus ni selles ni mictions,
voilà huit mois que je n’ai plus fait de tandem avec ma douce,
voilà huit mois que je n’ai plus monté ou descendu un escalier,
voilà huit mois que je n’ai plus jardiné,
voilà huit mois que je suis confronté aux barreaux métalliques, froids, chromés du lit,
 voilà huit mois que je vois les mêmes emballages en plastique pour le pain chaque matin,
voilà huit mois que je ne peux plus me lever en me disant « chic, je vais travailler aujourd’hui »,
voilà huit mois que je dois prendre des médicaments pour le restant de ma Vie,
voilà huit mois que je n’ai plus été dans notre appartement à la mer,
voilà huit mois que je ne me suis plus allongé dans l’herbe du jardin pour une petite sieste, soit en tenant la main de Madicte, soit en ayant le chat sur mon ventre,
voilà huit mois que je n’ai plus … hum, enfin, comment dire… fait la chose, enfin… vous voyez, le… (comment ça s’appelle encore ?), parce que ça ne va plus,
voilà huit mois que je n’ai plus félicité un élève,
voilà huit mois que je dors sur un matelas en plastique,
voilà huit mois que je ne suis plus capable de regarder un film complet en une fois,
voilà huit mois que pour lire un livre, je ne sais rester concentré que 20 à 30 minutes,
voilà huit mois que je ne suis plus entré dans une salle de profs le matin, en profitant de l’ambiance feutrée, avec l’odeur du café, avant que ne commence le rush d’une nouvelle journée,
voilà huit mois que je ne vois plus cette vieille dame au balcon de son appartement à Jodoigne ; sans nous connaître, cela faisait des années que nous nous saluons de la main,
voilà huit mois que je n’ai plus lavé la voiture ou tondu la pelouse,
voilà huit mois que nous n’avons plus pris le petit dèj’ du mercredi matin entre collègues,
voilà huit mois que je n’ai plus enfourché mon vélo pour aller chercher les croissants et les pistolets du dimanche matin,
voilà huit mois que je n’ai plus fait de jogging deux fois par semaine,
voilà huit mois que je n’ai plus bricolé dans l’atelier,
voilà huit mois que je n’ai plus eu le plaisir d’entendre le « bang » de la boîte automatique d’une Porsche ou d’une Golf GTI,
voilà huit mois que je n’ai plus cherché la pompe la moins chère pour faire le plein de carburant,
voilà huit mois que je n’ai plus eu le plaisir d’aller m’acheter un pull,
voilà huit mois que je n’ai plus assisté à une réunion avec mes confrères et consœurs de l’Ordre Teutonique,
voilà huit mois que je ne suis plus allé manger une salade sur le temps de midi avec mon amie et collègue,
voilà huit mois que je n’ai plus ramené Dimitri chez lui le vendredi soir,
voilà huit mois que je n’ai plus eu le plaisir d’entendre les oiseaux du jardin,
voilà huit mois que nous ne sommes plus allés en amoureux jusqu’au bout de l’estacade de Nieuwpoort,
voilà huit mois que je n’ai plus assisté à une réunion de profs de religion, diligentée de main de maître par notre Inspectrice Principale (Oh, Lumière des Lumières, je te salue en passant),
voilà huit mois que je n’ai plus rempli mon petit carnet avec la liste des choses à faire dans la semaine,
voilà huit mois que je ne suis plus resté  pour papoter avec l’une ou l’autre maman d’élèves à la sortie de l’école,
voilà huit mois que je ne suis plus passé chez papa et maman après les cours,
voilà huit mois que je n’ai plus écouté les vieux machins sur Classic 21,
voilà huit mois que je ne me suis plus promené dans les bois, seul, en quête de silence,
voilà huit mois que je ne suis plus entré dans la petite chapelle de l’église Notre Dame des Dunes à Koksijde, pour y déposer tous mes mercis et toute ma confiance,
voilà huit mois que je n’ai plus partagé de Chocotofs avec les collègues,
voilà huit mois que je n’ai plus remplacé une ampoule au plafond,
voilà huit mois que je ne me suis plus endormi dans le bain, en laissant couler un filet d’eau chaude pour ne pas avoir froid,
voilà huit mois que je n’ai plus regardé et encouragé ma Douce, nageant dans la piscine,
voilà huit mois que je ne suis plus passé chez mon fournisseur de BD,
voilà huit mois que je ne suis plus monté sur le toit pour contrôler les corniches,
voilà huit mois que je ne me suis plus capable de me couper les ongles des pieds,
voilà huit mois que je n’ai plus été choisir un cadeau dans un magasin,
voilà huit mois que je n’ai plus rendu visite à des amis, ni accepté une invitation pour un mariage,
voilà huit mois qu’il ne se passe pas un jour sans larmes,
voilà huit mois que je ne me suis plus occupé de donner la pâtée au chat le matin, avant d’allumer ma bougie pour un temps de prière et de méditation,
voilà huit mois que je me suis plus occupé des poules, que ce soit pour acheter le grain, ou pour ramasser les œufs,
voilà huit mois que je n’ai plus remonté l’horloge du living,
voilà huit mois que je n’ai plus grimpé à l’échelle qui mène à mon bureau,
voilà huit mois que ma Vie a changé…

C’est long, très long, huit mois !

*d’après Voltaire

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