Voilà
huit mois qu’a eu lieu l’accident,
voilà
huit mois que je ne sens plus mes jambes,
voilà
huit mois que je ne sais plus les bouger,
voilà
huit mois que je ne contrôle plus ni selles ni mictions,
voilà
huit mois que je n’ai plus fait de tandem avec ma douce,
voilà
huit mois que je n’ai plus monté ou descendu un escalier,
voilà
huit mois que je n’ai plus jardiné,
voilà
huit mois que je suis confronté aux barreaux métalliques, froids, chromés du
lit,
voilà huit mois que je vois les mêmes
emballages en plastique pour le pain chaque matin,
voilà
huit mois que je ne peux plus me lever en me disant « chic, je vais
travailler aujourd’hui »,
voilà
huit mois que je dois prendre des médicaments pour le restant de ma Vie,
voilà
huit mois que je n’ai plus été dans notre appartement à la mer,
voilà
huit mois que je ne me suis plus allongé dans l’herbe du jardin pour une petite
sieste, soit en tenant la main de Madicte, soit en ayant le chat sur mon
ventre,
voilà
huit mois que je n’ai plus … hum, enfin, comment dire… fait la chose, enfin…
vous voyez, le… (comment ça s’appelle encore ?), parce que ça ne va plus,
voilà
huit mois que je n’ai plus félicité un élève,
voilà
huit mois que je dors sur un matelas en plastique,
voilà
huit mois que je ne suis plus capable de regarder un film complet en une fois,
voilà
huit mois que pour lire un livre, je ne sais rester concentré que 20 à 30
minutes,
voilà
huit mois que je ne suis plus entré dans une salle de profs le matin, en
profitant de l’ambiance feutrée, avec l’odeur du café, avant que ne commence le
rush d’une nouvelle journée,
voilà
huit mois que je ne vois plus cette vieille dame au balcon de son appartement à
Jodoigne ; sans nous connaître, cela faisait des années que nous nous
saluons de la main,
voilà
huit mois que je n’ai plus lavé la voiture ou tondu la pelouse,
voilà
huit mois que nous n’avons plus pris le petit dèj’ du mercredi matin entre
collègues,
voilà
huit mois que je n’ai plus enfourché mon vélo pour aller chercher les
croissants et les pistolets du dimanche matin,
voilà
huit mois que je n’ai plus fait de jogging deux fois par semaine,
voilà
huit mois que je n’ai plus bricolé dans l’atelier,
voilà
huit mois que je n’ai plus eu le plaisir d’entendre le « bang » de la
boîte automatique d’une Porsche ou d’une Golf GTI,
voilà
huit mois que je n’ai plus cherché la pompe la moins chère pour faire le plein
de carburant,
voilà
huit mois que je n’ai plus eu le plaisir d’aller m’acheter un pull,
voilà
huit mois que je n’ai plus assisté à une réunion avec mes confrères et consœurs
de l’Ordre Teutonique,
voilà
huit mois que je ne suis plus allé manger une salade sur le temps de midi avec
mon amie et collègue,
voilà
huit mois que je n’ai plus ramené Dimitri chez lui le vendredi soir,
voilà
huit mois que je n’ai plus eu le plaisir d’entendre les oiseaux du jardin,
voilà
huit mois que nous ne sommes plus allés en amoureux jusqu’au bout de l’estacade
de Nieuwpoort,
voilà
huit mois que je n’ai plus assisté à une réunion de profs de religion,
diligentée de main de maître par notre Inspectrice Principale (Oh, Lumière des
Lumières, je te salue en passant),
voilà
huit mois que je n’ai plus rempli mon petit carnet avec la liste des choses à
faire dans la semaine,
voilà
huit mois que je ne suis plus resté pour
papoter avec l’une ou l’autre maman d’élèves à la sortie de l’école,
voilà
huit mois que je ne suis plus passé chez papa et maman après les cours,
voilà
huit mois que je n’ai plus écouté les vieux machins sur Classic 21,
voilà
huit mois que je ne me suis plus promené dans les bois, seul, en quête de
silence,
voilà
huit mois que je ne suis plus entré dans la petite chapelle de l’église Notre
Dame des Dunes à Koksijde, pour y déposer tous mes mercis et toute ma
confiance,
voilà
huit mois que je n’ai plus partagé de Chocotofs avec les collègues,
voilà
huit mois que je n’ai plus remplacé une ampoule au plafond,
voilà
huit mois que je ne me suis plus endormi dans le bain, en laissant couler un
filet d’eau chaude pour ne pas avoir froid,
voilà
huit mois que je n’ai plus regardé et encouragé ma Douce, nageant dans la
piscine,
voilà
huit mois que je ne suis plus passé chez mon fournisseur de BD,
voilà
huit mois que je ne suis plus monté sur le toit pour contrôler les corniches,
voilà
huit mois que je ne me suis plus capable de me couper les ongles des pieds,
voilà
huit mois que je n’ai plus été choisir un cadeau dans un magasin,
voilà
huit mois que je n’ai plus rendu visite à des amis, ni accepté une invitation
pour un mariage,
voilà
huit mois qu’il ne se passe pas un jour sans larmes,
voilà
huit mois que je ne me suis plus occupé de donner la pâtée au chat le matin, avant
d’allumer ma bougie pour un temps de prière et de méditation,
voilà
huit mois que je me suis plus occupé des poules, que ce soit pour acheter le
grain, ou pour ramasser les œufs,
voilà
huit mois que je n’ai plus remonté l’horloge du living,
voilà
huit mois que je n’ai plus grimpé à l’échelle qui mène à mon bureau,
voilà
huit mois que ma Vie a changé…
C’est
long, très long, huit mois !
*d’après
Voltaire
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