Me
revoici face à mon écran pour vous donner des nouvelles. Pas de grands changements… Les muscles font
mal, mais il y a de petits résultats derrière les efforts. Il y a certains
mouvements toujours impossibles, qui finissent par de la douleur et parfois des
larmes, mais il y a aussi les petits progrès qui font du bien au moral,
heureusement !
En
matière de cartes postales de ma rue, j’ai pour vous celles-ci :
Je fuis
toujours, dans la mesure du possible, ce voisin qui a tant de choses à
raconter ; c’est incroyable comme ce moulin à paroles peut envahir les
oreilles, les parasiter, les monopoliser, les échauffer. Je ne doute pas un
instant de sa gentillesse, mais parallèlement à elle, il y a sa solitude, qui
déborde sous forme de paroles, de petites et longues histoires à n’en plus
finir et qui s’enchaînent sans répit. Je le voyais arriver face à moi dans le
corridor il y a quelques jours. De loin je lui ai fait un signe et me suis
engouffré dans une toilette salvatrice, ai fermé la porte et ai y collé
l’oreille pour l’entendre passer. En bel hypocrite que je suis, j’ai même tiré
la chasse avant de quitter les lieux pour que ça fasse plus vrai. Dire que je
ne suis même pas capable de faire usage de la toilette… Ne lui dites rien,
svp !
Carte
postale scolaire… La semaine passée, j’ai visité deux de mes écoles. Quelle
émotion ! Mais quel bonheur surtout ! Hormis une personne par école,
personne n’était au courant de cette surprise. Quand les enfants m’ont vu
arriver, le rassemblement a été très
rapide. Certains enfants voulaient s’approcher, mais n’osaient pas
« toucher » (un peu comme dans les musées, où l’on voit de
vieille choses…); il a fallu l’intervention de collègues pour dire qu’on
pouvait toucher le monsieur, donner un bisou, comme avant. La spontanéité des
enfants est si bonne, si entrainante ! J’ai eu droit à une haie d’honneur.
Et que dire des collègues ? Leur surprise, leur joie, leur accueil…
Waow ! Je ne sais pas si saint Nicolas est mieux accueilli dans les
écoles. Je vais devoir travailler sérieusement l’humilité !!!
Puis il
y a eu cette semaine la Journée Sans Frontières dans l’une de mes écoles… (Martin
V). J’ai «animé » un atelier chaises roulantes, aidé par notre Inspectrice
Principale et par deux bénévoles de la firme Vigo (petite publicité en
passant). Les enfants ont vraiment mordu à l’hameçon; ils étaient très motivés
et actifs. Que du bon ! C’est à cela que je vois comme j’aime mon métier.
J’ai expliqué brièvement mon accident et ses conséquences, la revalidation,
toutes les adaptations et les repères physiques qui changent quand on passe de
la position debout à celle assise pour le restant de sa Vie. Il a aussi été
question de mon attitude par rapport au chauffeur qui a provoqué l’accident.
Comment ne pas être en colère ? Toute notre vie va changer ! Comment
garder la même qualité de Vie pour les 40 ans à venir ? Je leur ai dit que
la peur et la colère sont des freins pour avoir une Vie agréable. Je leur ai
dit que la colère, quand on peut la sentir arriver, c’est plus facile pour
l’évacuer. Ils ont expérimenté la peur sur des chaises roulantes, puis ont
découvert la confiance (se laisser balancer en arrière en ayant quelqu’un qui
vous retient). Voici un lien qui vous montrera un petit reportage sur cette
journée :
http://www.tvcom.be/index.php?option=com_content&view=article&id=14772&Itemid=348
Carte
postale « autodérision » : Il m’arrive, dans mes déplacements
lorsque je suis seul, de parler à voix haute… C’est sans doute un signe de
quelque chose ; à vous de voir… Il m’est arrivé d’emprunter un ascenseur
différent de l’habituel, pour cause de travaux. Ce dernier est équipé de
boutons à l’intérieur (je vous entends, lisant ces lignes : « Pauvre
Pierre, il découvre qu’il y a des boutons dans les ascenseurs, sa revalidation
progresse ! » ; lisez la suite avant de crier haro sur le baudet),
contrairement à celui que j’emprunte habituellement, où l’on doit commander
l’étage de sa destination avant d’entrer
dans la machine. Donc, je me trouve face à une porte qui s’ouvre et, en
entrant, croyant être seul ( !) je dis à voix haute « premier
étage !» (avec l’idée de pousser sur le bouton 1, quand même…). Oui, mais…
je n’avais pas remarqué la personne derrière moi, qui attendait aussi l’ascenseur !
Elle m’a juste dit que ça ne sert à rien de parler à l’ascenseur, qu’il n’y a
pas de commande vocale. On ne se sent pas débile, parfois !!! Comment lui
expliquer mon humour « privé » ? Je n’ai pas observé si elle
contrôlait que je regagne bien la section des « sérieusement
atteints »… La prochaine fois, je me promènerai avec un entonnoir sur la
tête.
Carte
postale sans nom, pour ne pas mettre quelqu’un mal à l’aise : un patient,
que nous appellerons araignée (« quel drôle de nom… »), se rend en
compagnie de l’infirmière à la toilette, sur une chaise roulante / chaise
percée (cette chaise prend place sur la toilette, sans devoir opérer de
transfert). La personne peut alors sortir son journal, faire la papote avec
l’infirmière, remplir une grille de mots croisés, au choix, tout en se livrant
à l’activité suggérée par le lieu. Le fait est que, pour cette opération, elle
ne porte pas de sous vêtements (vérité universelle !), mais n’en porte pas
non plus pendant le trajet chambre – toilette (bien qu’étant pudiquement
entourée d’un drap qui lui donne des airs de sénateur romain). Pendant
l’activité à laquelle se livre le patient, une autre infirmière s’annonce dans
la toilette (ce sont de vastes pièces !) et demande si le patient a reçu
un suppositoire (qui a pour but de faciliter ladite activité sus mentionnée).
Réponse affirmative du patient et de son accompagnatrice. Sourire de la
dernière arrivée : elle brandit dans sa main (gantée !) le
suppositoire tombé en cours de route et retrouvé dans le corridor.
Carte
postale en uniforme : J’ai reçu la visite d’un agent de quartier qui est
venu prendre ma déposition (en rapport avec l’accident survenu le 12 juin de
l’an passé…). Je lui ai proposé de le faire en français, pour gagner du temps,
mais… légalement, il devait prendre note de ma déposition en néerlandais. Il
m’a montré le dossier, rédigé d’abord en français, puis traduit en néerlandais
par une personne assermentée. Ma déposition suivra le même parcours, à
l’envers : retraduite en français pour venir s’ajouter au dossier.
Nous
recevons beaucoup de cartes postales de chez vous : c’est super ! Je
vois combien vous aimez nous partager votre vécu, c’est un beau cadeau à chaque
fois.
Les
retours à la maison se font de plus en plus facilement dans notre voiture. Plus
besoin de transport spécial, ouf ! Mais me transférer côté chauffeur sera
sans doute impossible dans cette voiture. Ici, on me conseille de passer à un
véhicule où j’entrerais par le hayon arrière, grâce à un lift, puis je pourrais
me transférer, via un siège pivotant, à la place du chauffeur. En avant la
prospection et les comparaisons… A la maison, je suis de plus en plus confronté
à la réalité physique, aux étages auxquels je n’ai plus accès, aux limites
liées à ma hauteur (je me demande pourquoi je mettais les chocolats si haut
dans l’armoire, avant mon accident). Ce sont autant de sujets de conversations
pour peaufiner les futurs aménagements de certaines pièces.
Les
deux derniers WE, j’ai été faire les commissions chez Colruyt ; une fois
avec Emilie et une fois avec Madicte. Parcours du combattant, non en ce qui
concerne le magasin ou ses employés, mais bien à cause de la nonchalance des
gens qui abandonnent leur caddies n‘importe où… Mais aussi, important à
signaler, la gentillesse des gens qui sont prêts à aider !!!!
Je
reste chaque fois ému par le départ de l’une ou l’autre personne ayant fini sa
revalidation. Heureux pour elle, mais ému de la voir partir. Oh, pas de
jalousie, ni d’envie ! Mais toujours cette émotivité incontrôlable. J’ai
eu le plaisir depuis deux mois de papoter avec une jeune fille ayant eu un
grave accident de voiture. N’étant pas dans la même section, nous ne nous
voyions que lors des exercices d’endurance, sur nos vélos voisins, soit deux ou
trois fois par semaine. Elle avait été opérée au crâne ; on lui avait rasé
tout un côté, mais laissé ses cheveux longs avec une tresse de l’autre côté. Je
lui ai un jour fait la remarque que ses cheveux repoussaient bien. Cela a brisé
la glace et nous avons eu de petites conversations à partir de ce moment-là. Ces dernières semaines, nous avons aussi eu
l’occasion de faire du vélo à l’extérieur (elle sur un vrai vélo, moi avec mon
handbike). C’était amusant comme elle m’attendait toujours pour entamer une
conversation, tout là-haut sur le parking. Nous avons eu ensemble une fois
l’activité sport à Leuven : elle cherchait à être dans mon équipe, ou en
cas d’activités par binômes, venait me chercher pour que nous ne soyons pas
opposés l’un à l’autre. Je m’amusais discrètement de cette attitude. Vendredi
elle est rentrée chez elle, ayant fini sa revalidation. Après 16.00 h, elle est
passée me dire au revoir dans ma chambre. C’était mignon et touchant à la
fois ; elle m’a demandé, toute timide, si nous pouvions échanger nos
adresses E mail. Voilà, encore un visage et de beaux souvenirs à ranger dans la
gibecière de ma mémoire (Robert Merle, Fortune de France).
Nous
sommes deux, Koen et moi, à être les plus anciens de notre rue. Bien que ne
tirant aucun avantage de cette situation, il nous arrive à l’occasion, de
philosopher et de partager sur la vitesse des progrès, sur la confiance ou le
défaitisme, sur le courage et les motivations. C’est impressionnant de voir
comme deux personnes différentes par tant de points de vues (même les causes de
notre handicap) peuvent se rapprocher dans le chemin parcouru ensemble. Je
pense que notre séparation sera dure !!!
Une
idée musique pour cette fois-ci ? réécouter le CD de Dominique Corbiau
« Memoria »… Une voix d’ange !!!! L’idéal avec un bon bouquin.
Ou pour ceux qui le peuvent, en prenant un bon bain !
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