dimanche 8 février 2015

Soit, n’y pensons plus, dit-elle. Depuis… j’y pense toujours !




Me revoici face à mon écran pour vous donner des nouvelles.  Pas de grands changements… Les muscles font mal, mais il y a de petits résultats derrière les efforts. Il y a certains mouvements toujours impossibles, qui finissent par de la douleur et parfois des larmes, mais il y a aussi les petits progrès qui font du bien au moral, heureusement !

En matière de cartes postales de ma rue, j’ai pour vous celles-ci :
Je fuis toujours, dans la mesure du possible, ce voisin qui a tant de choses à raconter ; c’est incroyable comme ce moulin à paroles peut envahir les oreilles, les parasiter, les monopoliser, les échauffer. Je ne doute pas un instant de sa gentillesse, mais parallèlement à elle, il y a sa solitude, qui déborde sous forme de paroles, de petites et longues histoires à n’en plus finir et qui s’enchaînent sans répit. Je le voyais arriver face à moi dans le corridor il y a quelques jours. De loin je lui ai fait un signe et me suis engouffré dans une toilette salvatrice, ai fermé la porte et ai y collé l’oreille pour l’entendre passer. En bel hypocrite que je suis, j’ai même tiré la chasse avant de quitter les lieux pour que ça fasse plus vrai. Dire que je ne suis même pas capable de faire usage de la toilette… Ne lui dites rien, svp !
Carte postale scolaire… La semaine passée, j’ai visité deux de mes écoles. Quelle émotion ! Mais quel bonheur surtout ! Hormis une personne par école, personne n’était au courant de cette surprise. Quand les enfants m’ont vu arriver, le rassemblement  a été très rapide. Certains enfants voulaient s’approcher, mais n’osaient pas « toucher » (un peu comme dans les musées, où l’on voit de vieille choses…); il a fallu l’intervention de collègues pour dire qu’on pouvait toucher le monsieur, donner un bisou, comme avant. La spontanéité des enfants est si bonne, si entrainante ! J’ai eu droit à une haie d’honneur. Et que dire des collègues ? Leur surprise, leur joie, leur accueil… Waow ! Je ne sais pas si saint Nicolas est mieux accueilli dans les écoles. Je vais devoir travailler sérieusement l’humilité !!!

Puis il y a eu cette semaine la Journée Sans Frontières dans l’une de mes écoles… (Martin V). J’ai «animé » un atelier chaises roulantes, aidé par notre Inspectrice Principale et par deux bénévoles de la firme Vigo (petite publicité en passant). Les enfants ont vraiment mordu à l’hameçon; ils étaient très motivés et actifs. Que du bon ! C’est à cela que je vois comme j’aime mon métier. J’ai expliqué brièvement mon accident et ses conséquences, la revalidation, toutes les adaptations et les repères physiques qui changent quand on passe de la position debout à celle assise pour le restant de sa Vie. Il a aussi été question de mon attitude par rapport au chauffeur qui a provoqué l’accident. Comment ne pas être en colère ? Toute notre vie va changer ! Comment garder la même qualité de Vie pour les 40 ans à venir ? Je leur ai dit que la peur et la colère sont des freins pour avoir une Vie agréable. Je leur ai dit que la colère, quand on peut la sentir arriver, c’est plus facile pour l’évacuer. Ils ont expérimenté la peur sur des chaises roulantes, puis ont découvert la confiance (se laisser balancer en arrière en ayant quelqu’un qui vous retient). Voici un lien qui vous montrera un petit reportage sur cette journée :
http://www.tvcom.be/index.php?option=com_content&view=article&id=14772&Itemid=348

Carte postale « autodérision » : Il m’arrive, dans mes déplacements lorsque je suis seul, de parler à voix haute… C’est sans doute un signe de quelque chose ; à vous de voir… Il m’est arrivé d’emprunter un ascenseur différent de l’habituel, pour cause de travaux. Ce dernier est équipé de boutons à l’intérieur (je vous entends, lisant ces lignes : « Pauvre Pierre, il découvre qu’il y a des boutons dans les ascenseurs, sa revalidation progresse ! » ; lisez la suite avant de crier haro sur le baudet), contrairement à celui que j’emprunte habituellement, où l’on doit commander l’étage de sa destination  avant d’entrer dans la machine. Donc, je me trouve face à une porte qui s’ouvre et, en entrant, croyant être seul ( !) je dis à voix haute « premier étage !» (avec l’idée de pousser sur le bouton 1, quand même…). Oui, mais… je n’avais pas remarqué la personne derrière moi, qui attendait aussi l’ascenseur ! Elle m’a juste dit que ça ne sert à rien de parler à l’ascenseur, qu’il n’y a pas de commande vocale. On ne se sent pas débile, parfois !!! Comment lui expliquer mon humour « privé » ? Je n’ai pas observé si elle contrôlait que je regagne bien la section des « sérieusement atteints »… La prochaine fois, je me promènerai avec un entonnoir sur la tête.

Carte postale sans nom, pour ne pas mettre quelqu’un mal à l’aise : un patient, que nous appellerons araignée (« quel drôle de nom… »), se rend en compagnie de l’infirmière à la toilette, sur une chaise roulante / chaise percée (cette chaise prend place sur la toilette, sans devoir opérer de transfert). La personne peut alors sortir son journal, faire la papote avec l’infirmière, remplir une grille de mots croisés, au choix, tout en se livrant à l’activité suggérée par le lieu. Le fait est que, pour cette opération, elle ne porte pas de sous vêtements (vérité universelle !), mais n’en porte pas non plus pendant le trajet chambre – toilette (bien qu’étant pudiquement entourée d’un drap qui lui donne des airs de sénateur romain). Pendant l’activité à laquelle se livre le patient, une autre infirmière s’annonce dans la toilette (ce sont de vastes pièces !) et demande si le patient a reçu un suppositoire (qui a pour but de faciliter ladite activité sus mentionnée). Réponse affirmative du patient et de son accompagnatrice. Sourire de la dernière arrivée : elle brandit dans sa main (gantée !) le suppositoire tombé en cours de route et retrouvé dans le corridor.
Carte postale en uniforme : J’ai reçu la visite d’un agent de quartier qui est venu prendre ma déposition (en rapport avec l’accident survenu le 12 juin de l’an passé…). Je lui ai proposé de le faire en français, pour gagner du temps, mais… légalement, il devait prendre note de ma déposition en néerlandais. Il m’a montré le dossier, rédigé d’abord en français, puis traduit en néerlandais par une personne assermentée. Ma déposition suivra le même parcours, à l’envers : retraduite en français pour venir s’ajouter au dossier.

Nous recevons beaucoup de cartes postales de chez vous : c’est super ! Je vois combien vous aimez nous partager votre vécu, c’est un beau cadeau à chaque fois.
Les retours à la maison se font de plus en plus facilement dans notre voiture. Plus besoin de transport spécial, ouf ! Mais me transférer côté chauffeur sera sans doute impossible dans cette voiture. Ici, on me conseille de passer à un véhicule où j’entrerais par le hayon arrière, grâce à un lift, puis je pourrais me transférer, via un siège pivotant, à la place du chauffeur. En avant la prospection et les comparaisons… A la maison, je suis de plus en plus confronté à la réalité physique, aux étages auxquels je n’ai plus accès, aux limites liées à ma hauteur (je me demande pourquoi je mettais les chocolats si haut dans l’armoire, avant mon accident). Ce sont autant de sujets de conversations pour peaufiner les futurs aménagements de certaines pièces.
Les deux derniers WE, j’ai été faire les commissions chez Colruyt ; une fois avec Emilie et une fois avec Madicte. Parcours du combattant, non en ce qui concerne le magasin ou ses employés, mais bien à cause de la nonchalance des gens qui abandonnent leur caddies n‘importe où… Mais aussi, important à signaler, la gentillesse des gens qui sont prêts à aider !!!!

Je reste chaque fois ému par le départ de l’une ou l’autre personne ayant fini sa revalidation. Heureux pour elle, mais ému de la voir partir. Oh, pas de jalousie, ni d’envie ! Mais toujours cette émotivité incontrôlable. J’ai eu le plaisir depuis deux mois de papoter avec une jeune fille ayant eu un grave accident de voiture. N’étant pas dans la même section, nous ne nous voyions que lors des exercices d’endurance, sur nos vélos voisins, soit deux ou trois fois par semaine. Elle avait été opérée au crâne ; on lui avait rasé tout un côté, mais laissé ses cheveux longs avec une tresse de l’autre côté. Je lui ai un jour fait la remarque que ses cheveux repoussaient bien. Cela a brisé la glace et nous avons eu de petites conversations à partir de ce moment-là.  Ces dernières semaines, nous avons aussi eu l’occasion de faire du vélo à l’extérieur (elle sur un vrai vélo, moi avec mon handbike). C’était amusant comme elle m’attendait toujours pour entamer une conversation, tout là-haut sur le parking. Nous avons eu ensemble une fois l’activité sport à Leuven : elle cherchait à être dans mon équipe, ou en cas d’activités par binômes, venait me chercher pour que nous ne soyons pas opposés l’un à l’autre. Je m’amusais discrètement de cette attitude. Vendredi elle est rentrée chez elle, ayant fini sa revalidation. Après 16.00 h, elle est passée me dire au revoir dans ma chambre. C’était mignon et touchant à la fois ; elle m’a demandé, toute timide, si nous pouvions échanger nos adresses E mail. Voilà, encore un visage et de beaux souvenirs à ranger dans la gibecière de ma mémoire (Robert Merle, Fortune de France).
Nous sommes deux, Koen et moi, à être les plus anciens de notre rue. Bien que ne tirant aucun avantage de cette situation, il nous arrive à l’occasion, de philosopher et de partager sur la vitesse des progrès, sur la confiance ou le défaitisme, sur le courage et les motivations. C’est impressionnant de voir comme deux personnes différentes par tant de points de vues (même les causes de notre handicap) peuvent se rapprocher dans le chemin parcouru ensemble. Je pense que notre séparation sera dure !!!

Une idée musique pour cette fois-ci ? réécouter le CD de Dominique Corbiau « Memoria »… Une voix d’ange !!!! L’idéal avec un bon bouquin. Ou pour ceux qui le peuvent, en prenant un bon bain !

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