Nous
revoici, dans la toute dernière ligne droite avant l’arrivée à la maison. Ce
n’est pas un sprint, c’est juste la fin d’une course de fonds. On préparera
ensuite d’autres épreuves.
Ici à
Pellenberg, on commence à parler et à s’agiter à l’occasion de mon départ. Sur
un plan administratif et médical, mais aussi avec les revalidants. Se séparer
après des mois de cohabitation, ce ne sera pas facile. Je me trouvais lors
d’une promenade en chaise roulante un peu éloigné du groupe en compagnie de
l’autre plus ancien (nous sommes deux à être ici « les anciens »; au
service militaire, on tirait beaucoup de gloire d’être un ancien, ici la
philosophie est différente !). Je lui confiais que la séparation sera
difficile vendredi prochain. Nous nous sommes soutenus mutuellement, nous avons
eu nos creux et nos déboires, nous avons progressé ensemble, nous avons pu nous
confier l’un à l’autre pendant près de 9 mois. Nous avons beaucoup ri ensemble
(blagues aux stagiaires surtout), nous avons vu les progrès de l’autre (nous
sommes deux cas différents) et nous en sommes réjouis. Sa réaction allait dans
le même sens ; il est certes moins émotif que moi, mais ressent aussi
combien le chemin partagé nous a fait du bien et combien se séparer d’un
compagnon de route est difficile.
J’ai
une carte postale qui ne vient pas de ma rue, mais elle est importante :
ce mercredi 25, nous sommes allés à Gasthuisberg pour avoir les résultats d’une
analyse: Madicte n’est pas porteuse des gènes du cancer qu’elle a eu, ce qui
signifie qu’elle ne l’aura pas transmis à nos enfants. Elle ne peut donner que
du bon !
Madicte
termine ses rayons ce lundi. Puis ce sera, sur un plan thérapeutique, un peu
plus calme. Nous allons savourer les retrouvailles à la maison, je vais
remettre l’horloge en route. Le temps va reprendre sa place normale dans notre
Vie. Le rythme sera différent mais tout est possible à notre âge !
Je
pense souvent à vous tous, vous toutes, qui nous avez soutenus depuis tant de
mois. Il y a eu les visites, les mails, les sms, les cadeaux, les prières, les
bougies, les pensées, l’énergie envoyée, les surprises. Il y a eu tant de
partages, d’écoute, de rires, de larmes, de confidences, de coups de pieds au
cul quand il le fallait. Il y a eu les mamans d’élèves qui ont conduit leur
enfant qui voulait me visiter. Il y a cette Amitié simple et forte, sans
failles, remplie de simplicité, de fidélité ! Il y a ceux parmi vous que
j’ai découverts avec le temps. Il y a ce « vous » que j’ai transformé
en « tu ». Il y a ces visites à Zepperen, pour aider aux travaux du jardin,
pour aider Madicte dans le quotidien. Il y a ces potages, ces plats préparés
chez vous, cette tarte maison, cette glace maison, ces pralines, ces biscuits, ces
fruits, ces livres, ces vêtements, ces dvd, ces anges, ces plantes, ces petits
objets symboliques qui ont maintenant tous une histoire. Il y a ces pensées,
ces textes partagés, envoyés ou lus sur place. Ces moments de prière dans la
petite chapelle de Pellenberg.
Les
philosophes français Jacques Santi et Christian Marin, dans les années ’60
avaient si bien exprimé le sentiment de
reconnaissance dans une relation d’Amitié, de solidarité et ce, de manière très
concrète à travers une histoire de pilotes militaires en difficulté. Je n’ai
plus les détails en tête, mais quelques flashes me reviennent à l’occasion.
J’étais sans doute trop jeune pour en saisir la substantifique moelle mais en
tant qu’adulte (oui, mon âge me donne droit à ce titre !) j’adhère
totalement à leur manière de penser. Je suis vraiment rempli de reconnaissance
pour tout ce que vous nous avez donné depuis près de 10 mois !
Je
rentre à la maison ! Nous aurons attendu ce moment avec tant d’impatience.
Nous allons garder les vacances de Pâques pour nous, puis comme la Vie
reprendra un cours normal, nous serons heureux de vous revoir !
Mon
retour, je l’attends depuis si longtemps ! Je suis comme le cheval qui
sent l’écurie au fur et à mesure qu’il s’en approche. Mais en même temps, que
d’angoisses… Je me trouvais chez les ergos la semaine passée et j’ai confié que
j’avais besoin d’une présence pour aller au bancontact ! Un geste idiot, banal,
enfantin… Hé bien croyez-le ou non, mais sans une présence, je l’aurais
postposé ! Je commence à mettre des mots sur mes peurs : peur de
faire une chute avec ma chaise, peur de ne pas avoir la force physique pour
certains gestes (soulever la carafe d’eau à table avec la main droite…), peur
de laisser à Madicte des tâches qui seraient au-dessus de ses forces. Peur
aussi de mes exigences dans le ménage, dans l’organisation de la maison :
c’est facile de rentrer et de dire « Tiens, on fait ça comme ça
maintenant ? » ou « Pourquoi la réserve de papier wc a-t-elle
changé de place ? ». Je rends grâce à Madicte pour tout ce qu’elle a
géré seule ou avec les enfants, ou avec vous. Il ne serait pas bienvenu de
mettre l’accent sur ce qui me dérange le soir de mon retour… Peur de mon
inutilité provisoire dans le quotidien, tant que les travaux d’aménagements de
la maison ne sont pas faits (on attend l’accord de l’assurance pour commencer).
Je ne sais pas cuisiner ou faire une vaisselle, je ne sais pas me laver au
lavabo (« Mais comment fait-il donc ? C’est de là que vient ce fumet
quelque peu écœurant ? »). Et peur des chiens maintenant !
Je
constate combien mon corps est devenu un « étranger » pour moi. Etant
au lit, je peux palper mes jambes, je n’ai pas l’impression qu’elles sont miennes.
Je me lave, sans en sentir les bienfaits (du nombril aux orteils). Par contre
me laver les mains à l’eau chaude, quel plaisir ! Je prends conscience que
je dois d’autant plus « cajoler » mon corps d’Apollon passé sous le
tram (le tram n° 2 ! C’est le tram d’Eughies…). Prendre soin de lui sans
qu’il me dise ce qu’il sent (eau chaude, eau froide, massage, etc…) ; me
faire aimer de lui en sachant qu’il ne me dira jamais qu’il a aimé ou apprécié.
Le soigner particulièrement, le
protéger, le respecter davantage qu’avant, pour le conserver, parce que la route sur cette Terre avec lui
est encore longue. M’en faire un ami, un ami qui ne saurait pas s’exprimer.
Eviter les blessures aux fesses lors de transferts, ou l’orteil replié pendant
toute une journée dans la chaussure, … Toutes ces petites précautions que l’on
fait spontanément (quand on n’a pas eu d’accident de moto) parce que le corps
nous dit alors « Aie ! J’ai mal, tu me maltraites ! ». Je
dois apprendre ce que tel ou tel signal veut dire ; les codes sont
différents.
En ce
moment, en écrivant, je cherche sur Youtube des concertos pour harpe :
Vivaldi, Boeildieu, … Cela éveille une image d’enfance : je jouais au
salon à la maison, avec mes petites autos sur le tapis ; papa était à son
bureau et écoutait un 33 tours avec de la harpe. Toute une ambiance qui me
revient. Que du bon !
Ceci
sera mon dernier texte avant de quitter Pellenberg. Il y en aura d’autres… J’ai
envie de continuer. A l’occasion de cette étape, je voudrais remercier ces
auteurs à mon sens trop peu connus, que j’ai eu plaisir à citer au cours de ma
revalidation :
Stadler
et Waldorf ; Annaïk Laborné ; Geinaro Olivieri et Guido Pancaldi,
Jacques Santi et Christian Marin, Pithivier, Chaudard et Tassin.
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