Quelle bizarre sensation de me retrouver à Pellenberg… les odeurs, les
couleurs, l’ambiance des bruits. Et surtout les personnes ! Et à nouveau
sans mon alliance… mais… mais … à nouveau avec les tranches de pain bien
emballées dans du cellophane (chic !). Les sept daims sont dans le parc.
Tout est en place. On peut commencer les piqures.
Madicte vous a parlé des premières heures, je ne vais pas y revenir.
Ici à Pellenberg, l’équipe était prévenue de mon arrivée. Den Pierre is
terug ! Je suis impressionné par l’accueil qui m’est fait: chaque
infirmière vient me dire bonjour, vient prendre des nouvelles de Madicte. L’une
attend déjà que je raconte une blague, une autre pendant sa pause revient de la
cafétéria avec une cornet d’amour pour moi, la dame qui nettoie est venue me
rendre visite alors qu’elle était occupée à un autre étage, chacune a un mot
d’accueil, un mot gentil… Dur dur de rester simple quand votre ego est
tellement flatté ! Non, c’est pour rire: en fait je vois surtout combien
les liens tissés il y a de nombreux mois sont restés vivants ! Je me
remémore chacune de ces personnes. Il y a des prénoms qui reviennent, d’autres
que j’ai oubliés, mais chacune de mes anges blancs est liée à un souvenir bien
précis ! C’est beau, cette mémoire des bons moments vécus ensemble. Ce qui
me paraît étrange, c’est que les
premiers jours, je ne savais presque pas employer ma main droite (pour faire ma
toilette, pour me transférer, etc…), donc mes anges gardiens ont été plus
actives pour moi qu’elles ne l’étaient il y a 6 mois, à la fin de ma
revalidation… je craignais de régresser, heureusement, cinq jours après l’intervention,
je suis presque autonome ! J’ai un programme de kiné et ergo pour toute la
semaine, avec passage chez la psychologue (rapport à ma peur de la douleur). Je
ne dois pas me laisser m’encrouter. J’ignore quand je pourrai rentrer à la
maison ; je suppose que je l’apprendrai au début de la semaine. Au moment
de finaliser ce texte, je ne sais toujours pas quand aura lieu mon retour
définitif à la maison.
J’ai un voisin de chambre à qui on a amputé une jambe suite à un accident
de moto. Très sympa, pas trop bavard, il parle un beau néerlandais que je
comprends (oui, il y a des dialectes que je ne comprends pas, surtout au moment
du repas de midi ; un voisin de table me demandait quelque chose, je ne
savais pas ce que c’était… le sel ? une serviette ? de l’eau ?
Je lui ai dit que j’entends très mal…). Je constate que mon colocataire est
très ordonné, bien organisé, structuré… Je vais devoir faire attention de ne
pas envahir plus que l’espace qui m’est dévolu dans notre cellule !
J’ai retrouvé un co-détenu qui est ici depuis presque un an. Il espère voir
la fin de sa revalidation avant la fin de l’année. Et puis il y a ce monsieur
très gentil qui revient pour quelques temps… Il est arrivé ce matin, m’a salué
dans le couloir… je me souviens de lui, mais le prénom est un peu oublié. Nous
aurons l’occasion de nous revoir aux repas, et chez les kinés.
Il me revient une carte postale que j’avais oubliée ici. Je ne pense pas
vous l’avoir envoyée, celle-là… Je la retrouve en entrant dans le local des
ergos. Voici… Nous étions en train de réapprendre divers gestes, manipulations,
en train de réaffiner notre motricité (bref, c’était un atelier cuisine). Nous
avions suggéré et obtenu de pouvoir faire des crêpes. Le quatuor des dangereux
se met à la tâche, sous la férule de notre ergo en chef, parfois en train de
rire avec nous, parfois inquiète de nos gamineries. L’humour et surtout
l’autodérision sont une médecine mentale efficace ! La pâte est prête,
nous laissons reposer un peu (la pâte et l’ergo). On attaque la cuisson, à tour
de rôle nous cuisons quelques crêpes. Rapidement le tas de crêpes monte, monte
(un peu comme l’abbé bête). Autre apprentissage: dresser la table, là
aussi nous jouons plus que nous n’obéissons. Après quelques fou-rires, nous
pouvons passer à table. Mais nous voyons bien que nous n’arriverons pas à vider
le plat. Notre maestria nous suggère d’aller en porter dans la salle de travail
des ergos (nous sommes à la cuisine). Me croyant le plus fiable (c’est ma
lecture des faits, peut-être étais-je simplement plus près de la porte ?),
elle me demande d’aller porter une assiette à un monsieur nouvellement arrivé,
ce sera un petit geste d’accueil, pour lui montrer comme nous l’aimons déjà («
Je t’aime petit frère » comme disait le philosophe Cruchot) . Deux
crêpes sur l’assiette, l’une au sucre , l’autre au choco. Pour me mettre
au courant, afin de ne pas commettre d’impair, notre chèfe me dit que le
nouveau est un grand brulé qui vient terminer sa revalidation chez nous. Je
démarre avec l’assiette sur mes genoux, ainsi qu’avec une serviette et des
couverts et au moment de franchir la porte je me retourne et demande à notre gentille
organisatrice si je peux dire « Attention, c’est très chaud ! ».
J’ai souvent vu son visage changer quand la crainte l’envahissait, mais là
c’est la peur qui a pris possession des traits de son visage ! Elle a crié
« Nee ! » plus paniquée que fâchée. Je suis entré dans la salle
avec les larmes aux yeux, entendant les rires deux pièces plus loin ; sans
rien laisser transparaître, j’ai offert l’assiette au monsieur avec un gentil
mot d’accueil. Il a juste retenu qu’il y avait une très bonne ambiance chez les
ergos. Si un train peut en cacher un autre, un sourire peut aussi en cacher un
autre.
Souvent je pense à mon côté gamin… Il m’a parfois joué de vilains tours,
mais je sais aussi que cet humour m’a permis de passer au-delà de certaines
difficultés, sans pour autant les occulter. Il m’arrive de tourner certaines
situations en dérision. Je ne pense pas que ce soit une fuite. Mais
dédramatiser certaines situations aide parfois à franchir l’obstacle. Quelqu’un
parmi vous, chers lecteurs, m’a offert un livre de Patrick Sébastien « Les
joyeux guérissent toujours ». Je n’aime pas le personnage, mais sa
philosophie de Vie est un fameux moteur ! Les exemples de son livre sont
parfois dérangeants, mais souvent vrais (pour moi !). Madicte et moi rions
souvent de nos situations respectives, non par dépit, mais avec l’idée non
dissimulée « ça aurait pu être plus grave, voyons ce qu’il nous reste,
faisons du neuf avec du vieux, avec du cassé ». Ce qui a été épargné l’an
passé (accident et maladie) est ressorti plus fort, donc ce sont là de bonnes
bases pour reconstruire du solide. Les pièces du puzzle ne s’assemblent pas
aussi facilement, il faut adapter, poncer, trouver le bon accord, la bonne
place… mais nous voyons ce qui se reconstruit.
Nous avons pris conscience ces derniers temps que je ne suis pas malade et
que Madicte, avec son traitement, se sent comme malade, affaiblie, parfois sans
énergie. Lorsque nous avons de la visite, c’est surtout du bonheur, mais pour
Madicte, il y a la fatigue en plus. Je dois un peu me brider pour ne pas
exagérer. De même pour les déplacements : c’est toujours ma Belle qui est
au volant, ce qui arrivait rarement avant l’accident. Et en plus elle doit
subir mes peurs et mes tensions quand elle conduit !
Une carte postale de notre réfectoire: nous y sommes nombreux : 16 ou
17. J’ai la chance d’avoir en face de moi un monsieur très gentil qui déborde
de tous les côtés de sa chaise roulante (croulante ?), mais qui enfourne
sa tartine en entier dans sa bouche, qui rit très fort quand il rit la bouche
pleine, nous avons droit à des échantillons gratuits), qui avale plus ses mots
que ce qu’il n’a dans sa bouche (c’est parce qu’il n’y a pas assez de place
pour la nourriture ET les mots ensemble dans sa bouche ?). Nous nous
faisons à l’occasion un clin d’œil, mon voisin de chambre et moi: pas besoin de
beaucoup de mots pour nous comprendre. Mais ce monsieur est vraiment sympathique,
ce qui fait qu’on lui passe beaucoup de ses excès à table. Nous en parlions
tous les deux, et nous sommes d’accord: une éducation différente ne provoque
pas systématiquement une scission, ou un clan à part. Ici, nous avons tous un
point commun dans notre passé… et nous appartenons un peu à la même famille. En
tout cas tant que nous vivons en communauté, autour de la même table.
Je me rendais à la fontaine pour remplir ma petite carafe d’eau. Et un
souvenir m’est revenu: presser sur le bouton de la fontaine était un
exercice douloureux, les premiers mois. Etant donné la position du bouton, je
ne savais le faire qu’avec la main droite (celle qui était en plus mauvais
état). Quel chemin parcouru, que j’ai un peu oublié, ou disons qui est éclipsé
par le quotidien; pas besoin de repenser au passé; s’il me revient
ainsi à l’occasion, je ne peux que me réjouir de ce chemin parcouru. Les
douleurs chez les kinés, mes peurs, la crainte de ne pas y arriver, etc… c’est
si loin tout ça ! Par contre restent bien vivants les souvenirs de vos
encouragements, de vos sourires, de vos mots simples, justes, de vos présences,
de vos prières, de vos rires et de vos larmes, de vos visites, de vos courriers
en tous genres, et aussi de chaque progrès, de chaque nouvelle étape atteinte
durant les 9 mois de revalidation. Vous êtes bien entendu incluse dans cette
énumération, ma chère femme !!!
Il y a mon petit monde de plaisirs et de bêtises que je vous raconte, mais
il y a aussi la Vie autour de nous, avec ses côtés brillants et ses côtés durs.
Ce lundi était enterrée Annick, une amie. Difficile de ne pas penser à ses mois
de souffrance, et à Jean-Benoît son mari, et à leurs enfants. J’ai regardé les
photos de nos vacances en Provence avec eux et avec Brigitte et
Jean-Philippe; c’était ma manière à moi de lui dire au-revoir. Le soir,
je suis passé à la chapelle, toujours aussi déserte. J’avais emmené le livre de
Anselm Grün et l’ai ouvert au hasard (mais, bon, le hasard…hein !) et suis
tombé sur le texte de l’ange de la séparation, du deuil !
Je m’apprêtais à envoyer mon texte à Madicte, pour qu’elle le publie sur la
toile, quand j’ai appris que je peux rentrer définitivement demain à la maison
(vendredi 23.10). Grande joie de retrouver mes pénates, de pouvoir à nouveau
m’endormir près de ma belle ! Et de me réveiller à nouveau à ses côtés.
Les séparations, ça ne nous réussit pas ! Les jours à venir vont être une
découverte de mes possibilités, en fonction des bandages de mon poignet. Je
n’ai pas encore vu ma cicatrice, mais je la sens ! Voilà, rien à ajouter
sinon que la Vie est belle.
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