samedi 9 août 2014

Flash-back



Ces 15 derniers jours ont été très riches en émotions diverses et j'ai envie de vous partager un peu de notre vécu.

28-07-2014
Pierre est très content de se trouver ici à Pellenberg, le personnel soignant est vraiment formidable et très efficace.  Depuis longtemps il se plaignait de douleurs au poignet gauche qui devenaient plus récurrentes.  Ici, il a fallu moins de deux heures entre le moment où il en a parlé aux infirmières et le moment du diagnostic pour apprendre que ce poignet souffrait aussi de poly-fractures, heureusement sans déplacement.  Il avait donc fait toutes sortes d'exercices et d'efforts depuis des semaines avec un poignet fracturé...  Cela s'est passé le vendredi avant le long week-end du 21 juillet.  Il était trop tard pour l'immobiliser, mais interdiction lui était faite de s'en servir.  On a même retiré le perroquet de son perchoir afin qu'il ne s'aide pas avec cette main pour pouvoir changer de position dans son lit.
Après le week-end on lui a mis une attelle plutôt qu'un plâtre et nous étions bien soulagés par cette solution. 

Mercredi 23/07, c'était le bonheur, Pierre tenait enfin dans une chaise roulante et on a pu le sortir et lui faire profiter du bon air de la montagne brabançonne flamande.  On se trouve ici sur le site le plus élevé de la région, comme Pierre l'a dit dans son interview, :"On se trouve sur la montagne des pelles" .  Je crois qu'il a sucé cette traduction de son pouce, mais on la prendra comme une liberté littéraire... Mercredi, je vais chez mon médecin de famille, car je m'inquiète d'un point dur dans mon sein gauche.  C'est pas le moment d'avoir des pépins, encore moins des noyaux, je dois être près de Pierre, le soutenir, remplacer actuellement ses mains et ses jambes.  Mon toubib fait le même constat, prend la chose au sérieux et s'arrange pour que je puisse déjà faire des examens à l'hôpital le lendemain. Comme Pierre doit subir une opération au poignet droit vendredi, j'attends de lui raconter ce qui se passe.

Jeudi 24/07, Pierre reçoit une visite exceptionnelle et inattendue: le caporal Olivier Poupier ayant fait le service de nuit à Beauvechain ne rentre pas tout de suite chez lui, il fait le détour à Pellenberg.
Il attend très patiemment que les soins du matin soient terminés pour rentrer dans sa chambre.  Pierre voit un uniforme en treillis, croit que c'est notre fiston qui lui fait une surprise, mais non, ce n'est pas lui, il arrive à lire sa nominette, l'émotion le prend à la gorge, il a devant lui le gars qui lui a sauvé la vie.  Il apprend des détails sur ce qui s'est passé une fois que l'accident s'est produit.  Olivier était bien cet ange, ce samaritain envoyé du ciel de Beauvechain: lorsque le caporal s'est précipité vers lui, Pierre ne respirait plus et il n'avait plus de pouls.  Spécialiste en secourisme, le caporal a dû le réanimer à trois reprises et a pu ainsi le maintenir en vie sans qu'il n'ait de séquelles cérébrales.  C’est lui aussi qui avec le matériel des pompiers de la base (qui étaient là dans les 3 minutes) a découpé sa tenue de motard et a veillé à retirer son casque et ses bottes selon les prescriptions de sécurité. Il a pu ainsi faire un premier check-up et donner des informations précieuses aux services de secours. Il lui a tenu la main tout le temps, Pierre ne voulait plus la lâcher, à tel point qu’à un certain moment il a fait appel à un collègue et lui a confié la main de Pierre, car lui devait s’éloigner un moment. Comme les deux militaires étaient habillés comme des jumeaux il n'y a vu que du feu...  Rien qu'en écrivant ces lignes, j'ai les yeux qui ouvrent leur robinet.   Je n'ose pas imaginer ce que Pierre serait devenu si Olivier Poupier, lui aussi motard, mais secouriste aguerri n'avait pas été là.  Je ne pourrai jamais lui dire assez merci de m'avoir protégé et sauvé l'homme que je chéris le plus au monde.  
Ça fait drôle de penser que la vie de Pierre s'est jouée en quelques secondes entre les mains de deux militaires. Le conducteur responsable de l'accident est un caporal de Beauvechain  ainsi qu'Oliver,  son sauveur.  Nous n'avons eu aucun contact avec le premier, nous ne savons pas comment il vit sa responsabilité par rapport au bouleversement de nos vies.  Il a dû bien voir à quel point Pierre était grièvement blessé, ça ne doit pas être facile de porter ce fardeau. Un moment de distraction, de manque de patience peut créer des drames.  N'oublions jamais cela quand nous sommes au volant!

Pendant que Pierre vit cette rencontre intensément, je passe des examens médicaux, soutenue par la présence de notre amie Manuela dans la salle d'attente. L'écran de l'échographie me renvoie clairement l'image d'une petite boule insidieuse. Mes intuitions ne m'avaient pas trompée. Avec énormément de tact et de gentillesse le médecin m'annonce la nécessité de faire une ponction afin de procéder à une biopsie. A partir de ce moment tout va se précipiter. Vendredi soir notre médecin de famille me convoque samedi sur le temps de midi pour parler des résultats et des examens complémentaires à effectuer. Je me doute bien que s'il y a des examens complémentaires à faire, c'est que les nouvelles ne sont pas excellentes.  Pierre est encore un peu dans le gaz de l'anesthésie, vendredi soir, mais je ne peux plus faire de la rétention d'information. Il apprend donc mon souci de santé, mais j'insiste sur le fait que j'ai réagi vite et que si jamais la biopsie révèle un tissu malsain, il est clair que la médecine m'offrira les moyens de guérir, j'ai pas l'intention de le plaquer, non mais quoi, on s'est promis de mourir ensemble, mais on préfère surtout vivre ensemble, c'est plus marrant... 

Le sort semble s'acharner sur notre famille, mais nous n'allons pas nous laisser abattre.  On n'a pas le choix, il faut avancer, c'est encore un autre combat que nous devons mener.  Je suis surtout soulagée d'avoir réagi de façon proactive, sans jouer à l'autruche. Je suis très reconnaissante envers notre médecin de famille qui a pris la situation à cœur et en main afin de ne pas perdre de temps et de ne pas nous laisser longtemps dans l'incertitude. Grâce à elle, les examens médicaux complémentaires se succèdent et je peux déjà aller en consultation chez le spécialiste à l'hôpital universitaire de Leuven, Gasthuisberg jeudi matin (31/07). Il y aura certainement une intervention chirurgicale, mais il faut connaître les résultats des examens complémentaires pour mieux cerner l'ensemble des traitements qui devront avoir lieu. Je me sens plutôt optimiste, j'ai du mal à m'imaginer que je devrai subir des traitements lourds. On verra bien, il faut faire avancer le schmilblick, c'est le principal.

Suite de l'histoire vue à postériori (09/08/2014)
Alors que je m'imaginais passer une heure ou deux à Gasthuisberg pour la précision du diagnostic, nous y sommes restées, Emilie et moi de 9:15 à 16:00.  Les entrevues et examens se sont succédé.  Les nouvelles étaient moins rassurantes: la tumeur était plus grande, le type de cancer plus agressif, il fallait passer à une ablation totale du sein et envisager certainement une chimio préventive par après. L'ablation des ganglions lymphatiques se déciderait au cours de l'opération. Tous les intervenants étaient très humains, corrects, clairs dans leurs explication.  Je me sentais prise en charge par une équipe compétente et professionnelle.  C'était lourd à porter, heureusement qu'Emilie était là, présence douce, tendre et aimante pour m'aider à assumer et à aller de l'avant.  Quand nous sommes arrivés à Pellenberg, Pierre était entouré de visiteurs, c'était pas le moment de lui confier les mauvaises nouvelles.  C'était pas évident de devoir attendre un moment plus calme pour se retrouver enfin dans notre intimité familiale.
Ce n'est pas toujours facile de trouver une bonne gestion des visites.  Autant elles font du bien à Pierre et aux visiteurs, autant elles sont parfois fatigantes et envahissantes.  Pour nous, les plus proches, on se sent parfois frustrés, car les temps d'intimité se réduisent quelque fois à une peau de chagrin.
Voilà huit semaines que nous avons été arrachés l'un de l'autre. Notre quotidien ne ressemble plus en rien à ce qu'il était. Tous les gestes les plus simples qui pour nous faisaient partie de l'évidence de notre vie commune sont suspendus: se réveiller dans le même lit, se sourire, se dire :"tu as bien dormi? " s'embrasser, se blottir dans les bras de l'autre et prendre le temps de prendre le temps, se raconter ce qu'on a vécu la journée, penser en même temps à la même chose et se mettre à rire de notre complicité. Grimper sur notre tandem et parcourir les chemins en bavardant, profiter de notre abri côtier à Coxyde et s'émerveiller de la beauté changeante de la vue sur la mer, prendre un bain ensemble après avoir marché le long de la mer et profité de l'air bienfaisant...
J'ai la chance de pouvoir écrire que tout cela est suspendu et non pas révolu... Je pense à tous ces amoureux que la mort sépare inexorablement. Comme disait Jacques Brel c'est celui qui reste qui se retrouve en enfer. Nous voilà donc tous les deux dans le purgatoire pour quelque temps, mais nous avons bien l'intention de remonter au paradis, si nécessaire on se fera pousser des ailes pour y arriver. 
Heureusement, il y a le téléphone qui nous permet les échanges plus intimes de face à face. (On vient de découvrir le dernier soir qu'il y avait moyen de se téléphoner gratuitement par les lignes internes de l'UZ Leuven...)
Heureusement il y a moyen de loger le week-end à Pellenberg. Je l'ai déjà fait deux fois.  Les nuits sont entrecoupées, car on vient tourner Pierre dans son lit pour éviter les esquarres, mais je suis près de lui, je peux lui parler, le toucher, être ensemble dans la même bulle. Etre seule avec lui plusieurs heures d'affilée, quelle luxe!!!

A l'heure où j'écris, ma filleule Virginie va bientôt recevoir le bouquet de son bien-aimé Mathieu.  Il y a du soleil ici à Gasthuisberg, j'espère qu'il restera de la partie pour illuminer leur mariage. 
Sur l'appui de fenêtre de ma chambre d'hôpital trône le joli bouquet que mon tendre époux m'a apporté jeudi dans son cuistax de luxe électrique.  Nos alliances, nous nous les sommes échangées il y a plus de 32 ans. Et chaque jour on se remarierait bien ensemble, on se glisserait bien à nouveau l'alliance au doigt pour le meilleur et le pire. C'est peut-être le pire ce que nous vivons pour le moment, mais cela n'a pas le pouvoir de diminuer notre amour, au contraire.
Après l'accident j'ai retrouvé l'alliance de Pierre intacte, soigneusement glissée dans son porte-documents par les urgentistes. Vu les blessures à sa main droite, il ne peut la mettre, actuellement je la garde à la maison. Avant de partir pour l'hôpital mardi, j'ai déposé la mienne au creux de la sienne dans notre pièce de Reiki.  Elles attendent toutes deux notre retour de nos expéditions montagnardes hospitalières.
Comme l'évolution de mon état de santé est favorable, et que je ne dois pas subir d'ablation des ganglions, j'ai obtenu de pouvoir quitter l'hôpital demain plutôt que lundi. J'ai promis à Pierre de prendre soin de moi, de faire tout ce que je peux pour retrouver la santé, de me reposer suffisamment, de me nourrir convenablement.  Bref je voudrais être en forme avant de devoir affronter la chimio dans quelques semaines.

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