Nous
revoici, après une interruption un peu longue. Cela m’a permis de prendre
quelques photos de ma rue et d’en faire des cartes postales qui vous sont
destinées…
- Les
travaux de construction derrière notre bâtiment avancent ; nous avons
parfois le nez collé aux fenêtres pour observer le balai des véhicules. Je vous
l’ai dit, il y a toujours quelqu’un qui s’y connait dans tel ou tel domaine et
donc donne des explications liées à ce que nous voyons. Il y a quelques jours,
l’un de nous commentait les camions de béton, nous détaillant les mélanges de
ciment, sable, béton pour les travaux de consolidation. Nous avons eu droit à
une conférence sur les sables, leurs origines et leurs spécifications. Puis la
même chose sur le ciment. Puis sur les camions; leur nombre d’essieux, etc…
Tout le monde écoutait, apprenait. Puis après un silence de quelques secondes,
notre conférencier s’est tourné vers moi, l’air complice, et m’a dit quelque
chose du genre « je n’y connais rien ! Tout est inventé, ne me
demande pas de répéter les mêmes mensonges, je ne saurais pas ! ». Le
tout avec un clin d’œil malicieux.
- Durant
les entrainements en chaise roulante, nous voyons arriver de nouvelles têtes.
C’est impressionnant de voir les « nouveaux » paniquer lorsqu’on leur
demande de se mettre en équilibre sur les roues arrières; je me revois lors de
la première leçon, paniqué, manquant de confiance, essayant de tenir en
équilibre en étant complètement tétanisé, les mains accrochées aux roues. Le
même exercice maintenant, je le fais avec deux doigts… Une fois, on est le
nouveau, une fois on est l’ancien… Une fois le novice, une fois l’expérimenté…
- Nous
avons chaque semaine un cours-conférence donné par des responsables de
Pellenberg: cela va depuis une info sur les chaises roulantes jusqu’à comment
vivre sa sexualité suite à une rupture de la moelle épinière en passant des
conseils pour survivre dans les arcannes de l’administration, et j’en passe. La
semaine passée le sujet était « Omgaan met verlies ». Je me suis
présenté chez plusieurs personnes différentes , (infirmières, kinés, ergos, …),
leur demandant avec un air sérieux, un peu gêné, si je pouvais assister à cette
conférence, n’ayant plus de pertes (verlies) avec les yeux tristement dirigés
vers mon entrejambes. Chaque personne a cru que j’étais sérieux (c’était le
but) et a essayé à sa manière de me rassurer. L’ensemble des réponses tient en
ceci : « Mais Pierre, bien sur que tu peux assister à la leçon… Tu as
mal compris : il ne s’agit pas de pertes urinaires, je comprends que ces
subtilités de la langue t’échappent. Il faut le comprendre dans le sens
« être moins valide ». » C’est en voyant mon sourire que mes
interlocutrices comprenaient que je me moquais gentiment. A part deux ou trois
tapes amicales sur le crâne, je n’ai pas eu à souffrir des conséquences
négatives de mon humour… Je me demande si, à force de fréquenter le milieu
médical, je ne deviens pas un peu « pipi caca » dans mon humour.
- Dans
le même genre: une infirmière me demandait où j’avais été hospitalisé après mon
accident (en néerlandais : « Waar lag je na uw
ongeval ? » ; ce qui peut être mal traduit par « Où
étais-tu couché après ton accident ? »). J’ai répondu « Op de
grond ! » (sur le sol).
- Certaines
infirmières aiment raconter la dernière blague, ou en entendre une nouvelle. Il
y a quelques jours, je racontais une blague à l’une de mes anges gardiens. A la
fin, elle éclata de rire, ne sachant plus s’arrêter. Dans les dix secondes,
quatre autres infirmières étaient dans ma chambre, ayant entendu le rire, et,
comprenant qu’une nouvelle blague venait d’arriver, elles-mêmes voulant
entendre la dernière!
- Le
balai des départs ne diminue pas, ce qui reste difficile dans certains cas.
Pourtant nous savons que telle ou tel a atteint l’objectif de sa revalidation,
ce qui signifie retour à la maison. A chaque fois, je me réjouis pour celui ou
celle qui regagne ses pénates, mais il y a toujours autant d’émotion dans les
adieux.
- Ce
mardi soir, j’étais au lit depuis quelques minutes quand l’infirmière qui
venait de me mettre au lit est revenue dans ma chambre pour me dire qu’il
neigeait, comme pour partager un secret avec un enfant. Elle a éteint la
lumière de ma chambre pour que nous puissions voir tomber les flocons. C’était
super ! Qui plus est, elle a posé sa main sur mon épaule pendant quelques
secondes. Un beau moment !!! C’est vrai que je suis très
« contact » dans mes relations… Et ici, être touché physiquement,
c’est purement technique, alors vivre quelques secondes un geste de complicité,
c’est un moment de pur bonheur !!!
Il
m’arrive à l’occasion de m’habiller « normalement », c'est-à-dire une
chemise, un pantalon, des chaussures de ville. Cela fait du bien d’être habillé
de la sorte, ne fut ce que le w.e. Toute la semaine en T-shirt et pantalon de
training, c’est un peu trop loin de la vie « d’avant ». La Vie
normale me manque. Tout est à apprendre ou à réapprendre. Parfois un vent de
lassitude, de découragement, d’impatience tourbillonne entre mes oreilles. Je
me dis qu’il me faut tourner le regard vers l’avant et non vers l’arrière, mais
ce vent est assez persistant… Même si j’accepte la situation, j’ai envie de retrouver l’usage de mes jambes,
de maîtriser toutes les fonctions de mon corps situées sous le nombril. La
médecine m’a fait comprendre que je ne marcherais plus, ce qui ne m’empêche pas
d’espérer.
Les
exercices de kiné avancent bon train ; je vois aussi que les séances de
fitness portent leurs fruits: j’ai davantage de force dans les bras pour me
déplacer, me soulever. Je sais enfin soulever mes jambes pour passer de la
position assis au bord de la table de kiné à la position assis sur la table de
kiné. Les muscles font mal, mais c’est le chemin à parcourir, je n’ai pas
d’alternative. Avec les ergos, les exercices sont centrés sur l’apprentissage
des transferts. Chaque transfert est différent: de la chaise au lit, de la
chaise à la table de kiné, de la chaise à la toilette, de la chaise à la
voiture. Les techniques varient et demandent de la précision, de la force. C’est
pas gagné !!!
Quand
nous faisons du handbike (vélo avec les mains), notre chaise se trouve
rallongée d’un petit mètre. Il est surprenant à la fin de l’exercice de
retrouver une chaise courte; c’est à chaque fois une réadaptation à d’autres repères.
Chaque repère physique d’avant est à mettre de côté: tout est à rebâtir, le
temps n’est plus le même, les sensations pour l’équilibre, pour les gestes à
faire au quotidien.
Dimanche
passé, en arrivant à Pellenberg, le chauffeur du taxi
me faisait descendre via un lift placé à l’arrière. Comme d’habitude il était placé
derrière moi pour m’empêcher de tomber; pendant la manœuvre de descente il a
quitté sa place alors que le plateau ne touchait pas encore le sol... et je
suis parti en culbute arrière avec la chaise! Mon crâne a été le premier à
tâter le sol! J’ai passé une petite demi-heure sous la pluie, parfois
conscient, souvent inconscient, attendant d’abord un docteur, qui lui-même
attendait une civière, qui elle-même se faisait attendre. En fin de compte on
m’a remis sur ma chaise pour m’amener dans ma chambre. Je me suis réveillé dans
mon lit, grelotant de froid. Prise de ma tension, divers contrôles pour voir si
je réagissais normalement. Contrôle tous les quarts d’heure durant toute la
nuit, avec réveil toutes les heures (tension artérielle). Le matin, scanner de
la boite crânienne: rien à déplorer (de plus qu’avant). Il n’a pas fallu recoudre, mais on m’a
agrandi la tonsure au rasoir, et à sec ! (c’est pas agréable!) et on m’a
mis un pansement. Je porte la kippa maintenant!!! Madicte, qui est venue me voir lundi, m’a
apporté un casque de moto pour mes déplacements en chaise roulante. Ah, cet
humour qui nous unit et nous rend fous... J’ai repris mes activités normales ce
mardi. Je me suis déplacé avec mon casque sur la tête, ce qui a eu un grand
succès; plusieurs personnes m’ont dit aimer mon autodérision. Pour le reste, la
Vie est belle: j’ai le crâne solide, je ne suis pas plus cassé qu’avant. Je
repensais à la BD d’Astérix (je crois que c’est « le coup du menhir »),
où Panoramix reçoit un menhir sur le crâne et devient fou. Obélix se dit qu’un
deuxième coup le rendrait peut-être
normal… Je me disais qu’un tel choc sur la tête me rendrait peut-être
« normal »… mais mes jambes sont toujours en vacances ! Comme
disait Ramon, le penseur sud-américain "Caramba, encore raté!".
Je reste impressionné par votre fidélité dans les visites! C'est
pour moi une leçon d'humilité que d'être ainsi chouchouté par vous! Chaque
visite m'apporte tant d'énergie, de bonne humeur (c'est vrai que vous êtes peu
nombreux à venir vous plaindre de vos petits bobos; et pourtant parmi vous,
nous savons que certains vivent des heures difficiles, très difficiles! Et nous
nous sentons proches les uns des autres). Que de moments de partages, de rires,
de larmes dans les murs de ma chambre. Vous continuez chaque jour à vous
inquiéter de moi et de Madicte: mails, sms, visites, courrier, coups de fil
(sorry, mais vu mon horaire et le peu de disponibilité, répondre au gsm reste difficile;
qui plus est mon gsm, qui promettait tant et tant, est en fait pour moi une
source d'énervement!). Je pense, sans aucune prétention, faire mieux que Tintin
(qui était le seul concurrent du général de Gaulle): lui va de 7 à 77 ans mais
moi c'est de 4 à 90 ans!
Depuis deux semaines, les visites sont limitées aux lundis et
mercredis, car chaque mardi nous allons au Sportkot à Leuven pour des activités
d'endurance; et le jeudi nous y allons pour nager (l'eau, c'est mouillé et
c'est froid... Mais nager est bon pour la santé, alors j'y vais, heureusement
pas avec des pieds de plomb). Le retour se fait entre 19 et 20 h. Donc les
visites continuent, mais uniquement deux fois par semaine au lieu de quatre.
Désolé pour les listes d'attente! Merci pour tous les mots, toutes les prières,
toutes les attentions sous tant de formes différentes. Je le dis et le redis:
le mot MERCI est si petit à écrire, mais contient tellement!
Je peux maintenant rentrer à la maison le vendredi soir. Que ça
fait du bien! Nous avons choisi de ne pas nous faire aider le soir; c'est donc
Madicte qui me met au lit, à l'aide de la "grue". Nous sommes encore
en période d'essai: il ne faut pas que cela soit une charge pour elle. Je vais
encore gagner en autonomie et pourrai un jour me mettre seul au lit, m'habiller
et me déshabiller... Et donc moins monopoliser Madicte. Actuellement le matin,
c'est encore une infirmière qui vient à domicile, mais là aussi je vais gagner
en autonomie!
Je vous souhaite un heureux temps de préparation à la fête de la
Nativité! Un chemin rempli de grandes et petites joies, de rencontres, de
rires, de construction intérieure, de pacification.
Ma musique de ces jours-ci: les cd du groupe I Muvrini. Entre
autres une chanson, Erein Eta Joan, interprétée
avec Luz Casal... Une voix superbe!
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