dimanche 7 décembre 2014

Dans le cochon, tout est bon




Nous revoici, après une interruption un peu longue. Cela m’a permis de prendre quelques photos de ma rue et d’en faire des cartes postales qui vous sont destinées…
- Les travaux de construction derrière notre bâtiment avancent ; nous avons parfois le nez collé aux fenêtres pour observer le balai des véhicules. Je vous l’ai dit, il y a toujours quelqu’un qui s’y connait dans tel ou tel domaine et donc donne des explications liées à ce que nous voyons. Il y a quelques jours, l’un de nous commentait les camions de béton, nous détaillant les mélanges de ciment, sable, béton pour les travaux de consolidation. Nous avons eu droit à une conférence sur les sables, leurs origines et leurs spécifications. Puis la même chose sur le ciment. Puis sur les camions; leur nombre d’essieux, etc… Tout le monde écoutait, apprenait. Puis après un silence de quelques secondes, notre conférencier s’est tourné vers moi, l’air complice, et m’a dit quelque chose du genre « je n’y connais rien ! Tout est inventé, ne me demande pas de répéter les mêmes mensonges, je ne saurais pas ! ». Le tout avec un clin d’œil malicieux.
- Durant les entrainements en chaise roulante, nous voyons arriver de nouvelles têtes. C’est impressionnant de voir les « nouveaux » paniquer lorsqu’on leur demande de se mettre en équilibre sur les roues arrières; je me revois lors de la première leçon, paniqué, manquant de confiance, essayant de tenir en équilibre en étant complètement tétanisé, les mains accrochées aux roues. Le même exercice maintenant, je le fais avec deux doigts… Une fois, on est le nouveau, une fois on est l’ancien… Une fois le novice, une fois l’expérimenté…
- Nous avons chaque semaine un cours-conférence donné par des responsables de Pellenberg: cela va depuis une info sur les chaises roulantes jusqu’à comment vivre sa sexualité suite à une rupture de la moelle épinière en passant des conseils pour survivre dans les arcannes de l’administration, et j’en passe. La semaine passée le sujet était « Omgaan met verlies ». Je me suis présenté chez plusieurs personnes différentes , (infirmières, kinés, ergos, …), leur demandant avec un air sérieux, un peu gêné, si je pouvais assister à cette conférence, n’ayant plus de pertes (verlies) avec les yeux tristement dirigés vers mon entrejambes. Chaque personne a cru que j’étais sérieux (c’était le but) et a essayé à sa manière de me rassurer. L’ensemble des réponses tient en ceci : « Mais Pierre, bien sur que tu peux assister à la leçon… Tu as mal compris : il ne s’agit pas de pertes urinaires, je comprends que ces subtilités de la langue t’échappent. Il faut le comprendre dans le sens « être moins valide ». » C’est en voyant mon sourire que mes interlocutrices comprenaient que je me moquais gentiment. A part deux ou trois tapes amicales sur le crâne, je n’ai pas eu à souffrir des conséquences négatives de mon humour… Je me demande si, à force de fréquenter le milieu médical, je ne deviens pas un peu « pipi caca » dans mon humour.
- Dans le même genre: une infirmière me demandait où j’avais été hospitalisé après mon accident (en néerlandais : « Waar lag je na uw ongeval ? » ; ce qui peut être mal traduit par « Où étais-tu couché après ton accident ? »). J’ai répondu « Op de grond ! » (sur le sol).
- Certaines infirmières aiment raconter la dernière blague, ou en entendre une nouvelle. Il y a quelques jours, je racontais une blague à l’une de mes anges gardiens. A la fin, elle éclata de rire, ne sachant plus s’arrêter. Dans les dix secondes, quatre autres infirmières étaient dans ma chambre, ayant entendu le rire, et, comprenant qu’une nouvelle blague venait d’arriver, elles-mêmes voulant entendre la dernière!
- Le balai des départs ne diminue pas, ce qui reste difficile dans certains cas. Pourtant nous savons que telle ou tel a atteint l’objectif de sa revalidation, ce qui signifie retour à la maison. A chaque fois, je me réjouis pour celui ou celle qui regagne ses pénates, mais il y a toujours autant d’émotion dans les adieux.
- Ce mardi soir, j’étais au lit depuis quelques minutes quand l’infirmière qui venait de me mettre au lit est revenue dans ma chambre pour me dire qu’il neigeait, comme pour partager un secret avec un enfant. Elle a éteint la lumière de ma chambre pour que nous puissions voir tomber les flocons. C’était super ! Qui plus est, elle a posé sa main sur mon épaule pendant quelques secondes. Un beau moment !!! C’est vrai que je suis très « contact » dans mes relations… Et ici, être touché physiquement, c’est purement technique, alors vivre quelques secondes un geste de complicité, c’est un moment de pur bonheur !!!

Il m’arrive à l’occasion de m’habiller « normalement », c'est-à-dire une chemise, un pantalon, des chaussures de ville. Cela fait du bien d’être habillé de la sorte, ne fut ce que le w.e. Toute la semaine en T-shirt et pantalon de training, c’est un peu trop loin de la vie « d’avant ». La Vie normale me manque. Tout est à apprendre ou à réapprendre. Parfois un vent de lassitude, de découragement, d’impatience tourbillonne entre mes oreilles. Je me dis qu’il me faut tourner le regard vers l’avant et non vers l’arrière, mais ce vent est assez persistant… Même si j’accepte la situation,  j’ai envie de retrouver l’usage de mes jambes, de maîtriser toutes les fonctions de mon corps situées sous le nombril. La médecine m’a fait comprendre que je ne marcherais plus, ce qui ne m’empêche pas d’espérer.
Les exercices de kiné avancent bon train ; je vois aussi que les séances de fitness portent leurs fruits: j’ai davantage de force dans les bras pour me déplacer, me soulever. Je sais enfin soulever mes jambes pour passer de la position assis au bord de la table de kiné à la position assis sur la table de kiné. Les muscles font mal, mais c’est le chemin à parcourir, je n’ai pas d’alternative. Avec les ergos, les exercices sont centrés sur l’apprentissage des transferts. Chaque transfert est différent: de la chaise au lit, de la chaise à la table de kiné, de la chaise à la toilette, de la chaise à la voiture. Les techniques varient et demandent de la précision, de la force. C’est pas gagné !!!
Quand nous faisons du handbike (vélo avec les mains), notre chaise se trouve rallongée d’un petit mètre. Il est surprenant à la fin de l’exercice de retrouver une chaise courte; c’est à chaque fois une réadaptation à d’autres repères. Chaque repère physique d’avant est à mettre de côté: tout est à rebâtir, le temps n’est plus le même, les sensations pour l’équilibre, pour les gestes à faire au quotidien.
Dimanche passé, en arrivant à Pellenberg, le chauffeur du taxi me faisait descendre via un lift placé à l’arrière. Comme d’habitude il était placé derrière moi pour m’empêcher de tomber; pendant la manœuvre de descente il a quitté sa place alors que le plateau ne touchait pas encore le sol... et je suis parti en culbute arrière avec la chaise! Mon crâne a été le premier à tâter le sol! J’ai passé une petite demi-heure sous la pluie, parfois conscient, souvent inconscient,  attendant d’abord un docteur, qui lui-même attendait une civière, qui elle-même se faisait attendre. En fin de compte on m’a remis sur ma chaise pour m’amener dans ma chambre. Je me suis réveillé dans mon lit, grelotant de froid. Prise de ma tension, divers contrôles pour voir si je réagissais normalement. Contrôle tous les quarts d’heure durant toute la nuit, avec réveil toutes les heures (tension artérielle). Le matin, scanner de la boite crânienne: rien à déplorer (de plus qu’avant).  Il n’a pas fallu recoudre, mais on m’a agrandi la tonsure au rasoir, et à sec ! (c’est pas agréable!) et on m’a mis un pansement. Je porte la kippa maintenant!!!  Madicte, qui est venue me voir lundi, m’a apporté un casque de moto pour mes déplacements en chaise roulante. Ah, cet humour qui nous unit et nous rend fous... J’ai repris mes activités normales ce mardi. Je me suis déplacé avec mon casque sur la tête, ce qui a eu un grand succès; plusieurs personnes m’ont dit aimer mon autodérision. Pour le reste, la Vie est belle: j’ai le crâne solide, je ne suis pas plus cassé qu’avant. Je repensais à la BD d’Astérix (je crois que c’est « le coup du menhir »), où Panoramix reçoit un menhir sur le crâne et devient fou. Obélix se dit qu’un deuxième coup le rendrait peut-être  normal… Je me disais qu’un tel choc sur la tête me rendrait peut-être « normal »… mais mes jambes sont toujours en vacances ! Comme disait Ramon, le penseur sud-américain "Caramba, encore raté!".
Je reste impressionné par votre fidélité dans les visites! C'est pour moi une leçon d'humilité que d'être ainsi chouchouté par vous! Chaque visite m'apporte tant d'énergie, de bonne humeur (c'est vrai que vous êtes peu nombreux à venir vous plaindre de vos petits bobos; et pourtant parmi vous, nous savons que certains vivent des heures difficiles, très difficiles! Et nous nous sentons proches les uns des autres). Que de moments de partages, de rires, de larmes dans les murs de ma chambre. Vous continuez chaque jour à vous inquiéter de moi et de Madicte: mails, sms, visites, courrier, coups de fil (sorry, mais vu mon horaire et le peu de disponibilité, répondre au gsm reste difficile; qui plus est mon gsm, qui promettait tant et tant, est en fait pour moi une source d'énervement!). Je pense, sans aucune prétention, faire mieux que Tintin (qui était le seul concurrent du général de Gaulle): lui va de 7 à 77 ans mais moi c'est de 4 à 90 ans!
Depuis deux semaines, les visites sont limitées aux lundis et mercredis, car chaque mardi nous allons au Sportkot à Leuven pour des activités d'endurance; et le jeudi nous y allons pour nager (l'eau, c'est mouillé et c'est froid... Mais nager est bon pour la santé, alors j'y vais, heureusement pas avec des pieds de plomb). Le retour se fait entre 19 et 20 h. Donc les visites continuent, mais uniquement deux fois par semaine au lieu de quatre. Désolé pour les listes d'attente! Merci pour tous les mots, toutes les prières, toutes les attentions sous tant de formes différentes. Je le dis et le redis: le mot MERCI est si petit à écrire, mais contient tellement!
Je peux maintenant rentrer à la maison le vendredi soir. Que ça fait du bien! Nous avons choisi de ne pas nous faire aider le soir; c'est donc Madicte qui me met au lit, à l'aide de la "grue". Nous sommes encore en période d'essai: il ne faut pas que cela soit une charge pour elle. Je vais encore gagner en autonomie et pourrai un jour me mettre seul au lit, m'habiller et me déshabiller... Et donc moins monopoliser Madicte. Actuellement le matin, c'est encore une infirmière qui vient à domicile, mais là aussi je vais gagner en autonomie!
Je vous souhaite un heureux temps de préparation à la fête de la Nativité! Un chemin rempli de grandes et petites joies, de rencontres, de rires, de construction intérieure, de pacification. 

Ma musique de ces jours-ci: les cd du groupe I Muvrini. Entre autres une chanson, Erein Eta Joan,  interprétée avec Luz Casal... Une voix superbe!

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