lundi 27 juin 2016

Sans voix, sans voie?




Alors que pendant 10 mois  j'ai dû apprendre à vivre séparée de Pierre, je ne m'y fais toujours pas. C'est fou comme il me manque, comme je me sens toute perdue dans notre maison sans lui, sans sa bonne humeur et sa tendresse, sans ses ronflements rassurants qui me rappellent qu'il est bien vivant. J'ai l'impression de fonctionner, de poser les gestes nécessaires au quotidien, mais plus vraiment de vivre.
Le chat aussi est un peu désemparé.  Il ne trouve plus sa papamobile dont il sert de figure de proue, trônant majestueusement sur les genoux immobiles du maître du logis. Il se rabat sur moi, qui occupe la place du podium de son cœur réservée aux médaillés de bronze, Emilie, absente en journée, ayant obtenu sans contestation l'or aux yeux de ce félin sibyllin.
Je ne cache pas que ces derniers jours ont été éprouvants.  J'ai une admiration infinie pour la sagesse et la sérénité de Pierre.  A mon avis son papa l'a tenu par la main tout au long de ces dernières semaines.  Pas un soupçon d'anxiété, de panique, de découragement, de lassitude ne l'a effleuré.  Alors que je me faisais violence pour rester confiante et sereine, il allait de l'avant, comme l'agneau pascal,  prêt à supporter de nouveau les piqûres et le scalpel, les infusions et la gastronomie hospitalière.
On a eu beau demander à l'avance à l'anesthésiste de tenir compte du syndrome post-traumatique d'angoisse de Pierre par rapport à la douleur et aux piqures, à nouveau cela n'a servi à rien.  Les préposés ont refusé de faire les injections dans le pied et n'ont pas non plus utilisé le patch insensibilisant avant d'enfoncer leur matériel dans la chair fraîche de mon tendre époux.  Chaque main s'est vue décorée d'un cathéter veineux. Heureusement il avait déjà avalé un sédatif qui l'a empêché de prendre la poudre d'escampette, contrairement à la fois d'avant où, pour les examens préopératoires au moment de la prise de sang, il a bien fait comprendre à l'infirmière qu'elle pouvait faire la prise de sang sans lui, si elle ne la faisait pas dans son pied.  Comme elle a dû lui courir derrière, (je ne vous dis pas comme il peut aller vite dans sa chaise de course, n'oubliez pas qu'il a fait les 20 km de Bruxelles l'année passée!)  elle a, furieuse, dû prendre son pied (celui de Pierre) pour accomplir son devoir de vampire.
Il n'a même pas la consolation de pouvoir se faire chouchouter par ses anges familiers de Pellenberg puisqu'il se trouve sur l'autre mont.  Vous vous souvenez, le Gasthuisberg, l'hôpital usine, où j'ai laissé la moitié de mon petit paradis en août 2014.  La chambre de Pierre donne sur une grande cheminée, je suppose celle de l'incinérateur qui réduit en cendre, sans état d'âme, tout ce que les chirurgiens découpent et amputent pour rendre l'espoir en de jours meilleurs.
C'est assez confrontant pour moi d'arpenter à nouveau ces couloirs fléchés de toutes les couleurs. Heureusement ce n'est plus la flèche orange, mais bien la brune qui nous guide pour arriver en neurochirurgie. J'essaye d'oublier le département oncologique et je me fixe sur les retrouvailles avec mon homme cassé qui reprend force et courage.
Ah oui, j'oubliais, vous ne l'aurez certainement par remarqué, mais j'ai un petit souci: je suis actuellement comme une télé cassée: y a l'image mais plus le son...
Je vous assure que ce n'est pas en supportant les Diables Rouges hier que c'est arrivé. Une inflammation de la gorge et des cordes vocales ont eu le dernier mot. En me réveillant de ma sieste vendredi, je constate qu'il m'est impossible de parler. Je chuchote, je murmure, je suis l'adage qui dit que la parole est d'argent, mais le silence est d'or.  Pour le moment chez moi c'est la parole qui est dehors, hors de ma portée.  Quand je suis seule c'est pas un problème, le chat est habitué à communiquer avec moi en langage chat, pas sur internet.  Avec Pierre c'est la solution qu'on a trouvée ce soir, nous avons clavardé, chatté sur Facebook. C'était une bonne façon de ronronner un peu ensemble.
Il m'a fallu annuler mon rendez-vous chez mon psy.  Fastoche, direz-vous, il suffit de téléphoner...  Ah oui et on fait comment quand on est aphone?  Je suis allée chez des voisins, ici plus loin dans la rue. Lui, étant général à la retraite et donc polyglotte, il a pu téléphoner pour moi en français et laisser un message sur le répondeur.
Donc, mes chers amis, ce n'est pas le moment de me téléphoner pour prendre des nouvelles, vous penserez sinon que vous vous êtes trompés de numéro et que c'est un rigolo qui a décroché et qui se prend pour Le Visiteur, Jaquouille (Christian Clavier) en faisant toutes sortes de bruits bizarres dans le cornet.
D'ici quelques jours, quelques doses d'antibiotiques et cuillerées de sirop ça ira mieux! Enfin je l'espère...

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